La série télévisée (Romanzo Criminale)

La série télévisée

Bien que nous soyons dans un blog cinématographique, on ne saurait ne pas parler de Romanzo Criminale La série, et ce n’est pas difficile d’expliquer pourquoi. Car derrière cette série magistrale, peut-être la meilleure jamais produite dans l’histoire italienne et produite entièrement par une plate-forme satellite (la très attendue saison deux sera diffusée sur Sky à partir du 18 novembre), l’ambition esthétique et une perfection narrative dominent, nous Romanzo Criminale est une série qui obtient un succès de public remarquable. Ses fans, tout comme les critiques des médias, mettent l’accent sur sa « qualité » que l’on rapproche à celle du cinéma. Romanzo Criminale, la série, se présente comme un produit télévisuel pionnier, sur le plan des contenus tout comme sur le plan de la forme, en rupture avec les stéréotypes de la sérialité traditionnelle transalpine engourdie dans la reproduction hagiographique des vies de papes ou de saints, ou dans la mise en scène de rassurantes comédies familiales et médicales2. C’est une série capable de valoriser le potentiel du médium télévisuel et les habitudes de ses spectateurs, intégrant des renvois intertextuels au cinéma et aux discours médiatiques qui entourent les faits de la réalité qui sont la source du récit. Tout en se distinguant par ses thématiques inhabituelles pour un produit à diffuser aux heures de grande écoute, cette série mobilise de nombreux « scénarios intertextuels », selon la formule d’U. Eco : des situations stéréotypées, dérivées d’autres textes et enregistrées dans l’« encyclopédie » des spectateurs. Elle se confirme comme une série-culte grâce à un savant emploi de situations connues et de situations de déjà vu, au niveau narratif comme dans le choix des personnages et des acteurs : ces « archétypes textuels » exercent un pouvoir sur les spectateurs qui sont appelés à mettre en jeu leurs compétences, ainsi que des émotions éprouvées dans d’autres expériences cinématographiques ou télévisuelles. L’analyse de cette série peut se placer dans le domaine de recherche sur les quality soap, caractérisées par un nouveau rapport entre feuilleton traditionnel et innovation (Creeber, 2004). Tout en retenant la précaution de J. Feuer autour du jugement de goût inévitablement lié à l’adjectif « quality » (Feuer, 2007) ne pouvant pas être universalisé, mais dépendant du choix d’une ou plusieurs communautés d’interprétation, nous utiliserons ce terme comme outil heuristique pour décrire notre objet. En tant que produit innovant – tant dans ses contenus que dans sa structure (par exemple, voir ci-dessous l’aperçu d’un régime métadiscursif dans la figure du chart) cette série offre à ses spectateurs des possibilités d’interaction et de participation inédites.

Dirigée par S. Sollima pour Cattleya et Sky Cinema, la série est diffusée en parallèle à la mise en ligne d’un jeu vidéo qui, lui, s’en inspire directement et que nous analyserons dans le chapitre consacré aux « paratextes officiels ». Le rapprochement au cinéma que proposent les spectateurs tisse un ensemble de renvois aux productions américaines et au poliziottesco italien, comme nous l’avons observé pour le film. Si le film de M. Placido se servait de ces suggestions intertextuelles comme de points de départ pour la construction d’une épopée consacrée au monde de la criminalité des années de plomb, il n’arrivait pas pour autant à déclencher des réactions uniformes quant à sa qualité. Les critiques qui accusaient Placido d’avoir saccagé les films de Scorsese et Coppola pour tenter une opération impossible dans le contexte italien, s’opposaient à celles qui félicitaient une réussite tout italienne. À lire comme une œuvre monumentale qui fait de l’histoire italienne un phénomène de grand spectacle, le film recueillit un succès remarquable en Italie comme à l’étranger (notamment en France, selon les réactions observées), mais selon de nombreux fans il n’est même pas comparable à la série, comme le souligne un fan : « Ah, j’oubliais, le film homonyme de Placido n’est même pas digne d’être rapproché de la série2». La série semble appréciée davantage que le film en ce qu’elle possède un caractère de vérité et de justesse en vertu duquel les spectateurs ne se lassent pas de voir et revoir les épisodes. Elle devient un phénomène-culte à travers une opération complexe de construction d’un brand, comme nous le verrons dans le sous-chapitre consacré aux produits ancillaires qui accompagnent sa diffusion, mais surtout en ce qu’elle se propose comme un récit inséré dans un monde cohérent et possédant son autonomie. Quels sont les éléments qui déterminent ce phénomène ? On ne peut répondre à cette question qu’en proposant une exploration des contenus et des formes de la série que les spectateurs identifient comme signifiants : nous obtiendrons donc des réponses qui seront liées à des communautés d’interprétation déterminées, dans des contextes précis (notamment le contexte italien et plus spécifiquement celui de la ville de Rome, dans laquelle, nous le verrons par la suite, Romanzo Criminale est devenu un véritable phénomène de société). Cette analyse devra également nous aider à répondre à la question centrale de ce chapitre qui concerne la circulation d’un récit au travers de différents médias.

 

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