La ségrégation et la migration des liquides de fusion lors de la déformation des migmatites
La ségrégation assistée par la déformation
La déformation augmente les distances parcourues par le liquide. Plusieurs modèles existent et s’appliquent à différents environnements en fonction de l’orientation des contraintes, de la température, des tailles de grains et de la rhéologie (viscosité du liquide et comportement mécanique du solide). Une revue des différents modèles est donc indispensable.
La compaction
Dans le cas de la compaction, le liquide de faible densité monte vers la surface tandis que la matrice solide se compacte de façon visqueuse. Un couplage est assuré entre les variations de porosité liée à cette compaction et les facultés de se mouvoir du liquide. Le mouvement du liquide de fusion provient de la différence de pression entre le liquide et la matrice solide. Les équations régissant ce modèle ont été établies pour la première fois par Sleep (1974). McKenzie (1984) a traité le cas unidimensionnel d’une couche partiellement fondue qui expulse le liquide présent près de sa base imperméable (Fig. 1-10). Scott & Stevenson (1986) proposent un modèle plus sophistiqué en deux dimensions qui décrit des bulles enrichies en liquide qui traversent le système. Récemment, Ricard et al. (2001) ont proposé une nouvelle approche physique du phénomène qui assure, contrairement à McKenzie (1984), une réelle incompressibilité au liquide et à la matrice solide (fluide visqueux), ainsi que la prise en compte des tensions de surface. Le processus a une efficacité sur une longueur de l’ordre de la longueur de compaction (« compaction length ») : m s c k η η δ 3 4 = (3) Figure 1-10: Principe de la compaction assistée par la gravité. Partie 1 26 où ηs et ηm sont respectivement les viscosités de la matrice Solide et du liquide de fusion (« Melt » en anglais). Au delà de δc les forces doivent être énormes pour extraire le liquide, comme le montre par une expérience simple unidimensionnelle de compaction dans une « presse à café » (Fig. 1-11). Ricard et al. (2001) ont démontré que ce système était équivalent à un amortisseur (fluide visqueux) avec durcissement (« strain hardening »). Le piston est contraint de descendre à vitesse constante et une couche de liquide pur se forme petit à petit au sommet de la couche (près du piston). La porosité décroît rapidement et principalement sous la couche de liquide pur, ce qui a tendance à fermer les chemins de percolation du liquide à travers la matrice. La force à appliquer pour compacter augmente avec la déformation jusqu’à devenir infinie et le processus doit s’arrêter (Fig. 1-11c). La porosité varie alors de zéro au sommet jusqu’au quart de la porosité initiale à la base de la couche. Plus l’épaisseur initiale de la couche est grande (par rapport à δc ), plus les forces doivent être grandes pour faire fonctionner la presse (Fig. 1- 11b). La ségrégation n’est pas totale : à la fin de l’expérience, il reste encore 17% de la quantité totale de liquide dans le mélange. Les valeurs de la longueur de compaction δc sont toujours plus grandes dans le manteau que dans la croûte continentale. En effet, pour k ~ 5×10-10 m2 , ηs ~ 1018 Pa s, et ηm ~ 10 Pa s (magma basaltique), 104 Pa s (magma granitique hydraté), 1010 Pa s (magma granitique sec très siliceux), les longueurs de compaction dc égalent respectivement à 8 km, 250 m et 30 cm (Ricard et al., 2001). Ainsi, la compaction sous l’effet simple du poids de la matrice est considérée comme réaliste dans le manteau et de grande quantité de liquide pur peuvent être extraite. Dans la croûte continentale au contraire, il est impossible de séparer par ce seul biais le volume de liquide nécessaire à la fabrication d’un pluton. a) b) c) Figure 1-11 :Principe et résultats de la compaction unidimensionnelle (simplifié d’après Ricard et al., 2001). a) Exemple de la cafetière à piston. b) Coefficient de friction normalisé ν/µm en fonction de la porosité, pour deux hauteurs du système compacté, exprimées par rapport à la longueur de compaction δ 0 . Le coefficient de friction traduit la résistance à faire descendre le piston dans l’exemple (a). Il diminue avec la porosité et augmente avec la hauteur du système. c) Evolution du coefficient de friction en fonction du temps normalisé au temps nécessaire pour séparer complètement liquide et solide. Ce coefficient est proportionnel à la pression à appliquer au piston pour extraire le liquide à une vitesse constante. Il devient infini quand la porosité atteint 0 près du piston. A ce moment, il reste encore 17% de liquide dans le système. La différenciation de la croûte continentale
La microfracturation
Ce terme désigne des petites fractures et bandes de cisaillement qui se forment entre ou dans les minéraux. (Rosenberg & Handy, 2000, 2001) ont effectuer des expériences de modélisation analogique de la déformation d’une roche partiellement fondue à l’échelle du grain. Le matériau analogue est le norcamphor (un composé organique azoté) qui fond en présence d’une autre phase. A l’eutectique, un liquide est réparti de manière homogène aux points triples des cristaux de norcamphor. La déformation est enregistrée en continu sous le microscope. Le régime de déformation est soit en cisaillement simple (« simple shear »), soit en aplatissement pur (« pure shear » ; Fig. 1-12). Bien que le mécanisme de déformation du norcamphor en condition subsolidus soit une combinaison de fluage par diffusion et par migration des dislocations, on observe la formation de microfractures remplies de liquide. La plupart de ces microfractures s’ouvrent à l’interface entre deux grains. Plus rarement, un grain est véritablement fracturé. Ces microfractures sont parallèles à la direction de raccourcissement (Fig. 1-12). En cisaillement simple, elles se connectent et forment une bande de cisaillement qui draine le liquide de fusion alentour. Le liquide migre à travers cette bande vers l’extérieur de l’échantillon qui n’est pas déformé et a priori à plus faible pression (Fig. 1-12). Dans le cas de l’aplatissement pur, les zones d’accumulation sont symétriques, de chaque coté de l’échantillon, c’est-à-dire que le liquide a migré perpendiculairement à la direction de raccourcissement. Ce ne sont donc pas les microfractures parallèles à la direction de raccourcissement qui permettent cette migration. Des microfractures perpendiculaires à la direction de raccourcissement, donc en position défavorable pour une ouverture, sont créées de manière transitoire, drainent de liquide et se referment ensuite rapidement (Fig. 1-12). La perméabilité fluctue et montre donc parfois des augmentations soudaines et transitoires. Figure 1-12 : Séquence montrant comment la forme et la distribution des poches de liquide de fusion changent pendant la déformation progressive en aplatissement pur d’un agrégat de norcamphor contenant un liquide eutectique benzamide-norcamphor (Rosenberg, 2001). Gris sombre : fractures remplies de liquide. Gris clair : poches de liquide crées avant déformation. Lignes en pointillé : sous-grains. Petits ronds blancs : particules de corindon servant de marqueurs. Les demi-flèches indiquent le glissement grain sur grain. Partie 1 28 En résumé, le raccourcissement facilite la ségrégation du liquide vis-à-vis du solide résiduel. La direction du mouvement du liquide est contrôlée essentiellement par les conditions aux limites : le liquide migre vers la surface libre et descend les gradients de pression. Dans le cas de la compaction assistée par la gravité, le mouvement est vertical, vers la surface. Dans le cas de la microfracturation, le mouvement dépend du champ local de déformation.
Les migmatites : le lien entre la ségrégation et l’ascension du magma granitique
Durant la phase d’ascension, le magma granitique devra parcourir au moins 10 km entre sa source et le pluton final (Clemens & Mawer, 1992; Brown, 1994; Harris et al., 2000). Cette ascension est considérée de plus en plus comme ayant lieu par écoulement très rapide dans des dykes verticaux qui alimentent un site d’accumulation (Clemens & Mawer, 1992; Petford et al., 1994; Weinberg, 1996; Petford & Koenders, 1998; Rubin, 1998). Pour un contraste de densité entre le liquide et son encaissant ∆ρ = 200-400 kg m-3, la largeur minimale critique des dykes d’alimentation doit être de 2 m à 20 m pour éviter une solidification précoce du liquide avant le site de mise en place (Petford et al., 1994). Il y a donc un saut d’échelle entre le réseau de dykes de hauteur kilométrique et le leucosome centimétrique dans la migmatite. Par conséquent, il semble donc difficile de faire naître ces dykes d’alimentation directement sur les poches de liquides centimétriques qui se sont créées lors de la ségrégation. Une étape intermédiaire s’effectuant à l’échelle métrique est nécessaire : c’est la migration du liquide de fusion dans l’unité partiellement fondue, qui doit permettre de rassembler le liquide à une échelle intermédiaire entre le pluton et le leucosome. Les migmatites sont le lieu privilégié pour l’étude de la migration à cette échelle.
Résumé |