La santé animale
Au cours du siècle dernier, les populations humaines se sont déplacées de plus en plus facilement, régulièrement et en couvrant de plus grandes distances. La course effrénée vers le progrès et la croissance ont entrainé des mutations profondes pour notre environnement avec le dérèglement climatique, la complexification de l’accès aux ressources naturelles, ainsi que le morcellement des écosystèmes naturels. La mondialisation a aussi rendu possible les mouvements d’animaux d’élevage ou non, sur toute la planète, et donc de nouvelles interactions entre les espèces vivantes ; en particulier les agents pathogènes. Depuis 1940, 60 % des maladies infectieuses émergentes sont zoonotiques (c.-à-d. transmissibles des animaux vertébrés à l’Homme, et inversement), dont plus de 70 % trouvent leur origine dans la faune sauvage (Jones et al. 2008). Les maladies émergentes présentent donc autant un risque pour la sécurité sanitaire des productions animales que pour la santé humaine. C’est d’ailleurs dans ce contexte que, dans les années 2000, l’initiative One Health (c.-à-d. « une seule santé ») se développe pour promouvoir une approche systémique et collégiale de la santé publique, animale et environnementale, depuis l’échelle locale à l’échelle mondiale. La prévention et la lutte contre la diffusion de maladies émergentes doivent être pensées et appliquées de sorte à minimiser les impacts sanitaires, sociaux et économiques pour les populations. En ce sens, la surveillance épidémiologique, qui consiste au « […] recueil systématique et continu de données pertinentes ainsi que leur consolidation et leur évaluation efficaces, s’accompagnant de la diffusion rapide des résultats aux personnes concernées, en particulier celles en mesure d’agir », est un outil important de la santé publique (Organisation Mondiale de la Santé 2019) . Les données ainsi récoltées permettent de garantir la sécurité sanitaire vis-à-vis des seuils fixés par l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale). Elles peuvent aussi servir à des fins étiologiques, à des études d’impact de facteurs environnementaux (canicules, pollution, invasion d’espèces exotiques, …), à des études d’évolution de comportements, ayant ou pouvant avoir un effet sur la santé, ou à mettre en place des mesures de prévention, de surveillance et de lutte vis-à-vis des maladies ciblées plus adaptées. Les études peuvent porter autant sur des indicateurs sanitaires 2 L’OIE les définie comme des infections nouvelles, causées par l’évolution ou la modification d’un agent pathogène ou d’un parasite existant 1 La santé animale Introduction générale 20 qu’économiques. En effet, la composante économique est très importante dans les études d’impacts sur une filière quelle qu’elle soit (Evans 2003; Horst et al. 1999; OCDE 2007) et différents types de coûts peuvent être distingués (Figure 1).Les mesures de police sanitaire (c.-à-d. Surveillance évènementielle , gestion des suspicions et de lutte) vis-à-vis des maladies réglementées sont prises en charge par l’Etat. Les mesures de surveillance programmée4 et certaines mesures de lutte sont à la charge des éleveurs auxquels s’ajoutent les pertes économiques liées à la circulation de la maladie dans les élevages qui peuvent être catastrophiques pour les éleveurs. La Plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA), qui associe l’ensemble des acteurs majeurs de la surveillance au niveau national, s’est donnée comme objectifs d’évaluer et d’améliorer l’efficience des différents dispositifs de surveillance de maladies réglementées (Calavas 2017). Les analyses d’efficience ont pour but d’identifier la manière économiquement la plus efficace de réaliser un objectif préétabli et apportent des éléments de décision aux gestionnaires de la santé publique (Tago et al. 2014; Hénaux et al. 2015; Waret-Szkuta et al. 2017; Hénaux et al. 2017; Rivière et al. 2017; Raboisson et al. 2018). Les études socio-économiques conduites par l’OIE ont montré que le coût des dispositifs de surveillance et de prévention des maladies émergentes et ré-émergentes peuvent être considérés comme minimes, comparés au coût des crises sanitaires (Organisation Internationale des Epizooties 2013). En effet, la détection précoce des foyers, suivie de la mise en place d’un dispositif de lutte adapté peut contribuer à réduire à la fois l’impact sanitaire et économique de la maladie détectée. Plus la détection est précoce, plus la réponse apportée peut être réfléchie, murie et donc adaptée à la situation (Organisation Mondiale de la Santé 2005). Pourtant, malgré la surveillance épidémiologique et les dispositifs de lutte vis-à-vis des dangers sanitaires réglementés présents sur le territoire, ces trente dernières années ont vu se succéder des maladies à fort impact socio-économique qui ont mis en exergue la faillibilité des dispositifs alors en place : la réémergence de l’encéphalopathie spongiforme bovine en France en 2001, la grippe aviaire H5N1 apparue en France en 2006, la grippe mexicaine H1N1 d’origine porcine en 2009, la tuberculose bovine depuis 2010, et la fièvre catarrhale ovine (FCO) qui a ré-émergé en 2015, après un premier épisode épizootique, qui avait fortement impacté les éleveurs, en 2007-2009 (Lesage 2014).
La Fièvre Catarrhale Ovine
Présentation générale de la FCO
La fièvre catarrhale ovine est une arbovirose (c.-à-d. une maladie transmise par la piqûre d’arthropodes hématophages) affectant les ruminants, qu’ils soient domestiques (bovins, ovins, caprins) ou sauvages (cervidés, camélidés). Quelques études ont prouvé que les carnivores domestiques ou sauvages peuvent aussi être infectés par ingestion de produits ou animaux infectés (Alexander et al. 1994; Jauniaux et al. 2008). Aujourd’hui, 27 Introduction générale 22 sérotypes du virus responsable de la FCO ont été identifiés (Schulz et al. 2016; Zientara et al. 2014). Ils sont notés « BTV- » suivi du numéro du sérotype (p. ex. BTV-1, BTV-8). Le moucheron hématophage du genre Culicoides Latreille (Diptera : Ceratopogonidae) est considéré comme le principal vecteur de la FCO. Parmi les centaines d’espèces qui composent ce genre, Culicoides imicola Keiffer était considéré comme le vecteur historique de la FCO dans la zone méditerranéenne mais, aujourd’hui, d’autres espèces largement répandues en France continentale, comme le complexe d’espèces Culicoides obsoletus (Meigen)/Culicoides scoticus Downes & Kettle, ainsi que Culicoides dewulfi (Goetghebuer), Culicoides chiopterus (Meigen) et Culicoides pulicaris (Linnaeus), sont impliquées dans la transmission de la FCO en Europe (Caracappa et al. 2003; Carpenter et al. 2008; De Liberato et al. 2005; Dijkstra et al. 2008; Meiswinkel et al. 2007; Mellor et Pitzolis 1979; Romon et al. 2012; Savini et al. 2004; Torina et al. 2004; Venail et al. 2012). Initialement confiné aux zones tropicales et subtropicales, le virus a opéré une migration vers les zones plus tempérées au cours des dernières décennies, grâce aux mouvements commerciaux de grande envergure des animaux de production ainsi qu’au réchauffement climatique qui a permis aux populations de vecteurs de survivre dans ces nouvelles niches écologiques (Purse et al. 2015). De plus, la compétence vectorielle d’espèces de culicoïdes endémiques à ces niches a joué un rôle majeur dans la diffusion du virus sous de nouvelles latitudes.
Le virus et ses conséquences sanitaires
Le virus responsable de la FCO est un virus à ARN double brin de la famille des Reoviridae et du genre Orbivirus désigné BTV (bluetongue virus) par la suite. Les antigènes à la surface du virus, permettant l’identification du sérotype du virus, entrainent l’acquisition d’anticorps spécifiques par l’hôte lors de l’infection. Ces anticorps persistent chez l’hôte pendant de nombreuses années (Ward, Carpenter, et Osburn 1994) et sont transmis à la descendance lors de la prise du colostrum, le premier lait ingéré après la mise-bas. Chez les veaux, ces anticorps colostraux peuvent être détectés jusqu’à 16 semaines après la naissance (Vitour et al. 2011). Pour chaque sérotype, coexistent de nombreuses souches de BTV du fait de l’évolution génétique des virus. Comme la pathogénicité varie de manière importante selon les sérotypes et les souches, et que les signes cliniques dépendent de l’espèce infectée, la 5 Catégorisation d’un virus en fonction des antigènes présents à la surface du virus Introduction générale 23 pose d’un diagnostic en se basant uniquement sur les signes cliniques est rendue ardue. En effet, ce sont généralement les ovins qui sont touchés par les formes sévères de la maladie tandis que les bovins infectés sont majoritairement asymptomatiques (Saegerman, Berkvens, et Mellor 2008). Paradoxalement, la cyanose de la langue (symptôme duquel dérive le nom anglais de la maladie) n’est présente que chez moins de 3 % des ovins et bovins infectés (Le Gal et al. 2008). Les signes cliniques pour lesquels il y a eu un consensus de la part des vétérinaires sont les suivants : – chez les ovins viandes : abattement et amaigrissement rapide (signe du creux du flanc), hyperthermie, atteinte de la face (jetage, larmoiement, œdème de la face, ptyalisme), avec une atteinte de plusieurs animaux d’un même lot ; – chez les bovins laitiers et allaitants : baisse brutale et persistante de la production laitière (vaches laitières), hyperthermie, atteinte des yeux (exorbités, larmoyants, rouges), nez crouteux/sale (croûtes, ulcérations, jetage), raideur des membres voire boiteries sévères (plus fréquente chez les bovins laitiers), avec peu ou plusieurs animaux atteints (Zanella, Chartier, et Biteau-coroller 2010). Des avortements ont également été observés chez les bovins dans des proportions variables en fonction des souches de virus (Pandolfi et al. 2018).
Voie de transmission et cycle de réplication du virus
Le vecteur du BTV, le culicoïde, joue un rôle essentiel dans le cycle de réplication du virus (Figure 2). En effet, le virus est transmis au vecteur lors de son repas de sang sur un animal virémique. S’en suit une période d’incubation extrinsèque où le virus se multiplie dans l’organisme du vecteur puis rejoint les glandes salivaires, permettant l’infection d’un nouvel hôte lors de la prochaine piqûre du vecteur. La durée de cette période varie selon les sérotypes du virus et de la température, et peut par exemple être de seulement trois jours en condition optimale pour le BTV-9 (Simon Carpenter et al. 2011). Même si de nouvelles voies de transmission ont été mises en évidence (orale ou trans-placentaire (Courtejoie, Bournez, et al. 2019)), la transmission vectorielle est la voie de circulation principale du virus puisque la circulation du BTV n’est observée que lorsque les conditions nécessaires à la survie et à la multiplication des culicoïdes sont présentes. La diffusion de la maladie imputable aux culicoïdes peut se faire par vol actif ou passif. Le vol actif est très localisé puisqu’il couvre un rayon d’environ un à deux kilomètres autour du lieu de vie des moucherons. Ce qu’on appelle vol passif correspond à un vol où le culicoïdes est porté par les vents, parfois sur plusieurs centaines de kilomètres (Sellers 1991). Ce type de dispersion des vecteurs représente donc un risque majeur de diffusion à longue distance de la FCO.