La salinisation primaire et secondaire dans le delta et la cuvette de PontGendarme
La salinisation des sols est un phénomène naturel dans le delta du Sénégal. Elle est particulièrement marquante dans certaines cuvettes agricoles. L’introduction de la riziculture depuis 1960 et les apports d’eau douce depuis le fleuve Sénégal ont fondamentalement modifié les relations entre l’eau du fleuve, la nappe phréatique et les terres rizicultivables du delta. 1.1. La problématique des eaux salées dans le delta du Sénégal Dans le delta du Sénégal, la salinité primaire des terres et des eaux souterraines est au cœur des investissements hydrauliques (barrage antisel de Diama, canaux de drainage des eaux usées agricoles et le nouveau schéma hydraulique). La qualité de l’eau est donc une question préoccupante. Elle recouvre à la fois la sécurité alimentaire (productivité agricole et qualité de la production mise sur le marché national ou international), la dégradation des sols (absence de drainage ou mauvais planage des sols) et des eaux (interactions entre les eaux souterraines salées et les eaux de surface douces). La maîtrise de l’eau recouvre donc une dimension quantitative (barrages et ouvrages hydrauliques), mais aussi qualitative. Le développement des plantes d’eau douce dans le delta, autant dans les chenaux d’amenée que dans les canaux d’irrigation et de drainage, est un autre versant de la problématique de la qualité des eaux d’irrigation. Ces plantes aquatiques, tout en réduisant l’hydraulicité des cours d’eau, ont un impact sur la qualité de l’eau encore peu connu dans le delta du Sénégal. Les méthodes de lutte contre ces plantes, dans les périmètres irrigués agricoles, renforcent les incertitudes (mis à feu des plantes dans les canaux avant irrigation, méthode chimique consistant à appliquer des herbicides dans les canaux enherbés). La qualité de l’eau est donc au cœur des préoccupations en termes de santé humaine et animale (produits chimiques rejetés par l’agriculture moderne et les agro-industries et leurs impacts sur le milieu physique et la santé), de productivité agricole. Le changement des milieux naturels dépend aussi de l’évacuation des eaux usées agricoles dans le fleuve ou dans des dépressions naturelles (dégradation des sols, renforcement de la susceptibilité par rapport à la désertification, réduction des terres rizicultivables, etc.). Il existe plusieurs influences de la salinité des eaux d’irrigation sur les propriétés physiques du sol : tendance à la dispersion des argiles, dégradation de la structure du sol, perte de perméabilité, asphyxie des plantes (GOUAÏDIA et al., 2012).Le delta du Sénégal est localisé dans un espace semi-aride où la capacité évaporatoire de l’atmosphère est relativement élevée (température moyenne diurne d’environ 32° et nocturne de 20° dans la station de Saint-Louis) permettant le dépôt de sels (efflorescence saline) dans le contexte d’un environnement pédologique initialement salé et d’une nappe phréatique affleurante à subaffleurante dont le niveau de salinité est proche de celui de la mer à l’exception de quelques zones estuariennes. Les eaux de surface sont les principales ressources exploitées dans le delta du Sénégal. Cette situation est la conséquence d’une nappe globalement salée. Les zones où la salinité est faible sont, d’une part, la zone ferlienne (sud du lac de Guiers) et, d’autre part, la zone des Gandiolais dans les nappes du Continental Terminal (cf. Fig. 17). Les aquifères sont exploités par des systèmes de puits, de céanes (puisards, surcreusement de bas-fonds pour exploiter l’eau des nappes situées à faible profondeur) et de forages modernes. Dans ce cadre, la zone du Gandiolais a été largement impactée par l’ouverture d’une brèche sur la langue de Barbarie qui a contribué à une relative salinisation des nappes et à un recul des surfaces agricoles (salinisation des terres) se traduisant par une migration urbaine nationale et une émigration internationale. Les apports d’eau de surface doivent être suffisamment contrôlés pour éviter la dégradation des sols, la réduction voire la perte de productivité agricole et leurs conséquences (abandon de parcelles agricoles). Dans ce cadre, une attention particulière doit être accordée à la qualité des eaux d’irrigation alors que le drainage des parcelles n’est pas encore un processus généralisé dans les pratiques agricoles dans le delta du Sénégal (notamment dans les périmètres irrigués villageois privés dont les aménagements sont relativement sommaires). Dans une étude récente, CISSÉ (2011) a montré, dans le périmètre de Boundoum, le rôle positif du dessalement des sols de périmètres à l’aide d’un système de drainage superficiel et son impact positif sur le développement végétatif du riz. Cette situation rend nécessaire un suivi qualitatif des paramètres physico-chimiques et biologiques liés à la qualité des eaux d’irrigation, mais aussi à l’évacuation des eaux usées agricoles dans le cadre des interactions complexes entre eaux usées agricoles, nappes phréatiques, pédologie et eaux de surface douce. Dans le cadre de cette thèse, un suivi sur une campagne agricole de l’évolution de la qualité de l’eau (indicateurs de conductivité et de température de l’eau) dans le périmètre de PontGendarme est proposé. Ce travail contribue à une meilleure connaissance de ces interactions complexes dont un suivi continu et régulier devra être assuré par les services compétents (SAED, OLAG, Unions agricoles). Ce suivi de la qualité peut être considéré au plan méthodologique comme une partie intégrante de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau dans le delta du Sénégal.
Des études sur la qualité de l’eau encore insuffisantes
Les travaux qui ont été faits relèvent de quatre domaines. Le premier concerne le fleuve Sénégal et les travaux sur les apports dissous d’origine continentale (KANE, 1986, 1997). Cette étude montre une variation saisonnière de la conductivité, entre la période de crue et de décrue en amont du barrage de Diama ; les valeurs étant globalement très faibles (entre 0,05 et 0,54 µs/cm). Le second a trait à l’acidité des sols sous irrigation (Pont-Gendarme, Savoigne) à travers les travaux de POUSSIN et al. (2002) ou, plus éloigné, la thèse de Diène ROKHAYA (1998) sur Riziculture et dégradation des sols en vallée du fleuve Sénégal : analyse comparée des fonctionnements hydrosalins des sols du delta et de la moyenne vallée en simple et double riziculture.Cette thèse analyse, globalement, la question de la salinité des terres du delta en termes de risque et de vulnérabilité dans les sites de Ndiaye. L’une de ses conclusions est que, si la riziculture intensifie le problème d’engorgement (saturation en eau de terres agricoles), la double riziculture (il s’agit de la pratique d’une double culture de riz : en contre-saison chaude et en hivernage), elle, favorise l’évacuation de grandes quantités de sels dans les périmètres irrigués. Ce travail souligne l’importance d’un suivi de la qualité de l’eau utilisée pour l’irrigation par le biais du Lampsar ou du fleuve Sénégal. Dans ce cadre, la pratique de l’irrigation ne contribue pas, directement, à la dégradation des sols. Le troisième domaine concerne les travaux sur les eaux de drainage dans le delta du Sénégal, notamment la thèse de CISSÉ (2011) qui montre que les eaux d’irrigation sont de bonne qualité alors que les eaux de drainage agricole sont très chargées en substances chimiques d’origine diverse (CISSÉ, 2011 ; cf. ; aussi les travaux de LOYER (1989) sur Les sols salés de la basse vallée du fleuve Sénégal. Caractérisation, distribution et évolution sous cultures). Il s’agit de l’un des travaux principaux qui analysent la salinité « naturelle » des terres du delta et celles sous influence anthropique (riziculture submergée). L’étude de LOYER (1989) a été faite dans les premières années de mise en exploitation du barrage de Diama (1987) et de riziculture irriguée dans la vallée du Lampsar (1980). Cette étude présente un ensemble de résultats sur : – la salure présente dans les sols, d’origine marine ou lagunaire, essentiellement sodique ou magnésienne, à laquelle peut se superposer une alcalisation liée à la sodicité excessive ; – le dessalement satisfaisant dans les parcelles ; l’irrigation contribuant à la déssalinisation des sols ; – l’état hydrologique de la nappe ; après la mise en eau des parcelles, la nappe remonte de 20 à 50 cm entre 10 et 30 jours ; ce niveau se maintenant, avec de faibles oscillations, pendant toute la durée du cycle agricole. En fin de cycle, la vidange des parcelles produit l’effet inverse, c’est-à-dire une baisse rapide du niveau de la nappe phréatique pendant deux semaines, puis une baisse plus lente pour retrouver sensiblement son niveau initial ; – l’impact positif de la riziculture irriguée, laquelle, après cinq ans, a contribué au dessalement de la nappe phréatique (dans sa tranche superficielle). Les effets positifs de la riziculture submergée dans le lessivage de l’acidité dans le sous-sol (DECKERS et al., 1996) ou des terres salées des périmètres irrigués ont été confirmés dans le périmètre de Boundoum (CISSÉ, 2011) à partir de l’application d’une grande quantité d’eau d’irrigation (18 000 m3 /ha). Ces études montrent donc l’effet positif de la riziculture sur l’acidité et la salinité des cuvettes du delta du Sénégal, mais encore faudrait-il que l’eau d’irrigation soit de faible minéralisation ou n’ait pas été contaminée localement ou très localement par une remontée capillaire de salinité. Notre étude se positionne autour de ces enjeux d’autant que les autres études mettent en avant soit la dimension verticale des interactions entre les eaux d’irrigation et la nappe phréatique, la parcelle irriguée servant d’interface (LOYER, 1989), soit la qualité des eaux usées dans les dépressions de drainage (CISSÉ, 2011). La dynamique des flux dans les canaux d’irrigation est peu abordée. Nous essayerons de l’envisager dans ce travail. Le quatrième domaine fait référence aux travaux sur la qualité des eaux d’irrigation. SÈYE (2005) a, ainsi, effectué des relevés de paramètres physico-chimiques (pH, conductivité électrique, température) entre la Taouey, la prise d’eau, le canal secondaire, la lame d’eau de la rizière et le drain. La cuvette expérimentale n’a pas été précisée dans l’étude. De même, la mesure unique (10/06/2005) ne permet pas de faire une analyse comparative dans le temps. Sur le plan spatial, ce travail montre qu’entre la source de prélèvement (fleuve) et le canal d’irrigation, la conductivité est presque constante (env. 72 µS/cm). Dans la rizière (1 267 µS/cm) Deuxième partie : La recomposition territoriale du delta du Sénégal – 252 – et dans le drain d’évacuation (754 µS/cm), la conductivité électrique devient très importante. Dans ce cadre, l’affleurement de la nappe salée (4 402 µS/cm) a des influences sur la qualité de l’eau dans la rizière.