La rupture en mécanique
La mécanique de la rupture s’intéresse à la formation et à la propagation de fissures macroscopiques dans les structures, ce qui peut conduire à la séparation d’un corps en deux parties disjointes suite à une phase d’amorçage qui a vu le développement de microcavités, microfissures… mais les fissures peuvent aussi s’arrêter. Le mode de rupture peut être fragile (sans déformation plastique) ou ductile (avec déformation plastique). La résilience est le rapport de l’énergie nécessaire pour rompre une pièce sur la section droite de matière rompue : elle caractérise l’énergie nécessaire pour produire la rupture. La résilience évolue avec la température (la température de transition caractérise le passage d’une mode de rupture à un autre : fragile ou ductile). Par ailleurs, le mode de rupture dépend de l’état de contrainte, en particulier de la triaxialité des contraintes (rapport du premier sur le second invariant, voir paragraphe 20.1.1) : un matériau très plastique peut développer des ruptures fragiles ; un matériau sans plasticité ne présentera que des ruptures fragiles. En fonction du chargement et du matériau considéré : — si le milieu est globalement plastique ou viscoplastique, on recourra à la mécanique non linéaire de la rupture, ou approche locale (description fine des contraintes et déformations en pointe de fissure à l’aide de modèles non linéaires) ; — si la plasticité est absente ou très confinée, on utilisera la mécanique linéaire de la rupture.
Approches globale et locale
On distingue deux approches : — Approche globale : le principal avantage est la relative simplicité d’application aux calculs éléments finis ou analytiques grâce à des grandeurs scalaires représentant l’état de la fissure, mais qui sont des approximations qui peuvent manquer de pertinence ; — Approche locale : qui veut modéliser finement le comportement réel, mais se confronte à la singularité des contraintes en fond de fissure. D’un point de vue numérique, les deux approches nécessitent des maillages fins en pointe de fissure afin de décrire le front de fissure et de permettre le calcul de la concentration des contraintes et déformations. Il faut ajouter également des modèles de comportement adaptés : — l’approche globale nécessite un maillage rayonnant avec faces perpendiculaires au front de fissure ; — alors que l’approche locale impose un maillage fin (calcul des contraintes), dont la taille est imposée ainsi que le type d’éléments. Les fissures sont souvent trop complexes pour être parfaitement reproduites, ce qui impose des approximations du domaine et rend le choix du type d’éléments et leur taille encore plus critique. La modélisation du comportement des matériaux est importante puisque directement liée au calcul des sollicitations en pointes de fissure, qui de plus apparaissent toujours dans des zones où les sollicitations sont complexes (fatigue, fluage, plasticité, endommagement…). La modélisation de l’avancée de la fissure conduit à de très fortes non linéarités (avec des problèmes de convergence dans les algorithmes). De plus, la modélisation de l’avancée de fissure est liée à la discrétisation faite, donc est liée à la taille des éléments. Les mailleurs automatiques sont souvent incapables de mener à bien leur tâche car il y a une incompatibilité entre les dimensions de la structure et la finesse nécessaire pour la fissure, et parce que les approches locale et globale ont des spécificités de maillage différentes et difficiles à prendre en compte. Il est donc souvent nécessaire de développer ses propres outils de maillage. De plus beaucoup de critères mis au point en 2D ne sont pas forcément valables en 3D. Les problèmes actuels sur lesquels portent la recherche sont : — la propagation, qui reste un domaine numérique difficile à aborder, en particulier les critères de propagation de fissure, surtout en 3D et/ou en dynamique. — les mailleurs (voir ci-dessus), et même en amont, les critères de maillage, surtout en 3D. On opte également pour une approche couplée essais / calculs : — développement des paramètres pertinents en mécanique de la rupture ; — développement d’outils analytiques et critères associés ; — développement / validation des critères.
Approches numériques des fissures
Fissure droite sollicitée en mode I Le trajet de propagation peut être connu a priori, et on trouve les méthodes de déboutonnage dans lesquelles la moitié de la structure est maillée et les nœuds situés sur la ligne de propagation sont libérés à mesure que la fissure avance. Mais il faut relâcher les nœuds progressivement en appliquant des forces nodales physiquement pertinentes. Fissure courbe — méthodes de remaillage : voir problème de maillage — éléments d’interface : le trajet de la fissure est imposé par la discrétisation et il faut choisir la loi de décohésion à l’interface. Élément avec un nœud supplémentaire au quart de ses côtés (ou ayant son nœud intermédiaire déplacé), qui permet d’intégrer exactement la singularité élastique, mais il reste nécessaire de disposer d’un outil spécifique de remaillage. Méthodes sans maillage Elles permettent de s’affranchir des problèmes liés à la connaissance trop intime de la fissure ; Méthodes utilisant la partition de l’unité Elles permettent de s’affranchir du maillage explicite de la fissure dont la description se fait au moyen d’éléments géométriques ou de fonctions de niveau pour le problème 3D. Notons que les méthodes de remaillage peuvent introduire des singularités dans la discrétisation temporelle qui sont peu souvent mentionnées
Mécanique linéaire de la rupture
Concentrations de contraintes des défauts Histoire On a souvent attribué aux défauts du matériau la cause principale de la rupture fragile. Sur la base d’une analyse des contraintes, Kirsch (1898) et Inglis (1913, cité au 8ème symposium de mécanique des roches en 1966) avaient déjà donné des solutions analytiques pour le calcul du facteur de concentration des contraintes pour des plaques infinies soumises à la traction avec respectivement un trou circulaire et un trou elliptique. Mais le facteur de concentration des contraintes devenait infini dans le cas d’une fissure et cela signifiait que des contraintes externes très faibles suffisaient pour la rupture d’un solide fissuré, ce qui est en contradiction avec la réalité.
Équilibre énergétique
La mécanique de la rupture a été inventée pendant la Première Guerre mondiale par l’ingénieur aéronautique anglais A. A. Griffith pour expliquer la rupture des matériaux fragiles. Le travail de Griffith a été motivé par deux faits contradictoires : 1. La contrainte nécessaire pour rompre un verre courant est d’environ 100 MPa ; 2. La contrainte théorique nécessaire à la rupture de liaisons atomiques est d’environ 10 000 MPa. Une théorie était nécessaire pour concilier ces observations contradictoires. En outre, les Griffith expérimentations sur les fibres de verre que Griffith lui-même a mené suggèrent que la contrainte de rupture augmente d’autant plus que le diamètre des fibres est petit. Par conséquent il en déduit que le paramètre de résistance uniaxiale à la rupture Rr , utilisé jusqu’alors pour prédire les modes de défaillance dans le calcul des structures, ne pourrait pas être une valeur indépendante des propriétés du matériau. Griffith suggère que la faiblesse de la résistance à la rupture observée dans ses expériences, ainsi que la dépendance de l’intensité de cette résistance, étaient due à la présence de défauts microscopiques préexistant dans le matériau courant. Pour vérifier l’hypothèse de défauts préexistants, Griffith a introduit une discontinuité artificielle dans ses échantillons expérimentaux. La discontinuité artificielle était une forme de fissure débouchante plus importante que les autres discontinuités supposées préexistantes dans l’échantillon. Les expériences ont montré que le produit de la racine carrée de la longueur du défaut et de la contrainte à la rupture était à peu près constant