La rive gauche, un chantier comme un autre…
La soudure électrique a été utilisée pour la première fois en France par l’arsenal de Brest en 1929. Progressivement, son application s’est étendue pour la fabrication de croiseurs de 10 000 et 7 700 TW, puis aux bâtiments de ligne de 26 500 et 35 000 TW.
Les autres arsenaux et chantiers de construction navale français ont développé ce mode d’assemblage aux réalisations dont ils étaient chargés pour la Marine militaire. C’est ainsi qu’un très large programme de soudure a été lancé sur le croiseur De grasse en construction à Lorient en 1939545.
Ce furent d’abord des cloisons transversales puis des cloisons longitudinales ou des éléments de ponts. Interrompues en France par la guerre, les constructions soudées se développent dans d’autres pays avec le procédé par préfabrication soudée. L’exemple le plus connu est le cargo américain, type Liberty-ship546, fabriqué par les chantiers de Kaiser547. Mais les États Unis ne sont pas les seuls à tirer avantage du procédé par préfabrication. Les Allemands l’appliquent aux constructions de sous-marins types XXI et XXIII548.
À l’image des États-Unis, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, le Canada adopte également la préfabrication pour des corvettes, vedettes, torpilleurs, et frégates. En revanche, si une certaine importance a été donnée à la soudure dans les constructions navales, comparativement aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada, elle est loin d’avoir bénéficié d’un caractère aussi général549. Pourtant, après-guerre tous les chantiers n’adoptent pas aussitôt la préfabrication soudée à grande échelle.
Nombreux sont ceux qui jugent que la préfabrication est un procédé coûteux ne pouvant s’appliquer qu’à des séries importantes. En effet, seuls quelques chantiers, « parmi lesquels les chantiers navals de La Ciotat, le chantier suédois Eriksberg, à Gothembourg et la Marine nationale550 » considèrent que les facilités induites par la préfabrication pour les soudures à plat procurent une garantie de bonne exécution des ensembles et une économie, même sans série importante.
Enfin, le coût n’a pas été un argument pour promouvoir la préfabrication soudée551, mais il l’est indirectement devenu pour mettre en adéquation les tarifs pratiqués552. En fait, pour rester compétitif,
la solution n’est pas tant d’adopter un procédé de construction plutôt qu’un autre, mais bien de s’approprier les méthodes utilisées dans le privé, « en faisant la chasse au gaspillage et à la fainéantise » et aussi « en cherchant, dans la réalisation de nos navires, la simplicité de l’usinage et des tracés553 ». Dans la construction navale, quelle est l’influence de la préfabrication soudée utilisée à grande échelle sur les installations industrielles ?
Nous rencontrons deux cas de figure selon que les chantiers préexistent à la préfabrication ou qu’ils sont spécialement érigés pour appliquer la préfabrication soudée à la construction de masse. Le premier cas de figure, le plus courant, interroge l’emprise de la préfabrication sur les installations d’un chantier du fait de la nécessité d’adapter l’existant aux nouvelles contraintes.
Les chantiers américains de Kaiser sont souvent présentés comme emblématiques du second cas de figure. Bien que différents de l’arsenal lorientais, ils sont pourtant rapportés par Brocard en « exemples » à suivre dans l’élaboration du projet d’avenir de l’arsenal554.
En partant de plusieurs chantiers français et étrangers, il s’agit d’identifier les objectifs et les résultats. Notre premier cas d’étude intéresse un chantier américain de Henry J. Kaiser555. Entre 1941 et 1945, dans les seuls chantiers de Portland/Vancouver et de Richmond sortiront des cales 1 490 navires, soit un tiers des cargos produits dans le pays556.
Pour Kaiser, construire autant de navires n’est possible qu’en adoptant des méthodes de travail capables de produire en masse557. Aussi pour construire en série, le flux des matériaux doit être continu et le plus rectiligne possible558, à l’instar de Swan Island, chantier représentatif des grands chantiers américains érigés pendant la guerre559. Établis sur 100 hectares, ses équipements industriels sont disposés pour opérer en flux rectiligne (fig. 38).