Action publique : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple
Du règne de Louis XIV à 1789 : les prémices de l’État moderne dans un contexte de fragilité croissante
Après la Fronde, l’obsession de Louis XIV est de renforcer l’autorité de l’État. En matière administrative, cela passe notamment par deux grandes réformes. D’abord, il centralise et déconcentre (si l’on retient le vocabulaire actuel). Il centralise notamment en réduisant l’autonomie des provinces dites d’État, c’est-à-dire dotées d’assemblées (comme le sont, au plan national, les États généraux). Mais en même temps, il déconcentre en nommant des intendants qui sont ses délégués dans chacune des provinces du royaume. En second lieu, pendant son règne, va être engagée une profonde transformation du statut des dépositaires de l’autorité publique. En effet, l’essentiel d’entre eux sont alors titulaires de charges et d’offices achetés à l’État et qui étaient transmissibles. Ces officiers avaient souvent le statut de magistrats. Ils pouvaient exercer à la fois des fonctions administratives et juridictionnelles, et se rémunéraient en faisant payer leurs services aux citoyens, comme c’est le cas aujourd’hui des notaires ou des huissiers. Louis XIV réduit le nombre de ces officiers en les remplaçant par des commissaires, payés directement par l’État, prémices de la mise en place d’une véritable fonction publique. Ce nouvel appareillage administratif, très efficace, qu’on a souvent qualifié de « monarchie administrative », a été notamment mis au service de deux importantes politiques publiques : l’interventionnisme économique, ou colbertisme, qui se traduit en particulier par le développement de manufactures d’État, et, d’autre part, l’investissement massif dans la marine de guerre et commerciale qui devient la plus puissante du monde. Les règnes de Louis XV et de Louis XVI illustrent la phrase de Tocqueville décrivant l’administration sous l’Ancien Régime : « des règles rigides, une pratique molle ». Ces deux règnes sont velléitaires et marqués, d’une part, par des réformes inabouties, comme la tentative de Turgot de doter le pays d’une administration moderne, et, d’autre part, par des changements de cap incessants concernant par exemple les parlements, supprimés puis recréés, ce qui a beaucoup contribué à l’émergence de la Révolution. Toutefois, cette période est aussi marquée par la création, en 1747, du premier corps de l’administration, celui des ponts et chaussées, et de l’école de formation de ses ingénieurs. L’État commence à comprendre qu’il doit disposer d’agents compétents, recrutés sur la base de leurs talents. Le mot « fonctionnaire » est employé pour la première fois en 1770 par Turgot.
La Révolution et le Premier Empire : la fondation d’un État moderne centralisé
La Révolution fait table rase de toutes les institutions, notamment administratives, et de toutes les législations de l’Ancien Régime. Par ailleurs, plusieurs articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) concernent l’action publique. Ainsi, l’article VI prévoit que tout citoyen peut être admis aux emplois publics selon ses capacités, vertus et talents. L’article XIII dispose que, pour les dépenses d’administration, une contribution est indispensable, répartie en fonction des facultés de chacun. Enfin, l’article XV prévoit que la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. Dans ce contexte, les trois lignes directrices de la réforme de l’administration voulue par les révolutionnaires de 1789 sont les suivantes : en premier lieu, confier, aux plans national et local, tous les pouvoirs publics à des élus ; ensuite, procéder à une forte décentralisation au niveau des communes dont le statut est unifié ; enfin, créer un échelon intermédiaire entre le gouvernement central et les communes : le département (créé en 1791).Mais la réalité fut toute autre et, dès 1791, la centralisation jacobine, poursuivie sous le Directoire, réduit considérablement le rôle des élus et des autorités locales. Cette époque est aussi marquée par le développement de ce que l’on commence à appeler la « bureaucratie » : ainsi les effectifs de l’administration centrale civile passent d’environ un millier en 1789 à six mille en 1795, cette augmentation étant en partie due à la transformation des agents des offices en emplois publics. Le Consulat et l’Empire constituent une période de consolidation et d’unification. Cela se traduit d’abord par le fait que l’administration est exclusivement placée sous l’autorité du pouvoir exécutif qui détient seul le pouvoir réglementaire. En second lieu, par la rationalisation des institutions administratives : au niveau central, avec la création en 1800 du Conseil d’État moderne exerçant ses deux fonctions (contentieuse et consultative), de la Cour des comptes et de la Cour de cassation, ou encore, en 1804, de l’École Polytechnique, pour former les cadres techniques de la nation. Au niveau local, avec la confirmation des départements dirigés désormais par un préfet, représentant unique de l’État. En troisième lieu, par la fin des libertés locales : les conseils municipaux et généraux sont désormais constitués de personnes nommées par les préfets, les ministres ou le chef de l’État. Les attributions de ces instances locales sont essentiellement consultatives et, quand elles sont délibératives, elles sont soumises à l’approbation préalable des préfets ou des ministres. À l’issue de la Révolution et de l’Empire, le paysage des institutions politiques et administratives nationales a été entièrement bouleversé : leur organisation est totalement unifiée sur l’ensemble du territoire ; le fond du droit est considérablement simplifié avec les cinq grands codes historiques élaborés entre 1804 et 1810 (civil, pénal, procédure civile, instruction criminelle, commerce), ce qui permet de réduire de moitié le nombre de magistrats et, plus généralement, le nombre des agents publics. Mais en contrepartie, celles des libertés locales qui étaient demeurées jusqu’en 1789 ou avaient été mises en place au début de la Révolution sont supprimées.