La réussite scolaire Du point de vue de l’institution, du système
La réussite scolaire de tous les élèves est un des objectifs de l’école, rappelé à de nombreuses reprises. Cela a été le cas lors des assises locales et départementales de la mobilisation de l’École et de ses partenaires pour les valeurs de la République qui ont eu lieu entre février et avril 201565. En 2012, une ébauche de programme opérationnel a été intitulée « réussite de tous les élèves à l’école » 66 . Lorsque l’on aborde le sujet des ZEP en France, la difficulté scolaire de certains élèves prend le premier plan. Existe-t-il des cas de réussite scolaire dans les milieux défavorisés ? Ces cas de réussite sont-ils encadrés par des textes officiels ? Dès les premiers textes67 encadrant les zones d’éducation prioritaire et jusqu’à nos jours68 , l’objectif principal affirmé est celui de la réussite scolaire pour tous les élèves. Mais il n’apparaît pas de prise en compte particulière des élèves qui réussissent mieux que les autres en ZEP. Il faudra attendre la circulaire n° 99-007 de janvier 1999 pour qu’apparaisse pour la première fois le terme de « pôle d’excellence » 69. L’objectif de ces pôles d’excellence est de proposer des activités éducatives d’excellence (sections sportives, classes musicales, …) dans les établissements REP pour permettre aux élèves des milieux défavorisés d’avoir accès à ces activités, présentes dans les autres établissements. Cette politique d’excellence est souhaitée et encouragée par plusieurs auteurs (Laparra, 2012; Rochex, 2012). C’est uniquement dans la circulaire n° 2000-008 du 8 février 2000 que les textes décrivent pour la première fois l’existence d’élèves obtenant « des résultats remarquables » que l’école pourrait « pousser […] le plus loin possible » 70. En 200571, une charte72 sera signée pour proposer une familiarisation des EGRS « avec des filières d’excellence dans les grandes écoles et les universités », pour faciliter leur possible intégration future. C’est à ce moment que l’on parlera d’ « aménagements appropriés […] au profit des élèves […] manifestant des aptitudes particulières [et] qui montrent aisance et rapidité dans les acquisitions scolaires » (MEN, 2005). En 2010, une circulaire sur les internats d’excellence et le développement des internats scolaires aura pour objectif de « permettre à des collégiens, lycéens et étudiants motivés, ne bénéficiant pas d’un environnement propice aux études, d’exprimer tout leur potentiel et de réaliser le parcours scolaire correspondant ».
La relativité du terme « réussite »
Pourtant, nous sommes en droit de nous interroger sur la définition du terme de réussite. Qui sont ces bons élèves ? Ravestein (2007, p. 32) le définit comme « celui qui sait, qui sait montrer qu’il sait, dans des formes légitimes, au bon moment, pas trop, ni en deçà ni au-delà de ce qu’on attend de lui ». Nous reviendrons sur l’ouvrage de Daverne et Dutercq (2013) abordant la question des « bons élèves ». Les auteurs justifient leur choix de s’intéresser aux CPGE car « cette filière constitue le passage quasi obligé pour ceux qui, après avoir été de bons élèves de lycée, ambitionnent d’accéder à des postes de responsabilité » (ibid., p. 2). Cela peut rejoindre la doxa selon laquelle réussir scolairement revient à intégrer des filières telles que l’université de médecine ou des grandes écoles comme celle de polytechnique. C’est le cas des étudiants, scolarisés dans une GE (Grande école), interrogés par Castets-Fontaine (2011) dans sa recherche sur la réussite des élèves provenant de milieux défavorisés. Mais à quel niveau pouvons-nous dire qu’entrer à l’école Polytechnique est une réussite ? Il s’agit d’une réussite par rapport à un certain niveau d’attente. Nous n’aborderons pas ici le cas d’un élève en très grande difficulté scolaire, obtenant un BTS à la suite d’un baccalauréat professionnel, ce qui peut également être considérée comme une grande réussite scolaire. Nous pouvons également nous interroger sur les critères définissant cette réussite. Quels sont-ils pour un élève qui souhaite accéder à un internat d’excellence ? Nous n’irons pas plus loin ici dans ce débat mais nous reconnaissons un arbitraire à définir la réussite de façon restrictive, à entrer dans certaines filières scolaires très précises. Il y a donc, dans nos travaux, un choix a priori de suivre la considération de la réussite, telle qu’elle est décrite dans les travaux cités précédemment. Mais comment les enseignants interrogés définiront-ils cette réussite ? Rejoindront-ils les travaux cités précédemment ? Comment définissent-ils un élève en grande réussite scolaire ? Abordentils la question des critères, ou encore de la relativité de la notion de réussite ? Nous étudierons leur discours et leur réponse au questionnaire dans la partie méthodologie de cette thèse.
Les trajectoires scolaires atypiques
Les trajectoires scolaires atypiques sont par essence des objets éminemment sociologiques (Castets-Fontaine, 2011). Le rapport au savoir et à l’école est différent en fonction des classes sociales. Pourtant, il existe des « réussites paradoxales » (Charlot, 2001, p. 7) c’est-à-dire des réussites d’enfants issus de familles populaires, réussissant à l’école malgré un milieu social « défavorable » à la réussite scolaire ; on rencontre également des élèves de milieux favorisés qui échouent à l’école (ibid.). Nous allons développer ces deux cas, cités par Charlot, dans ce chapitre.
Les méshéritiers
Le premier cas est celui des « méshéritiers », terme emprunté à Henri-Panabière (2008; 2010) qui montre ainsi « le caractère atypique ou problématique de la relation de transmission familiale sans pour autant la nier » (Henri-Panabière, 2008, p. 1). Ces élèves détiennent de manière incorporée un capital culturel, linguistique et social proche de celui attendu à l’école, transmis dans le cercle familial. Pourtant, « ils ne calquent pas à l’identique les schémas présentés par l’environnement » (Daverne, 2009, p. 5) et peuvent se retrouver dans une situation de déclassement scolaire ou social. 2.3.2 Les réussites paradoxales Dans le second cas, nous observons l’existence « d’élèves en réussite dans les ZEP, même s’ils sont souvent moins nombreux qu’ailleurs » (Charlot, Bautier, & Rochex, 1992, p. 48). C’est ce que Charlot (2001, p. 7) nommera les « réussites paradoxales » c’est-à-dire des réussites d’enfants issus de familles populaires, réussissant à l’école malgré un milieu social « défavorable » à la réussite scolaire. Ces réussites paradoxales peuvent être perçues selon deux axes. La première réussite est objective. On observe les résultats des élèves aux évaluations nationales, qui consistent en une évaluation objective proposée à tous les élèves d’un niveau de classe donné (ZEP et hors ZEP confondus). En quelques chiffres, nous nous rendons compte que c’est, dans un premier temps, 10% des élèves de ZEP qui se situent parmi les 20% des élèves ayant obtenu les meilleures performances aux évaluations nationales à l’entrée en sixième (Andrieux et al., 2001). Ces 10% appartiennent à la catégorie des « forts ». De plus, entre les 10% des meilleurs élèves en ZEP et hors ZEP, la différence de résultats scolaires est minime (Moisan, 1998).