La responsabilité de droit commun couvrant les désordres survenus après la réception des travaux

 La responsabilité de droit commun couvrant les désordres survenus après la réception des travaux

Au regard de ce qui a été évoqué concernant la mise en œuvre des responsabilités des constructeurs postérieurement à la réception, l’intitulé de la présente section interpelle. Pour rappel, le principe d’application de la responsabilité contractuelle après le prononcé de la réception se détermine en creux des garanties spécifiques biennodécennales1027. Ce qui veut dire en conséquence, que les dispositions de droit commun ne s’appliquent après la réception, qu’à titre d’exception. Bien que ce moyen d’action subsidiaire ait été institué par le droit prétorien, il est néanmoins important de souligner que les deux ordres de juridictions qui composent notre institution judiciaire, ne vont pourtant pas dans le même sens. Si les juges judiciaires sont unanimes quant au fait que la responsabilité contractuelle de droit commun puisse jouer de manière interstitielle, lorsque les garanties spéciales sont inopérantes, les préteurs administratifs semblent exclure cette possibilité. Pour les juges administratifs, la réception sans réserve a pour effet de mettre un terme aux rapports contractuels qui étaient nés du marché, et interdit au maître d’ouvrage de se prévaloir de la garantie contractuelle de droit commun. L’Instance suprême administrative va plus loin, puisqu’elle estime que quand bien même les désordres affectant l’ouvrage n’étaient ni apparents ni connus au jour de la réception1028, la demande en réparation fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, ne saurait être admise1029. Selon elle, ce motif d’irrecevabilité est d’ordre public et doit donc être soulevé d’office par le préteur devant lequel, se présentent les parties. 561. Cependant, du point de vue des juges judiciaires, comment a-t-il pu en être autrement ? En d’autres termes, dans quelle mesure les règlements de litige dans les marchés privés de travaux ont pu conduire à la consécration d’une responsabilité contractuelle de droit commun post réception, prenant ainsi l’exact contrepied des jurisprudences administratives. À l’image des réflexions menées par certains auteurs1030, l’institution d’une responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs après la réception et pour les seuls marchés privés, s’est produite à l’occasion de trois arrêts célèbres : 562. Dans le premier arrêt rendu le 10 juillet 1978 dit arrêt Delcourt1031, la Cour de cassation a-t-elle considéré que le maître d’ouvrage qui au regard de la nature des désordres constatés après la réception, ne pouvait se prévaloir des garanties spécifiques à l’encontre du constructeur, disposait encore d’une action en responsabilité contractuelle. 563. L’arrêt du 9 mars 19881032 apporte des éléments nouveaux dans le processus d’admission de la responsabilité contractuelle de droit commun, postérieurement à la réception. Dans cette affaire, il a été retenu que dans le cas où les vices n’affectent pas la solidité de l’ouvrage, ni ne rendent celui-ci impropre à sa destination, la responsabilité des locateurs d’ouvrage ne peut être recherchée que sur le fondement d’une faute prouvée à l’encontre de ces derniers. 564. Un arrêt1033 vient s’inscrire dans la continuité des deux précédents. La décision énonce : « qu’ayant relevé que les désordres des plafonds et cloisons, non apparents à la réception n’affectaient pas des éléments d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement et, ne compromettant ni la solidité ni la destination de la maison, n’étaient pas soumis non plus à la garantie décennale, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant exactement que la garantie de parfait achèvement due par l’entrepreneur concerné n’excluait pas l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée ; ». Cet arrêt de principe connu sous le nom de Maisons Enec est généralement présenté comme une transposition de l’arrêt Delcourt rendu 17 ans plus tôt, et marque ainsi le point final de la consécration de la responsabilité de droit commun des constructeurs, pour les désordres en rapport avec la réception.

La nature des travaux visés 

Avant d’envisager le sort des désordres apparus postérieurement à la réception, quid de ceux constatés au jour même du prononcé de réception ? Sur ce terrain, s’en dégage un principe : la réparation des désordres réservés dans le procès-verbal de réception participe du prolongement1034 de la responsabilité contractuelle de droit commun et non de l’ouverture des garanties légales1035. Toutefois, il s’en dégage aussi une exception qui prévoit que la réparation des désordres, objet de réserves à la réception, mais se révélant dans toute leur ampleur et leurs conséquences postérieurement à cette dernière, relève non pas du régime de responsabilité de droit commun, mais de celui de droit spécial des constructeurs1036. Une troisième et ultime exception s’impose aux responsabilités légales et de droit commun. Elle est relative aux travaux qui ont généré des dommages qui étaient apparents le jour de la réception ; c’est-à-dire, des désordres décelables par un maître d’ouvrage profane et sans l’intervention nécessaire d’un maître d’œuvre ou d’un homme de l’art1037. Par opposition donc aux vices cachés, les vices apparents sont purgés à la réception et ne sont par conséquent pas éligibles aux responsabilités des constructeurs, sous quelque forme que ce soit1038 . 566. Une fois la réception prononcée, le droit commun de la défaillance contractuelle ne peut fonder la réparation de l’existant dont l’atteinte à la solidité ou l’impropriété à destination, résulte de l’exécution de nouveaux travaux. Il en est de même pour les éléments d’équipement indissociables atteints dans leur propre solidité, ainsi que pour les éléments d’équipement dissociables qui ne fonctionnent pas ou dont les désordres occasionnés à l’ouvrage, remplissent les conditions de l’article 1792 du Code civil1039 . De tels désordres dépendent du régime de réparation des garanties biennales et décennales. Quant à ceux qui ne correspondent pas à cette description, à l’instar du principe applicable aux désordres réservés à la réception, ils relèvent d’office de la garantie contractuelle de droit commun. Il s’agit principalement des désordres dits intermédiaires (A). En outre, la responsabilité contractuelle de droit commun subsiste lorsque les désordres portent sur certains éléments d’équipement (B). A. Les travaux à l’origine de désordres intermédiaires 567. Dans son verdict du 6 octobre 19961040, la Cour de cassation consacre ouvertement la « théorie des dommages intermédiaires », comme pour désigner les désordres ne remplissant pas les conditions de gravité bienno-décennales. Mais à vrai dire, cette consécration a eu lieu bien avant. En analysant de plus près les arrêts Delcourt et Maisons Enec1041, les Juges de cassation reconnaissaient déjà implicitement l’existence de désordres intermédiaires. La nécessaire référence au contexte des travaux sur existants s’impose une nouvelle fois. Il est vrai que les dommages intermédiaires sont généralement mentionnés dans le cadre d’une construction traditionnelle. Néanmoins, nous démontrerons à nouveau, que leur régime sied également aux opérations de travaux sur existants. 568. Ainsi, on va considérer que relèvent des garanties contractuelles de droit commun, les travaux non constitutifs d’ouvrage, au sens de l’article 1792 du Code civil. Schématiquement, c’est le cas lorsque les travaux projetés sont légers ou d’une ampleur tellement faible qu’ils ne peuvent engager la responsabilité spécifique des constructeurs. La jurisprudence a adopté ce raisonnement à propos de la réalisation de simples travaux sur la toiture d’un existant1042 . À certains égards, bien qu’il ait pu s’observer les critères subjectifs de qualification d’ouvrage au sens de la jurisprudence, nombre de travaux, en raison de leur très faible importance, sont demeurés à l’écart du régime des garanties des constructeurs. De ce fait, il peut difficilement être admis que des travaux de peinture réalisés sur une maison à des fins esthétiques1043, puissent constituer un ouvrage, bien que l’apport d’une nouvelle matière1044 à l’existant, paraîtrait indiscutable. En conséquence, le maître d’ouvrage qui constaterait des désordres nés de cette opération ne saurait se prévaloir des garanties spécifiques, et fonderait plutôt sa demande en réparation, sur la responsabilité de droit commun de l’artisan qui a réalisé les travaux1045 . 570. Aussi, tous les travaux fixés ou immobilisés au sol1046 n’ont pas toujours abouti à la construction d’un ouvrage, et donc à l’application des garanties légales des constructeurs. Tel fut notamment le cas à propos d’un barbecue pourtant accolé à une maison1047 et de la construction d’un abri de piscine1048 . 571. Le débat jurisprudentiel s’est également cristallisé autour des travaux de pose d’insert dans une cheminée. Les juges ont considéré que dans la mesure où l’entrepreneur ne procédait pas à des reprises de maçonnerie et de la structure1049, l’opération ne pouvait se voir qualifier d’ouvrage et intégrer le champ d’application de l’article 1792 du Code civil. Suivant les traces de Monsieur le Professeur Philippe Malinvaud, on signalera tout de même qu’à quelques jours d’intervalles1050, la Cour de cassation engageait la responsabilité d’un maître d’œuvre qui n’avait pas installé la cheminée, nous expliquant que c’est le manquement de ce dernier à son obligation de conseil au moment de l’installation de l’insert, qui avait été à l’origine de l’incendie de l’ouvrage

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L’adjonction d’équipements professionnels 

Au même titre que l’équipement non-professionnel, l’élément d’équipement exclusivement professionnel est une notion phare, de la réforme de l’ordonnance du 8 juin 2005. L’article 1792-7 du Code civil dispose que : « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4, les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ». Ce texte légal ne pouvant être étudié de façon anodine, il est capital que nous en saisissions les contours, en l’analysant avec une particulière attention. À notre sens1056, il ressort de l’esprit de la présente disposition, que pour être exclu du champ des garanties légales, l’équipement doit poursuivre une finalité professionnelle et revêtir un caractère essentiellement professionnel. 577. Puisqu’ils sont énoncés par le législateur, rappelons substantiellement à quoi renvoient les éléments d’équipement de l’ouvrage. Ce sont des éléments qui ne répondent pas aux critères qualificatifs d’ouvrage à part entière1057, mais sont essentiels à son bon fonctionnement et à son utilisation1058. Selon les conceptions, les exemples peuvent aller de planchers et cloisons, aux ascenseurs ou détecteurs de fumée. Conformément au droit de la construction, les dommages qui affectent des équipements de cette nature, sont susceptibles de relever du champ d’application des articles 1792 et suivants, au même titre que les éléments d’équipement constitutifs d’ouvrage ou les ouvrages proprement dits1059 . 578. Dès lors, par rapport aux éléments d’équipement professionnels, on peut légitimement se demander si des équipements, à l’instar d’outils ou de machines industriels – en raison du fait qu’ils sont contenus dans l’ouvrage – peuvent faire peser sur leurs installateurs, la présomption de responsabilité décennale des constructeurs, et contraindre à la souscription d’une assurance obligatoire. En considération de cette interrogation, on peut tout à fait convenir que la défaillance d’un outil professionnel destiné à un certain usage professionnel, puisse compromettre l’activité de l’entreprise exerçant ladite profession, mais pas l’immeuble qui abrite l’outil et poursuit toujours sa fonction de « bâtiment ». Sur la base de ce constat, un auteur1060 prend en exemple, le cas d’un ascenseur dans un immeuble de bureaux. Il explique que quel que soit le but poursuivi par les usagers de l’ascenseur, et celui-ci sera, selon toute vraisemblance, professionnel, il n’en demeure pas moins que ledit ascenseur participe aussi à la « fonction bâtiment ». Car, poursuit-il, on peut difficilement concevoir de nos jours, qu’un bâtiment à plusieurs étages puisse être livré sans ascenseur. 579. C’est là tout l’intérêt d’établir la nuance connexe au caractère exclusivement professionnel des éléments d’équipement. Puisque, ceux qui engendrent des désordres de nature à altérer la solidité de l’ouvrage, peuvent bénéficier de la garantie décennale, alors que les éléments d’équipement professionnels qui ne compromettent que l’activité professionnelle, sans pour autant porter atteinte à la « fonction de bâtiment », en sont naturellement exclus, le seul recours à la responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1231-1 du Code civil demeurant possible. 580. Par ailleurs, la consécration d’une fonction exclusivement professionnelle permet de régler le sort des éléments d’équipement mixtes. Ces composantes désignent celles qui disposent d’une double fonction dans l’ouvrage.

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