La reprise de l’activité aéronautique post chirurgie
rachidienne chez des personnels navigants civils et
militaires
Épidémiologie des PN douloureux
Afin de mettre en évidence d’éventuelles pathologies rachidiennes chez le PN, nous nous sommes intéressés à un symptôme facile à décrire : la douleur. Il est en effet plus aisé, pour les navigants, de renseigner un questionnaire de symptômes plutôt que d’aborder directement un diagnostic médical (a fortiori si celui‐ci n’a pas été posé par un praticien ou si les conclusions d’une consultation médicale n’ont pas été clairement comprises par le PN).
Population douloureuse
Ainsi 66,9 % de la population estime avoir ou avoir eu des douleurs rachidiennes. Dans ce cadre, on note des différences selon la spécialité aéronautique : les pilotes à 68 % (majoritairement de chasse et les personnels navigants commerciaux (PNC) (18 %)) en rapportent le plus. Les autres spécialités sont globalement six à douze fois moins atteintes (aux alentours de 5 % pour les mécaniciens, 3 % pour les navigateurs, les parachutistes et autres spécialités confondues différentes de celles précédemment citées). Ces résultats sont en accord avec ceux de Froom14 qui retrouvait en 1986, plus de résultats douloureux chez les pilotes d’hélicoptère que les pilotes de chasse ou de transport (respectivement 34,5 %, 12,9 % et 5,1 %). Cette comparaison semble liée au fait d’un stress en vol plus important, d’un impact majoré du fait de l’environnement aéronautique, dans des espaces de travail restreints et un port d’équipements indispensables non ergonomiques entrainant de nombreuses contraintes rachidiennes. 15 On peut également expliquer la part plus importante de PN douloureux chez les pilotes d’hélicoptère du fait de l’impact important des vibrations comme démontré plus bas ainsi qu’une part non négligeable des commandes de vol dissymétriques entrainant des postures rachidiennes pathologiques sur des vols répétés et / ou de durée importante5,8. Concernant l’incidence des douleurs rachidiennes en fonction de l’aéronef utilisé, plus de la moitié des personnes douloureuses volent sur avions commerciaux ou sur hélicoptères qu’ils soient civils ou militaires (respectivement 34 % et 30 %). Ces résultats corroborent notre propos précédent en montrant une tendance à la survenue de pathologies douloureuses rachidiennes dans des habitacles inadaptés en termes de volume, d’ergonomie, ou de port d’équipements spécifiques. Bien que la population de pilote de ligne soit plus importante dans notre étude que celle des pilotes d’hélicoptère, la prévalence de douleurs rachidiennes est également plus importante comme l’ont démontré certaines études précédemment citées ainsi que de nombreux travaux.
Environnement aéronautique
Ceci nous permet d’introduire les résultats concernant l’évaluation subjective des contraintes aéronautiques impactant la pathologie rachidienne, proposée aux participants à cette enquête. Les patients devaient coter de 0 à 5 l’impact de différents paramètres de l’environnement aéronautique : un critère coté à 0 signifie une absence d’impact et 5 un impact majeur de l’environnement sur le rachis. Les principales plaintes, auxquelles nous nous attendions, des patients concernent le maintien d’une position prolongée (coté en moyenne à 2,79/5), le port de jumelles de vision nocturne (coté en moyenne à 2,75/5), et les vibrations (cotées en moyenne à 2,55/5). Les autres facteurs prédominant rapportés par les sondés sont : l’ergonomie de l’habitacle (2,59/5), les positions inadaptées (2,6/5), le siège (2,62/5) et le poids des équipements (2,39/5). Il est étonnant que l’impact des vibrations, décrits comme un des facteurs déterminants dans la genèse de douleur rachidienne chez les PN, et notamment les pilotes d’hélicoptère, n’ait pas une pondération plus importante. Une des explications est la pondération faites par certains personnels moins concernés tels que les PNC ou mécaniciens de l’air qui est logiquement plus basse que celle des pilotes. Or notre échantillon sélectionné pour l’étude retrouve un plus grand nombre de PNC et autres PN peu soumis aux vibrations par rapport aux pilotes, notamment d’hélicoptère. Les résultats obtenus sont conformes à ce que nous attendions d’après les données de la littérature : en 1990, Bongers a montré que les vibrations associées aux postures inadaptées chez les pilotes d’hélicoptères avaient une prévalence plus élevée chez ceux souffrant de douleurs lombaires chroniques, postulat repris en 2002 par Bridgers en incluant notamment la notion de position en 16 rotation axiale. Seynaeve a, quant à lui, montré l’implication des jumelles de vision nocturne dans les cervicalgies chez des personnels navigants de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre due à un poids déporté vers l’avant du dispositif avec mise en tension des trapèzes et retentissement sur le rachis cervical. Enfin les conséquences des accélérations sur les douleurs rachidiennes ont été mises en évidence dans un premier temps en 1988 puis confirmé en 2006 par Netto et Burnett, qui montraient la prévalence des rachialgies et surtout des cervicalgies chez les pilotes d’avions de chasse américain lors des phases de combat de haute intensité où les forces gravitationnelles augmentent de manière significative. Ces informations nous permettent de vérifier que, dans la population étudiée, il existe un parallélisme assez net entre le niveau de contrainte ressenti par les PN et la prévalence des problèmes rachidiens signalés. Les spécialités dont les contraintes aéronautiques sont décrites comme importantes (notamment les pilotes militaires de chasse et d’hélicoptère) signalent plus de problèmes rachidiens. 1.3. Localisations, antécédents, et pathologies rachidiennes La répartition des douleurs rachidiennes est assez équilibrée entre les trois segments (783 atteintes lombaires, 555 dorsales et 617 cervicales) avec cependant une légère prédominance de la zone lombaire, confirmée par les études sur le sujet qui la montrent comme la localisation privilégiée des rachialgies en aéronautique. La méthode de recueil de données utilisée ne permettait pas une description précise des diagnostics des pathologies rachidiennes dont les patients souffraient. Les réponses fournies nous apportent malgré tout un certain nombre d’éléments de réflexion : l’existence, au sein de la population étudiée, d’atteintes dégénératives (arthroses, hernies discales) et de lésions traumatiques. Dans notre étude, sur les 950 navigants ayant eu une pathologie rachidienne, 87 d’entre eux signalaient une pathologie arthrosique, 179 une hernie discale. La pathologie rachidienne dégénérative a beaucoup été étudiée chez le pilote de chasse montrant principalement des désordres arthrosiques à type de pincement du disque intervertébral et d’ostéophytes pouvant varier d’un niveau à l’autre selon les études, situés majoritairement sur le rachis cervical, mais aussi sur le rachis lombaire. Une méta‐analyse66 de huit études sur les effets des accélérations soutenues sur la colonne vertébrale a effectivement trouvé une relation directe entre les maladies dégénératives de la colonne dorsale et l’exposition répétée aux fortes accélérations soutenues (p<0,001). Pourtant, une étude41 s’intéressant principalement à la prévalence des pathologies discales dégénératives lombaires et cervicales chez 286 pilotes de l’armée allemande, comparativement à un 17 groupe contrôle non navigant, a montré que la plus forte incidence était celle des non navigants (13 %). Lorsque les auteurs comparent les spécialités, ils notent que les pilotes d’hélicoptère ont un taux significativement plus élevé de pathologies du disque intervertébral (9,9 %) comparativement au groupe des pilotes de chasse et de transport (6,6 % chacun). Les premières apparitions de symptômes dans cette étude apparaissent en moyenne à l’âge de 39,2 ans (pilotes de chasse : 37,6 ; pilotes d’hélicoptère : 40,4 ; pilotes de transport : 39,2), et le nombre d’heures de vol moyennes accomplies semble significatif à l’apparition des discopathies : 2 680 heures (chasse : 1 830 h ; hélicoptère : 3 186 h et transport : 2 670 h). Les navigants qui subissent des contraintes importantes (pilotes de chasse, d’hélicoptère et d’avion commerciaux essentiellement) semblent donc avoir des lésions dégénératives prématurées, mais finalement pas plus fréquentes qu’un groupe témoin de non navigants. On peut, peut‐être, expliquer ces résultats grâce à une sélection initiale associée à un suivi médical spécialisé rigoureux, ainsi qu’à des conseils répétés d’hygiène de vie, permettant de limiter les atteintes dégénératives précoces. Le deuxième volet des lésions dégénératives est la pathologie discale. Il y a plus de 20 ans, Seigneuric faisait part d’une augmentation des hernies discales de 8 % en 10 ans (2 % en 1976 contre 10 % en 1985). Cette croissance était, pour les auteurs, expliquée par les progrès des techniques chirurgicales (avec recours plus fréquent à ces thérapeutiques) et au maintien de l’aptitude aéronautique de navigants qui étaient auparavant contraints à une reconversion. Dans notre étude, 179 navigants ont signalé une hernie discale avec une nette prédominance lombaire (170). Ce chiffre doit être pondéré puisqu’il s’agit d’une donnée subjective, déclarative. Trois cent treize personnes ont rapporté un antécédent traumatique rachidien (parmi les 950 navigants douloureux) : 36 fractures vertébrales, 14 entorses cervicales ; ou une circonstance traumatique rachidienne : 8 éjections, 145 accidents de la voie publique et 110 atterrissages d’urgence. Même s’ils sont fort heureusement assez rares, les accidents sont une réalité avec, en cas de survie du navigant, souvent des séquelles qui peuvent compliquer voire rendre impossible la réhabilitation professionnelle. Ces séquelles peuvent être orthopédiques mais aussi toucher d’autres registres (neurologique, psychologique, …) et, après une consolidation souvent longue, la décision d’aptitude est prise au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble des séquelles, de la capacité à effectuer en sécurité toutes les actions aéronautiques, de la motivation, … L’expertise, souvent complexe, débouche sur une décision d’aptitude comportant le plus souvent une dérogation aux normes d’aptitude ou un renvoi devant l’Autorité assortie de restrictions d’emploi plus ou moins importantes .
I. INTRODUCTION |