LA RELATIVITE DE LA SANCTION DE LA FAUTE DANS LE DIVORCE
« Les fautes causes de divorce délimitent en creux les obligations du mariage »482. En effet, c’est à travers la sanction en cas de violation des règles légales du mariage que le degré de permissivité est mis en évidence. L’ordre public conjugal est de ce fait, le témoin direct d’un relâchement dans la condamnation de la faute, cas de divorce. Or, « c’est un principe général du droit que chacun doit répondre de ses fautes … le mariage ne doit pas devenir une espèce d’espace d’immunité. »483 Pour autant, la faute est retenue avec moins d’automaticité. La faute s’apprécie au sein d’un couple et en fonction de ce couple. Elle s’applique avec parcimonie. La sanction d’une violation d’une obligation du mariage n’a plus pour mission de défendre l’intérêt général (la société). On assiste à une désacralisation de la faute dans le divorce (§1) qui est parfaitement illustrée par l’adultère (§2). §1 : La désacralisation de la faute dans le divorce Après avoir déterminé les contours de la faute (A.), ce qui va permettre de conforter l’idée de désacralisation, vient les questionnements sur son avenir (B.)
Les contours de la faute
Le divorce pour faute constitue l’unique sanction pour l’inexécution des devoirs et obligations du mariage dès lors qu’ils sont insusceptibles d’exécution forcée. En effet, la notion d’ordre public conjugal prend tout son sens lorsque l’on évoque sa violation. Seule la faute est donc prédisposée à définir l’ordre public conjugal. La faute dans notre droit occupe une position centrale et fondamentale en matière pénale, administrative et civile. Selon l’article 1382 du Code civil, en matière de responsabilité civile, la faute est « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer. » C’est une conception objective de la faute qui s’applique, c’est-à-dire « celui de ne pas nuire à autrui ». Elle fait appel au bon sens, au sens commun accepté et reconnu par tous. Elle ressort lorsqu’il y a une « défaillance de l’homme qui n’accomplit pas son devoir. Elle est d’abord une notion morale, saisie par l’évidence, immédiatement ressentie par tous »484. Pour Planiol, elle est la violation d’une obligation préexistante. Le droit est composé d’un ensemble de règles de conduite, et c’est la violation de ces règles de conduite qui constitue une faute. Les fautes ne sont pas toutes formulées. « Mais l’individu peut les deviner », ce sont des devoirs de comportements sélectionnés par la tradition et mis en exergues par la morale sociale.485 Pour Monsieur Le Tourneau « sera considéré comme fautif le fait ou l’abstention qui s’écarte de la conduite normale que chacun est en droit d’escompter d’autrui. La faute violation d’une norme de conduite, est un comportement anormal. »486 La faute est une notion composite et difficilement définissable487. C’est peut être ce qui explique qu’ « elle connaît un déclin irréversible (…). Les partisans de cette chute la salue comme une victoire sur l’obscurantisme, un bond en avant, un progrès dans l’histoire de l’homme ».Il explique également que ce déclin tient de la supplantation de la théorie des risques sur la notion de faute. On peut légitimement transposer la tendance que connaît la faute en responsabilité civile, en matière de divorce. En effet, c’est le risque de la vie, l’imprévisibilité des évènements maritaux qui prennent le pas sur la place de la faute. Le recul de la faute dans le divorce ne se pose pas en termes de progrès488 mais comme une direction incontournable pour aboutir à une déculpabilisation des candidats au divorce. La loi du 27 juillet 1884 dite loi « Naquet » avait admis après soixante dix ans d’absence pour seul divorce : le divorce pour faute. Elle énumérait des causes limitatives : l’adultère, la condamnation à une peine afflictive et infamante et les excès, les sévices et les injures. Le divorce pour faute était au fil des ans devenu un divorce à toutes fins. Notamment grâce à une interprétation extensive de l’injure, le divorce était largement facilité. Le législateur de 1941 pour endiguer ce libéralisme, avait ajouté pour que soit constituée une faute: « une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations résultant du mariage et rendant intolérable le maintien de la vie commune. » La loi du 11 juillet 1975 a repris ces conditions. Elle a libéralisé le divorce en ouvrant d’autres cas de divorce. Selon l’article 242 du Code civil489 : « Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune ».
L’avenir de la faute
Malgré un déclin de la faute dans le droit positif qui est passé de concept de référence au concept résiduel500, le divorce pour faute représente presque la moitié des demandes de divorce, en 2001 : 38, 3%501. C’est un des arguments les plus souvent avancés pour justifier la rémanence du divorce pour faute. Le taux de divortialité pour le divorce pour faute prouve qu’il répond à une réalité et donc, à un besoin502. Le besoin s’explique par la consolation symbolique qu’obtient la victime « dans la reconnaissance sociale de sa qualité de victime » et par l’atténuation du sentiment de culpabilité résultant de « l’imputation de l’échec de son mariage au comportement de l’autre époux ».503 Le divorce pour faute est rassurant car il permet de déterminer réciproquement les torts ou l’absence de tort de chaque époux. Ainsi, celui qui n’a commis aucune faute et qui n’est pas responsable du divorce est reconnu comme tel. Il n’est que le conjoint innocent qui n’a aucun reproche à se faire et cette confirmation vient de la justice, en d’autres termes, de la société. Cette fonction symbolique, en effet, ne peut incomber qu’aux tribunaux. D’une part « la répartition des torts entre époux relève de la compétence de la justice étatique, parce que les époux sont soumis à des obligations dont la violation est soumise à l’appréciation des juges. »504. D’autre part, seule la justice a autorité pour déterminer le coupable. En effet, elle est une autorité supérieure, impartiale et juste. Le juge confère alors à la décision le sceau de l’Etat, c’est-à-dire aux yeux de tous, il détermine le conjoint exclusivement responsable et le conjoint irréprochable. La décision de justice comporte une assise suprême insusceptible d’être remise en cause. Le débat qui se déroule lors de l’audience du divorce pour faute permet de mettre à plat les vicissitudes du passé, d’évoquer les actes malheureux, fautifs et de déterminer les torts afin que l’époux demandeur puisse se reconstruire nanti de la preuve de son absence de responsabilité reconnue par la société. Cette confrontation même passionnée, permet au conjoint de faire son deuil. « La procédure peut avoir un effet apaisant pour la victime et valeur de catharsis pour l’auteur de la faute. »505L’attribution des griefs est salvatrice pour l’époux victime. Toutefois, accorder le statut de victime dans un divorce semble discutable. Personne ne peut prétendre à la perfection, à l’amour éternel mais tous l’espèrent. Face à la nature humaine, à la vie, il semble difficilement concevable, sauf dans des situations graves (par exemple de violence) de stigmatiser le schéma coupable/victime. Une séparation ne se traite pas sur le plan de la culpabilité mais sur le plan de la responsabilité. C’est-à-dire, le consentement au mariage se veut éternel mais c’est un pari sur la vie et lorsque celui-ci ne dure pas, chacun doit accepter cette difficulté et se consacrer à l’organisation post séparation. Les candidats au divorce doivent être responsables et répondre de leurs actes. La responsabilité ne s’exprime pas en termes de sanction ou de réparation, mais en termes de capacité à gérer la crise que l’on soit du côté de celui qui a manifesté la perte d’intention conjugale ou de celui qui doit en tirer les conséquences.