La relation entre l’Union Européenne et la République Populaire de Chine
Les limites de la stratégie des investissements Stratégie ou pragmatisme ?
Quelle coordination des entreprises chinoises ? Les observateurs européens notent que « malgré la crise économique que nous vivons depuis 5 ans, la Chine n’a pas pour autant – contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer – profité de cette situation pour faire son « marché » en Occident en rachetant/investissant des pans entiers de nos économies en difficulté, à l’exception peut-être des installations portuaires du Pirée en Grèce » (Di Meglio & Gravereau 2014, pp. 57-58). De fait, les investissements chinois en Europe restent faibles au regard des capacités du pays. De plus, ils ne « constituent pas un bloc uniforme » (Di Meglio & Gravereau 2014, p. 60), il faut donc nuancer leur portée. Avant les années 2010, l’avènement de Xi Jinping et de son projet des « nouvelles routes de la soie », certains analystes comme Françoise Lemoine expliquaient que la stratégie des entreprises chinoises relevaient du pragmatisme, c’est-à-dire de cette volonté de se développer par intérêts économiques. L’augmentation des IDE chinois avait attiré l’attention médiatique au début des années 2010, notamment parce que « la quasi-totalité du capital investi est le fait des entreprises d’État chinois ou contrôlées par lui » 189, ce qui faisait déjà penser pour certains à une stratégie de conquête. Cependant, il apparaît que ce phénomène n’est pas uniquement chinois et que « les sociétés d’État sont des investisseurs internationaux actifs, qui comptent pour une part importante dans les IDE réalisés par les pays en développement » 0. Aujourd’hui la question des ambitions politiques et géopolitiques de la Chine se pose, à savoir s’il s’agit encore de pragmatisme et de développement. L’augmentation des investissements chinois dans les infrastructures européennes de transports1 tend à montrer que pour un pan des investissements, notamment des SOE, sous l’influence de l’État chinois, il s’agit bel et bien d’une stratégie, visant l’amélioration de la connectivité entre la Chine et l’Europe, dans le but de favoriser les exportations chinoises. Pour autant, certains observateurs relèvent que les données officielles tendent à montrer « un manque de cohérence et de granularité » (Seaman, Huotari & OteroIglesias 2017, p. 21) dans les IDE chinois en Europe. La Chine limitée dans ses actions post-investissements : l’exemple du Port du Pirée Les investisseurs chinois font face à des difficultés lorsqu’ils veulent investir dans l’UE. Il y a d’abord les complications législatives et administratives qu’il faut surmonter. Ensuite, il s’agit « d’accompagner efficacement les investissements une fois réalisés. Comme dans toute projection vers l’étranger, il faut que la logistique et la gestion suivent et ceci n’a rien à voir avec la réglementation ou les barrières politiques. Or les managers chinois sont encore trop peu nombreux, et c’est aussi un frein. L’« interculturel » a un rôle important à jouer dans le renforcement de ces investissements » (Di Meglio & Gravereau 2014, p. 56). Des difficultés se posent parfois aussi face à la réglementation locale, par exemple le droit du travail. En Grèce, les investisseurs chinois s’intéressent principalement aux secteurs du transport, de l’énergie, des télécommunications, de l’immobilier et du tourisme. L’investissement au niveau du Port du Pirée en Grèce n’a pas fait beaucoup débat au début. Cependant, aujourd’hui, il est un des exemples les plus connus d’investissements chinois en Europe. Ce port est l’un des plus grands de Méditerranée orientale. Cet investissement représente le plus gros projet chinois en Grèce, mais c’est aussi « une première dans les annales des transports maritimes en Europe » 2. Deux étapes ont été nécessaires : d’abord en 2008, un accord de concession pour 35 ans, de 831 millions d’euros, a été signé avec la compagnie chinoise Cosco Shiping, puis en 2016, cette dernière est entrée en possession de 51 % des parts de l’autorité de gestion du port pour 280 millions d’euros (et devrait passer à 67 % dans le futur) (Tonchev 2017, p. 71). L’armateur chinois est considéré depuis 2017 comme le « le numéro trois mondial du transport maritime » 3. Le but de l’opération globale est d’ « étendre et moderniser le Pirée pour atteindre une capacité de 3,7 millions de conteneurs par an » 4. Cette opération est bénéfique pour la Chine puisque la gestion du port lui offre un accès privilégié aux marchés de l’UE, mais « la Grèce sera aussi la station de « labellisation EU » des produits chinois, qui obtiendront par un tour de passe-passe juridique leur certification et leur transformation avant leur mise en vente sur les marchés européens » 5. C’est un point qui inquiète particulièrement l’UE. De son côté, la Grèce bénéficie de l’investissement chinois, et poursuit son projet de privatisation de ses ports et de modernisation à moindre frais des infrastructures maritimes. 2 Noëlle Burgi et Eleni Kyramargiou, « Grèce. La privatisation du port du Pirée, une première », La Documentation française [En ligne]. Publié le 31 août 2016 [Consulté le 3 mai 20]. Angelique Kourounis, « Le port du Pirée passe aux mains du groupe chinois Cosco », Le Temps [En ligne]. Publié le 5 décembre 2008 [Consulté le 3 mai 20]. Disponible sur : https://www.letemps.ch/economie/portpiree-passe-aux-mains-groupe-chinois-cosco. 5 Ibid. 79 L’opération ne s’est pas déroulée sans problème. D’abord, elle a pris du retard « après l’arrivée au pouvoir en janvier 2015 du gouvernement de gauche radicale (Syriza) d’Alexis Tsipras qui s’opposait totalement à la privatisation des grandes entreprises publiques grecques » 6. Certains contestaient également sa transparence. Il y a eu des grèves et des manifestations des dockers qui craignaient pour l’avenir de leurs emplois. L’opération a finalement eu lieu mais des inquiétudes se maintiennent, quant au devenir des armateurs grecs par exemple. En 20, on constate que le port a connu une forte croissance : il est maintenant le deuxième port de méditerranée. De fait, « 80 % des échanges commerciaux entre la Chine et l’Europe empruntent désormais ce chemin » 7. Si le développement du port a crée des emplois, « à Pérama, cité portuaire du Pirée, le chômage avoisine les 80% dans la zone des chantiers navals » 8. Tout le monde n’a pas bénéficié du rachat chinois et certains syndicalistes déplorent un travail plus intensif, plus précaire et une baisse des salaires. Par ailleurs, Cosco a également pour projet de « faire du Pirée un hub de croisière incontournable en Méditerranée » 9. Cependant, le conseil des archéologues grecs (KAS) a pris la décision de bloquer une partie du projet200. La moitié du port a été décrété « zone archéologique », ce qui restreint les projets de l’investisseur chinois en matière de construction d’hôtels et de centres commerciaux. Cela montre que la Chine, qui a investi le port du Pirée dans un objectif stratégique, ne peut pas forcément aller au bout de ses ambitions, dans le cas présent, pour des raisons culturelles201. Il faut noter que la Chine n’est pas la seule à grignoter des parts d’infrastructures en Grèce, puisque la compagnie de transport maritime française CMA-CGM est devenu copropriétaire du port de Thessalonique en 2017 et que l’Allemand Fraport a profité de la privatisation de 14 aéroports. Cela n’engendre évidemment pas les mêmes inquiétudes mais cela souligne que la Chine n’est pas la seule à se manifester dans ce genre d’opérations.
Les limites de la perception du projet BRI par les Européens
Certains observateurs ont qualifié le projet BRI de « routes de l’entre-soi » (Boisseau du Rocher & Dubois de Prisque, 20), soulignant le risque qu’il représente pour les partenaires de la Chine mais aussi pour l’Occident et ses valeurs. L’exemple du Port du Pirée, qui, au vu de son développement (et malgré les limites évoquées), pourrait être qualifié de succès, ne l’est pas forcément aux yeux des européens. Il y a en effet, « un manque relatif d’enthousiasme de l’UE pour le projet BRI, cinq ans après son lancement » 202. Les différents investissements de la Chine n’ont fait que confirmer à l’UE ses craintes concernant les motivations de Pékin dans la région. Dans son dernier document sur sa politique envers l’Europe, la Chine a appelé à « une participation active de l’UE et des autres pays européens dans le projet BRI » 203. Cela montre que le projet n’a pas eu, en Europe, l’impact désiré par ses instigateurs. C’est une autre limite du projet, qui trouve sa source dans la réaction et la perception européenne, qu’il nous faudra évoquer de manière plus précise. Malgré les limites de la stratégie notamment en Europe de l’Ouest, il faut se pencher sur l’impact qu’elle a dans les relations bilatérales entre la Chine et les pays de l’UE (et de son voisinage). Car, si les résultats actuels sont mitigés, la stratégie chinoise n’entraîne pas moins le développement d’une inquiétude de plus en plus grande à Bruxelles.
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