La réforme globale : Un prélude à la suppression du juge d’instruction ?

Les différents systèmes de procédure pénale

Avant d’examiner le régime choisi par le droit belge, il faut examiner les différents choix qu’il est possible de faire au niveau de la procédure pénale.

a. Le système accusatoire Commençons par des considérations d’ordre historique : cette procédure est la plus ancienne puisqu’on la retrouve dès l’époque de la Grèce antique, de la Rome primitive, ainsi qu’en France après les invasions barbares et pendant le haut Moyen-Âge4. Au niveau politique, elle est l’expression des régimes à large participation citoyenne.5 Ce système se fonde sur la volonté de l’Etat de maintenir un équilibre social et d’intervenir le moins possible dans le règlement des litiges qui sont gérés par les citoyens6. Ce modèle est actuellement la référence dans les pays de Common Law, tels le Royaume-Uni et les Etats-Unis, mais il prend également de l’ampleur en Europe7. La procédure pénale de type accusatoire regroupe trois caractéristiques fondamentales, sur le plan juridique : la procédure est publique, orale et contradictoire. Dans un tel système, les preuves sont entièrement constituées par les parties, que sont l’accusation et la défense, où, à ce stade, il n’y a pas d’intervention d’un juge. A l’audience, le juge a un rôle passif, revêtant l’habit d’arbitre. Les preuves doivent être acceptées par le juge et être débattues par les parties. Le juge ne dispose alors que d’un dossier embryonnaire puisque, contrairement à la procédure inquisitoire où les éléments recueillis au cours d’une instruction constituent déjà des preuves, l’on ne peut faire usage de procès-verbaux d’auditions antérieures à l’audience de jugement.8 La procédure accusatoire est caractérisée par le rôle prééminent accordé à la personne poursuivie afin qu’elle se trouve placée au même niveau que la partie poursuivante. La contradiction, dans ce type de système, est fondamentale.9 Le juge doit trancher entre les vérités que présente chaque partie, il est à la recherche d’une vérité formelle, tandis qu’au stade de la procédure inquisitoire, le juge recherche la vérité matérielle, celle qu’il découvre lui-même, sans être confiné aux thèses des parties.10 L’avantage de ce système est de conférer un rôle beaucoup plus actif à la défense. Nonobstant cela, des inconvénients existent également : les risques d’erreur judiciaire sont élevés puisque l’enquête est entièrement dévolue à la police, et éventuellement aux parties, le tout sans contrôle permanent d’un magistrat, la longueur et la lourdeur de la procédure au fond, compensée par des mécanismes extrajudiciaires de négociation et, enfin, la grande inégalité entre les accusés puisqu’il existe une justice à deux vitesses, les accusés étant tributaires des moyens financiers dont ils disposent pour rassembler les preuves.

b. Le système inquisitoire Sur le plan historique, la procédure inquisitoire prend naissance dans les juridictions ecclésiastiques et sera adoptée, par la suite, par les juridictions laïques. Elle est initialement choisie par les systèmes de tradition romano-germanique12. Sur le plan politique, cette procédure répond à un régime plutôt autoritaire, qui place les intérêts de la société au-dessus des intérêts individuels.13 Les principes de ce modèle sont choisis par la monarchie française via des ordonnances royales datant des 16e et 17e siècles. La dominante inquisitoriale est confirmée par le Code d’instruction criminelle de 180814. Au niveau juridique, trois caractéristiques sont essentielles dans ce type de procédure : celleci est secrète, écrite et non-contradictoire. Dans la procédure inquisitoire, les preuves sont rassemblées avant l’audience, par un magistrat indépendant et impartial, le juge d’instruction, qui mène les investigations à charge et à décharge. Les parties et leurs avocats n’interviennent pas à ce stade. Ce système appuie sa légitimité sur l’idée que la justice pénale ne se borne pas à arbitrer un conflit entre des parties mais qu’elle intéresse la société entière.15 Le juge du fond, à l’audience, joue un rôle actif. Il ne revêt pas le rôle d’arbitre entre des parties qui apportent des preuves et en débattent, comme c’est le cas dans la procédure accusatoire. Au contraire, c’est le juge qui dirige les débats sur les preuves qui sont déjà constituées et rassemblées dans le dossier qui lui est soumis. C’est lui qui interroge parties et témoins et recherche les preuves lorsqu’il estime que le dossier est incomplet. Cette procédure est dès lors contradictoire mais de manière limitée puisque le juge se base sur un dossier qui est déjà constitué.

Le déroulement de l’instruction

Aux termes de l’article 55 du Code d’instruction criminelle, l’instruction est « l’ensemble des actes qui ont pour objet de rechercher les auteurs d’infractions, de rassembler les preuves et de prendre les mesures destinées à permettre aux juridictions de statuer en connaissance de cause ». L’instruction, procédure judiciaire, est conduite sous l’autorité du juge d’instruction, juge du tribunal de première instance, qui en assume la responsabilité. A l’opposé de l’information, l’article 56 du Code précise que le magistrat instructeur instruit tant à charge qu’à décharge. En effet, celui-ci, lors de son enquête, doit avoir égard aux éléments tant favorables que défavorables au suspect. Il doit également être impartial et indépendant. Le juge d’instruction possède des pouvoirs colossaux, ceci dans le but de rechercher la vérité. Il peut notamment avoir recours à la contrainte et porter atteinte aux libertés et aux droits individuels27. Pour mener à bien sa mission, le juge d’instruction ordonne des devoirs, que l’on nomme les « actes d’instruction », qui sont nombreux. Parmi eux, nous pouvons notamment citer la délivrance du mandat d’arrêt, les écoutes téléphoniques, la reconstitution, la perquisition, etc. Cependant, nonobstant ces larges pouvoirs, le juge fait face à une importante limite : il ne peut se saisir lui-même d’un dossier. C’est une application du principe de séparation entre la recherche et la poursuite28 appartenant au parquet, et l’instruction appartenant au juge d’instruction.29 En effet, pour pouvoir mener son enquête, le juge doit être requis par le ministère public ou être saisi par une constitution de partie civile. Toutefois, deux exceptions sont prévues à ce principe : le flagrant délit30 et la mini-instruction31.

En présence d’une de ces deux hypothèses, le juge d’instruction a le droit de se saisir lui-même. Lorsqu’il juge que son dossier est complet et que l’enquête est accomplie, le magistrat instructeur rend une ordonnance de « soit-communiqué » afin de clôturer l’instruction. C’est ainsi que le dossier sera transmis au ministère public, celui-ci pouvant requérir des actes d’instruction complémentaires du juge d’instruction s’il estime que le dossier est incomplet, ordonner le renvoi devant la juridiction compétente, requérir un non-lieu ou rendre un réquisitoire définitif en vue du règlement de la procédure. Dès lors que le procureur du Roi a rendu son réquisitoire définitif, ce sont les juridictions d’instruction, chambre du conseil en première instance et chambre des mises en accusation en appel, qui sont saisies afin de décider de la suite qu’il convient de réserver au dossier instruit. Contrairement au ministère public, le juge d’instruction n’a donc pas la mainmise sur l’orientation à donner au dossier qu’il a instruit. Il n’est donc pas compétent pour statuer sur l’orientation de l’action publique, ce sera le rôle des juridictions d’instruction33. Sa mission s’arrête aux actes d’instruction qu’il ordonne selon sa compétence et, de façon plus générale, à mener la recherche.

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1) Avant la réforme de la procédure pénale

Au départ, et comme dans notre système, l’instruction occupait une place centrale dans la procédure préliminaire mais, de plus en plus, elle a cédé sa place au profit de la police et du ministère public (« openbaar ministerie ») qui ont obtenu la possibilité de recourir à des moyens d’enquête qui étaient autrefois réservés au juge. En effet, dès le Code de procédure pénale de 1926 (« wetboek van strafvordering »), c’est le ministère public qui est au centre du système de procédure pénale néerlandais. Il dispose, comme en Belgique, du monopole des poursuites qu’il n’est pas tenu d’exercer conformément au principe d’opportunité lui appartenant. Cependant, à l’époque, l’exercice de certains pouvoirs d’investigation nécessitait l’ouverture d’une enquête judiciaire préliminaire. Le procureur (« officier van justitie ») décidait de requérir ou non le juge d’instruction néerlandais, que l’on peut également dénommer le jugecommissaire (« rechter-commissaris »). La situation n’était pas sans rappeler celle que nous connaissons actuellement en Belgique.64 Toutefois, contrairement à notre système, le ministère public pouvait continuer son enquête, en parallèle de l’instruction menée par le juge-commissaire et ne devait pas informer ce dernier de l’avancement de l’enquête, ce qui pouvait engendrer des actes inutiles et un double travail.65 Plusieurs développements ont progressivement changé l’équilibre de la procédure pénale, notamment l’augmentation du nombre d’infractions dans les années 80, ce qui engendrait qu’un juge d’instruction ne pouvait tout simplement pas être impliqué dans chaque affaire. C’était le cas dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, qui entraînait une très longue durée d’investigation et où il n’était pas encore question d’actes d’enquête ou de détention préventive et donc, où le juge n’avait pas encore de véritable rôle.

Le ministère public, dans ce cadre, a alors obtenu beaucoup plus de pouvoirs au niveau de la détection des infractions graves, par différentes lois et notamment celle sur les pouvoirs spéciaux de recherche67. Il peut, depuis lors, exercer les pouvoirs d’enquête spéciaux, autrefois réservés au juge d’instruction, et ce, en dehors d’une enquête judiciaire. L’autorité du magistrat reste nécessaire pour certains actes d’enquête, tels que la perquisition ou les écoutes téléphoniques68. De ce fait, la participation effective du magistrat aux enquêtes a diminué sensiblement et ses pouvoirs ont été marginalisés. En parallèle de ce transfert de plusieurs pouvoirs du juge d’instruction vers le ministère public, la mini-instruction a été introduite69. Celle-ci permet au suspect de demander des actes d’instruction au juge d’instruction sans que celui-ci ne dirige l’enquête préliminaire. Son contenu diffère donc de la mini-instruction belge, où le suspect ne peut s’adresser directement au juge d’instruction.70 Le juge d’instruction ne faisait plus qu’autoriser certains actes par le biais de la mini instruction et son rôle se réduisait à ce que les acteurs néerlandais appelaient « machtigingsrechter »71 et n’effectuait plus que des actes d’investigation sur des points isolés de l’enquête (« voorpostrechter »)72 puisque le ministère public s’était vu octroyé la plupart de ses compétences et que les parties avaient besoin de lui uniquement pour autoriser certains actes. Il n’avait donc plus de vue globale de l’enquête. Le magistrat instructeur n’assumant plus son rôle de « meneur du jeu »73, sa fonction procédurale ne correspondait plus à ce qui se passait en pratique. Ces changements effectués, la pression sur le statut du juge d’instruction n’a cessé d’augmenter. Les acteurs du système de la procédure pénale néerlandaise ont alors travaillé sur une grande réforme du Code de procédure pénale. En effet, plusieurs projets de loi ont tenté de le mettre à jour et d’en améliorer la structure.

Table des matières

Introduction
I.- L’enquête pénale en Belgique
A.- La procédure pénale belge : entre inquisitoire et accusatoire ?
1) Les différents systèmes de procédure pénale
2) Le choix belge : le système mixte
B.- L’information et le ministère public
C.- L’instruction et le juge d’instruction
1) Le déroulement de l’instruction
2) Le rôle du juge d’instruction à la veille de la réforme
II.- Étude comparée de l’instruction des enquêtes pénales aux Pays-Bas
1) Avant la réforme de la procédure pénale
2) Le système actuel
III.- Le plan de réforme et la mise en cause de l’instruction judiciaire
A.- Les mesures prises concernant l’instruction
B.- La mise en cause de l’instruction
1) La double fonction du juge d’instruction
2) L’incohérence du système
3) L’inefficience de la direction de l’enquête
4) La lenteur et lourdeur de la procédure
C.- Le futur rôle du juge d’instruction
1) Pot-Pourri II : Juge d’instruction ou juge de l’instruction ?
2) La réforme globale : Un prélude à la suppression du juge d’instruction ?
IV.- Opportunité du plan de réforme
A.- La charge du parquet
B.- Les droits fondamentaux
C.- Le contrôle du juge
D.- Un moindre coût… en termes de garanties offertes ?
1) L’impartialité ?
2) L’indépendance ?
Conclusion
Bibliographie

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