LA RÉFLEXION SUR UNE LANGUE ÉTRANGÈRE

LA RÉFLEXION SUR UNE LANGUE ÉTRANGÈRE

La langue n’est pas seulement un moyen de communication ou de transmissions des significations, mais aussi de savoirs nécessaires pour établir des relations entre le développement métalinguistique et celui de savoir-faire linguistique. La réflexion sur le contenu disciplinaire accorde la priorité au traitement actif de l’information en dehors du contexte du cours scolaire (Boisvert, 1999 : 32). En développant la pensée critique et créative des élèves, les enseignants les aideront à améliorer leurs résultats scolaires et à devenir des citoyens plus accomplis (Conklin, 2012 : 8) : un vrai apprentissage se met en place quand les élèves utilisent la réflexion critique et créative, représentant deux habiletés basiques de réflexion d’ordre supérieur, ce qui leur permet d’un profond apprentissage en donnant leur l’opportunité d’une pratique cognitive et de comprendre les motifs de leurs actes. La réflexion sur une langue peut être éclaircie en parlant de la structure linguistique de cette langue ainsi que sa structure cognitive.

La structure linguistique

 La langue est posée comme système de signes, étant formé d’unités qui se conditionnent mutuellement, se distingue des autres systèmes par l’agencement internes de ces unités (Pirson, 1984 : 14) : il s’agit d’envisager la langue comme système organisé par une structure à déceler et à décrire. À cet égard, la réflexion sur la langue peut être considérée comme moyen qui permet de découvrir les lois des systèmes linguistiques de cette langue. La structure linguistique peut être traitée non exhaustivement par des éléments structuraux : la grammatisation, la structuration du discours, et la pragmatisation.

La grammatisation

Les unités lexicales (mots de contenu) se distinguent des unités grammaticales (mots de fonction) (Portine, 2001 : 274) : les unités lexicales se basent sur des significations concrètes (les noms, les adjectifs, les verbes et les adverbes), alors que les unités grammaticales se basent sur des significations moins concrètes (les pronoms, les conjonctions, les prépositions et les démonstratifs). Lorsqu’une unité lexicale prend des caractéristiques d’une unité grammaticale, l’unité lexicale devient grammaticalisée. Il – 69 – s’agit d’une grammaticalisation qui est un processus de changement dynamique, et unidirectionnel, par lequel des mots lexicaux ou des constructions syntaxiques changent de statut et acquièrent un statut de forme grammaticale (Marchello-Nizia, 2006 : 16). Quant au terme de « grammatisation », il s’emploie pour désigner deux types de faits différents (Neveu, 2004 : 181) : d’une part, le processus d’enseignement/apprentissage de la grammaire scolaire, ou la formation grammaticale partagée par tous les membres d’une communauté linguistique donnée (on grammatise un individu ou un groupe d’individus) ; d’autre part, le processus par lequel on décrit une langue au moyen d’un outillage métalinguistique qui est subordonné à un dispositif conceptuel préalable (on grammatise une langue). La grammatisation, cette création de l’outillage linguistique du français (Colombat, 2006 : 96), n’a pas eu les mêmes effets sur l’enseignement de langues comme langue de scolarisation, c’est-à-dire enseignée comme matière, comme vecteur des autres connaissances (histoire-géographie, mathématique…) et comme langue étrangère (Beacco, 2010: 67). Le fait qu’une langue soit grammatisée, signifie, selon Beacco, que l’enseignement de celle-ci comporte des activités à dimension métalinguistique. Le processus de grammatisation permet donc aux apprenants d’acquérir un savoir métalinguistique de la langue apprise (Van Campenhoudt, Lino et Costa, 2011 : 280) : ce processus de grammatisation permet aussi d’une réflexion consciente sur le fonctionnement grammaticale de la langue. Or, l’enseignement de langue a tendance de fait à devenir un apprentissage de communication dans des situations clés, où l’erreur est considérée comme inévitable et finalement accessoire (Galatanu, 2010 : 78). La perspective réflexive de cette recherche prolonge cette approche en mettant l’apprenant en interaction avec des acteurs sociaux, et en visant à l’intégration d’un savoir métalinguistique dans l’enseignement/apprentissage de la langue apprise. En ce sens, l’apprenant est considéré comme un acteur social. Il s’agit de mettre en œuvre une pédagogie de réflexion qui vise à redonner de l’authenticité à la méthode communicative et dont l’objectif premier est de motiver les élèves. 

La structuration du discours

 Le discours est constamment fluctuante de nombreuses variantes y coexistent à chaque instant, non seulement dans les différents groupes sociaux mais aussi chez tout locuteur (Yaguello, 1991, 117). Or, l’apprenant d’une langue étrangère passe par un – 70 – développement implicite des habitudes langagières (dites mécanismes d’intégration) (Myers, 2004 : 28) : entre sa première langue et la langue étrangère, l’apprenant passe par une langue intermédiaire appelée « inter-langue » qui représente grosso modo sa propre langue. Selon Myers, ce développement langagier, concernant ce phénomène de l’interlangue, exige une acquisition des habiletés pragma-linguistiques et socio-pragmatiques pour que l’apprenant devienne un complice culturel dans le sens où il s’engage mentalement à acquérir un savoir et un savoir-faire. En oral, la structuration du discours joue un rôle prééminent : pour que l’auditeur puisse juger si un énoncé est cohérent ou non, il doit aller au-delà de la structure formelle de l’énoncé parce que cette cohérence est une dimension interprétative du discours, et que le sens du discours oral n’est pas à chercher dans la structure syntaxique seulement mais aussi dans l’habillage cognitif qui le sous-tend (Guimbretière, 2000 : 50). Dans cette perspective, la cohérence dans la construction discursive peut être non exhaustivement analysée par une structuration prosodique et une autre communicative. 

Structuration prosodique

 L’intonation et le rythme sont des éléments prioritaires dans la sensibilisation systématique d’une langue donnée dans la mesure où la verbalisation est impossible sans s’appuyer sur des schémas rythmico-intonatifs (Renard, 2002 : 173) : l’intonation a, dans une dimension communicative, beaucoup de fonctions que l’on ne peut jamais réaliser sans elle. En ce sens, la maîtrise de la prosodie dans la classe de langue ne peut pas dépendre seulement des récitations répétitives. Elle consiste à rééduquer l’oreille des apprenants pour maîtriser la structuration prosodique avec toute sa richesse (le timbre, l’intonation, le rythme, la tonicité, les indices affectifs et sociaux, les pauses silencieuses, etc.) qui se dévoile à l’oral. Il apparaît donc essentiel de réfléchir sur la prosodie de la langue cible, et de positionner la structuration de la prosodie au cœur du processus de développement des sous-habiletés d’expression orale, parce que la maîtrise de prosodie représente un cadre primordial dans la construction du système langagier de l’apprenant. 

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La structuration communicative

Exprimer est donner à l’interlocuteur les moyens de comprendre, et lui présenter des arguments pour lui convaincre (Breton, 2008 : 102). La situation communicative exige que le locuteur doive maîtriser une structuration du discours lors de la transformation de   son intention linguistique en expression orale (Keller, 1985 : 109). Tout énoncé s’appuie donc sur une structure communicative qui permet au locuteur de transformer le sens de l’énoncé en message (Pollet, 2001 : 49) : cette structure communicative repose sur deux valeurs : la thématisation et la rhématisation. La thématisation reflète, selon Pollet, des choix de point de vue sur le plan de structuration des énoncés et du mode de présentation des thèmes. La thématisation est un processus qui vise à mettre en position un élément ou un ensemble d’éléments qui construit l’énoncé. Quant à la rhématisation d’un terme, elle désigne une focalisation, c’est-à-dire l’opération par laquelle on fait en sorte que ce terme devienne le centre de l’information communiquée (Nølke, 1994 : 149). À cet égard, le thème, qui représente le cadre général d’un énoncé (de quoi on parle), est l’élément connu dans l’énoncé, alors que le rhème, qui représente le propos (on dit quoi ou comment), est l’élément nouveau que l’on introduit dans l’énoncé (Paltridge, 2006 : 147) : tout message se caractérise par le fait que l’on dit quelque chose (le rhème) à propos de quelque chose (thème). Dans cette optique, la structuration communicative de l’expression orale repose sur une cohérence qui se réalise par une continuité thématique et une progression rhématique. Il convient donc d’aider les élèves à être intelligibles en structurant leurs pensées verbales et développer l’enchaînement de leur expression orale pour qu’ils puissent guider la pensée de l’auditoire. 

La pragmatisation

L’interprétation des énoncés repose sur l’application des instructions qui permettent d’atteindre leur sens (Trognon et Ghiglione, 1993 : 104). Trognon et Ghiglione notent aussi que l’échange des messages oraux s’appuie sur une intention informative et une autre communicative : la première intention repose sur un sens conceptuel ou extérieur, tandis que la seconde repose sur un sens intérieur. Ce dernier se fonde sur la production et l’interprétation d’indices, assez souvent linguistiques, qui constituent autant d’opérations cognitives mobilisées par le locuteur pour co-construire une intention communicative spécifique et utilisée par l’interlocuteur pour interpréter cette intention. La pragmatisation est un processus qui vise à donner à une unité linguistique le statut de pragmatème (qui représente une unité minimale de sens et d’interaction) (Reboul et Moeshler, 1998 : 80) : ce processus consiste à utiliser librement des morphèmes autonomes (pragmatèmes) qui s’appuient sur l’interaction et les attitudes des locuteurs. La pragmatisation se déclenche en général par des emplois innovateurs qu’un locuteur crée  pour arriver à certains buts communicatifs (Verbeken, 2009 : 128). Pour Verbeken, la pragmaticalisation est une manière de sémantisation ou de conventionnalisation de fonctions pragmatiques qui se fondent sur une organisation de l’interaction linguistique. D’ailleurs, la pragmatisation, contrairement à la grammatisation, conduit à l’émergence d’unités qui jouent des rôles sur le plan de la macro-syntaxe du discours (Dostie, 2004 : 63) : les unités pragmatiques ne participent que rarement au contenu des messages énoncés mais ils ont des fonctions pragma-sémantiques qui visent à réaliser des actes illocutoires et les lier les uns aux autres. Sous le nom de connecteurs pragmatiques, ces unités sont considérées comme des marqueurs qui indiquent des connexions intérieures dans les actes linguistiques de l’oral. Par ailleurs, Talbot (2012 : 113) a mis l’accent sur l’idée que les méthodes traditionnelles n’accordent pas assez de place à l’activité de l’apprenant et aux relations maître-élève(s). Talbot valorise aussi le fait de détacher des approches traditionnelles en dépassant la démarche magistrale qui est très centrée sur les contenus d’enseignement, sur les processus de mémorisation, d’autorité et d’émulation. Pour autant, en se focalisant sur la sociolinguistique et la pragmatique dans l’enseignement/apprentissage des langues, les exercices grammaticaux ne se limiteront pas à la phrase, mais s’étendent à l’énoncé (Kroubo Dagnini, 2008 : 61) : cette focalisation porte sur le sens à transmettre, sur l’acte à réaliser, et sur les outils linguistiques. Autrement dit, les contenus grammaticaux sont abordés en fonction des besoins de communication (savoir-faire et actes de langage) qui sont les sujets d’étude. Dans cette optique, avec la pragmatisation des savoirs, de la formation et de la culture, l’enseignant serait moins un formateur qu’un médiateur entre l’élève et des savoirs qui n’auraient qu’une valeur d’utilité (Tardif et Lessard, 1999 : 298). De plus, l’élaboration pragmatique s’appuie sur le fait que les concepts sont des entités vivantes, en réélaboration perpétuelle, au centre des processus de pensée (Mayen, 2008 : 55) : le système des concepts élaborés par un individu se transforme selon deux processus dont chacun étaie l’autre (le premier processus est une opération visant à résoudre un problème, tandis que le deuxième s’appuie sur le biais de la rencontre avec les autres individus et la culture). Sur ce plan, il convient que l’enseignement de langue organise, de manière consciente et volontaire, les conditions de rencontre entre les éléments externes des produits de la cultures que sont les savoirs et savoir-faire élaborés par les membres de la communauté linguistique concernée et les éléments internes de la – 73 – pensée et de l’action des élèves. En ce sens, l’enseignement des pensées analytique et critique devient une ambition afin de mettre en œuvre ces deux processus de l’élaboration du système des concepts. Fondés sur ce qui précède, les éléments structuraux (grammatisation et pragmatisation) s’appuient sur des habiletés de réflexion (analyse, abstraction, déduction, évaluation, etc.) qui consistent à comprendre et acquérir les unités fonctionnelles et lexicales de la structure linguistique de la langue apprise. D’où la nécessité de faire réfléchir les élèves sur la structure linguistique (ou les valeurs des unités structurelles) de la langue cible.

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