La réflectométrie Doppler
La réflectométrie Doppler est une technique de mesure locale de la vitesse perpendiculaire des fluctuations de densité, basée sur la rétrodiffusion collective d’un faisceau incident microonde. Un décalage Doppler est causé par le mouvement des fluctuations. Contrairement au cas de la réflectométrie “standard” (mesurant ne), le faisceau n’est pas envoyé dans le plasma en incidence normale : un léger angle toroïdal et poloïdal lui est donné. Ceci permet de donner une composante perpendiculaire non nulle au vecteur d’onde du faisceau incident, et de ne pas recueillir le signal réflechi par la couche de coupure. La vitesse perpendiculaire des fluctuations est proche de la vitesse de dérive E ×B ; il est alors possible d’utiliser la réflectométrie Doppler pour étudier le champ électrique radial. Ce diagnostic peut en outre servir à caractériser les propriétés locales de la turbulence (énergie) à différents vecteurs d’onde. Les débuts de l’emploi de la réflectométrie Doppler en tant que diagnostic datent de la fin des années 90. Les premières études furent effectuées sur les machines Tore Supra [Zou 99], W7-AS [Hirsch 01] et Tuman-3M [Bulanin 00]. Auparavant, l’effet de la vitesse perpendiculaire du plasma sur le signal réflechi était connu en réflectométrie standard, mais plutôt considéré comme un parasite (phénomène de phase runaway). Le réflectomètre Doppler de Tore Supra a été installé en 2003, et porte le nom de DIFDOP (DIFfusion DOPpler). Il faisait suite au diagnostic de diffusion vers l’avant ALTAIR [Truc 92], fonctionnant à l’aide d’un laser CO2, qui avait été désinstallé en 1999 en raison de la construction du LPT. Parmi les tokamaks équipés de réflectomètres Doppler se trouvent également ASDEX [Conway 04] et DIII-D [Hillesheim 09.
Principe de la réflectométrie Doppler
Diffusion collective
La réflectométrie Doppler repose sur la diffusion d’une onde électromagnétique par les fluctuations d’un milieu turbulent. Cette technique est qualifiée de collective, la puissance du signal diffusé étant due à l’existence de structures organisées (les fluctuations) impliquant un grand nombre de particules. Dans un plasma, la diffusion est causée par les électrons, dont l’inertie est plus faible. Fig. 4.1: Diffusion à longue distance. Nous considérons un ensemble d’électrons (diffuseurs) de charge (−e) situés au voisinage d’un point O, et soumis à une onde électromagnétique incidente de champ électrique : Ei (M, t) = Ei0 exp i(ωt − ki .r) Ces particules subissent un mouvement oscillant et, étant accélérées, émettent un rayonnement électromagnétique à la même pulsation ω (diffusion élastique). Un observateur, placé en un point P situé loin des diffuseurs (i.e. OP = R ≫ λ = 2πc/ω) voit la superposition des champs dipolaires émis par chacune des particules. 70 Le champ électrique rayonné à longue distance par une particule j, située en rj peut être calculé en utilisant la solution des potentiels retardés (avec r ′ = R−rj , et r ′ = |r ′ |, nj = r ′/r′ et kd = ω/c.) : E j = r0 r ′ exp i(ωt − kdr ′ ) exp(−i ki .rj ) nj × (nj × Ei0) (4.1) où le rayon classique de l’électron a été introduit : r0 = µ0 4π e 2 m = 2.82 × 10−15m Diffusion cohérente Afin de calculer l’onde électromagnétique diffusée par le milieu, une hypothèse supplémentaire est effectuée : les dimensions du volume de diffusion sont petites devant la distance à l’observateur (|rj | ≪ R). Ceci permet de simplifier la relation 4.1, en tenant compte du fait que : nj = R-rj |R-rj | ≃ R R = n r ′ ≃ R kd r ′ ≃ kdR (1 − R.rj R2 ) ≃ kd n .(R – rj ) Ainsi, chaque onde sphérique diffusée possède localement (au voisinage de P) une structure d’onde plane de vecteur d’onde kd = kd n. Le champ électrique total est la somme des champs diffusés par chaque particule : E = X j E j = r0 R exp iω(t − r ′ c ) exp(−i ki .rj ) nj × (nj × Ei0) = r0 R exp iω(t − R c ) X j exp i(kd − ki).rj ! n × (n × Ei0) (4.2) Lorsque le milieu est décrit de façon continue par une densité n, la somme sur l’ensemble des diffuseurs P j exp i(kd − ki).rj est remplacée une intégration sur le volume faisant apparaitre la transformée de Fourier de n suivant le vecteur d’onde de diffusion k = kd − ki (V 71 étant le volume de diffusion) : E = r0 R exp i(ωt − kR) n × (n × Ei0) × Z V n(r, t) exp i k.r d 3 r (4.3) En considérant les relations 4.2 et 4.3, il peut être remarqué que l’amplitude de l’onde diffusée par le milieu sera grande si celui-ci présente une organisation des diffuseurs ayant un vecteur d’onde de l’ordre de k. Ce dernier est fixé par la géométrie de la diffusion. Lorsque cette condition n’est pas satisfaite, par exemple dans le cas d’un gaz au repos, la somme des contributions des termes exp i(kd − ki).rj est beaucoup plus faible en amplitude, les phases étant distribuées aléatoirement. Décalage en fréquence du signal diffusé Le mouvement des diffuseurs induit un décalage en fréquence du signal diffusé. Ceci peut être visualisé en considérant la relation 4.2. Si l’on suppose que le milieu possède un mouvement d’ensemble à la vitesse V, on a alors, en écrivant pour chaque particule rj (t) = rj (t = 0) + Vt : E ∝ X j exp i k.rj (t) ! × exp i ωt = X j exp i k.rj (t = 0)! × exp i (ω+k.V)t (4.4) D’où le décalage Doppler du signal émis : ∆ω = k.V (4.5) 4.1.2 Réflectométrie Doppler En réflectométrie Doppler, un faisceau micro-ondes est envoyé dans le plasma ; le signal receptionné provient de la diffusion vers l’arrière kd = −ki , soit k = kd − ki = −2ki . Le choix des fréquences de l’onde incidente (dans la gamme 50 – 110 GHz sur Tore Supra) a été effectué afin d’avoir un vecteur d’onde de diffusion tel que k⊥ρi soit voisin de l’unité (plage typique 0.3 − 3), où ρi est le rayon de Larmor ionique thermique. Cette échelle est caractéristique de nombreux modes instables du plasma (Ion Température Gradient, Trapped Electrons Modes). L’onde est lancée avec un léger angle toroïdal et poloïdal par rapport à la normale de la dernière surface magnétique fermée. Un trajet typique de rayon projeté dans le plan poloïdal est montré à la figure 4.3, ainsi que les surfaces iso-indices. Lorsque l’onde est polarisée en mode O, ces dernières coïncident 7 Fig. 4.2: Schéma de principe de la rétrodiffusion Doppler (inclinaison des lignes de champ magnétique exagérée, de même que l’angle d’incidence toroïdale, en réalité très faible, quelques degrés). avec les surfaces magnétiques, l’indice optique ne dépendant que de la densité électronique. Le trajet du rayon est fortement déflechi dans une zone proche de la coupure où l’indice optique N s’annule. Notons toutefois que la couche de coupure n’est pas nécessairement atteinte : ainsi, dans l’exemple présenté les valeurs minimales de l’indice vues par le rayon sont de l’ordre de N ∼ 0.1. Ceci constitue une différence avec la réflectométrie standard, où l’incidence du faisceau étant normale à la DSMF, le faisceau est réflechi sur la couche de coupure. Le signal rétrodiffusé est recueilli par le récépteur (situé au niveau de l’antenne) après un trajet de retour inverse. Le faisceau utilisé est gaussien, avec une amplitude E ∝ exp(−x 2/w2 ), où x est la distance au centre du faisceau, et w sa largeur. Le faisceau possède une légère divergence (2.2° sur Tore Supra), et tend également à s’élargir dans le plasma par réfraction. La diffusion s’effectue sur un volume total V de l’ordre du produit de la surface du front du faisceau et de son trajet dans le plasma. Cependant, la majorité du signal rétrodiffusé décalé en fréquence provient d’une zone située près de la couche de coupure : ceci est justifié dans la suite de ce paragraphe. Dans ce but, nous pouvons réécrire l’expression de l’intensité du signal rétrodiffusé (4.3) dans le cas d’une diffusion s’effectuant le long du parcours du faisceau. Il est supposé que les propriétés du faisceau et de la turbulence varient lentement le long de la trajectoire du faisceau, décomposées ici en “tranches” indexées par (s). L’expression (4.3) devient alors, en 73 0 0.2 0.4 0.80.6 1 Antenne+récepteur Fig. 4.3: Trajectoire typique d’un rayon (en mode O) et lignes iso-indices. Le point de rebroussement du faisceau est situé légèrement à l’extérieur de la couche de coupure, d’indice nul. utilisant (4.4) : E ∝ exp iωt X s E (s) i0 × Z V(s) n(r, t) exp i k (s) .r d 3 r × exp(ik (s) .V (s) t) Ainsi, à chaque pas s, un “facteur de forme” dépendant de la transformée de Fourier des fluctuations de densité dans la direction du vecteur d’onde pondère l’intensité du signal réceptionné. L’intensité du champ de l’onde incidente varie également le long du faisceau, et augmente au fur et à mesure que celui-ci approche de la couche de coupure. En effet, il peut être montré dans le cadre de l’approximation WKB, valable en dehors de la zone de coupure, que ce terme varie en 1/ √ N (où N est l’indice optique). Par conséquent, E (s) i0 est plus élevée près du point de la trajectoire où l’indice optique est minimum, ce qui tend à localiser les mesures dans son voisinage (mais ceci n’est pas la principale raison expliquant la localisation des mesures). Les “facteurs de forme” R n(r, t) exp i k.r dV dépendent des caractéristiques spectrales des fluctuations. Nous nous intéressons aux trois directions suivantes : parallèle, perpendiculaire, et radiale.