LA REDUCTION COLLECTIVE DU TEMPS DE TRAVAIL CHEZ LES CADRES UN BILAN AMBIVALENT

Hormis la France, les processus de RTT engagés dans plusieurs pays (Allemagne et Pays-Bas par exemple) ont souvent écarté les cadres. L’application des «35 heures» s’est réalisée en France selon des modalités particulières (jours non travaillés, fréquence des forfaits jours) et un contrôle souvent spécifique (gestion des présences par défaut et auto-déclaration). Certaines lacunes du processus de négociation ont été dénoncées : le classement abusif dans la catégorie «cadre dirigeant», la dérive dans l’application du forfait jour (Steinman, 2001) ou l’absence de prise en compte des spécificités du travail des cadres. Cadres et temps partiel 

LA REDUCTION COLLECTIVE DU TEMPS DE TRAVAIL CHEZ LES CADRES UN BILAN AMBIVALENT 

 La réorganisation du travail s’est heurtée à un certain nombre de réticences, surtout liées aux difficultés de concilier les exigences des différents acteurs (l’entreprise, le client ou le salarié) notamment dans les services tournés vers le public. Des aménagements ont toutefois été expérimentés comme: • La délégation de responsabilités vis à vis de cadres et de non cadres, le partage des connaissances; • Le développement de la polyvalence dans les équipes; • La restriction de la plage horaire des réunions, la mise en oeuvre de chartes de bonnes pratiques (ordre du jour, respect des horaires) ; • La régulation dans l’usage des TIC; • La simplification des processus de décision ou professionnalisme accru des conduites de projets; • La restriction des champs d’intervention des commerciaux ou la révision des objectifs. Malgré les doutes que certains pouvaient exprimer sur les bénéfices des 35 heures pour les cadres (Bouffartigue, 1998 ; Lebaube, Giacometti et Baverel, 1998), les cadres apparaissent plus satisfaits que les autres salariés du bilan global de la RTT (Delteil et Meda, 2002). Leur bilan personnel est cependant nettement plus positif sur la vie hors travail que sur la vie au travail. Selon le Ministère de l’emploi 3(Delteil et Meda, 2002), 67% des cadres constatent une amélioration de leur vie quotidienne alors qu’ils ne sont que 32% pour les conditions de travail. Cette satisfaction est particulièrement forte pour les femmes. La RTT signifie du temps accru pour soi et une amélioration de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

UNE SATISFACTION GLOBALE PLUS ELEVEE POUR LES CADRES QUE POUR LES AUTRES SALARIES 

A travers la valorisation de l’ensemble des temps SOCIaux et pas seulement du temps professionnel, la RTT est porteuse de changements pour l’identité des cadres dont on pourrait supposer que la reconnaissance peut maintenant emprunter d’autres voies que 3 Enquête RTf et modes de vie conçue par la DARES au long de l’année 2000 visant à comprendre les effets de la RTf sur les modes de vie des salariés aussi bien au travail qu’en dehors du travail. Cette enquête a été menée auprès de 1618 salariés dont 262 cadres Cadres et temps partiel Chapitre 3 194 l’investissement professionnel. Par ailleurs, la RIT pourrait avoir un effet positif sur la mixité des carrières des cadres grâce à l’amélioration de la conciliation vie personnelle/vie professionnelle, la banalisation des absences de l’entreprise permise par le compte épargne temps et la remise en cause de la disponibilité comme critère principal d’évaluation. L’enquête «RIT et modes de vie» menée par la DARES et citée ci-dessus, révèle une satisfaction globale des cadres vis à vis de la RIT plus forte que celle des autres catégories, malgré une augmentation de la charge de travail plus prononcée que dans les autres catégories, caractérisée par un resserrement des normes, du contrôle et une augmentation des objectifs. n convient de noter que cette satisfaction se réiere davantage à la vie hors travail qu’à la vie professionnelle. Le temps libre est, chez les cadres, plus souvent choisi que dans les autres catégories de salariés. Ils lui accordent également plus de valeur, les usages en sont plus variés et plus commodes. Du côté de la vie professionnelle, la maîtrise dans la détermination des horaires et du temps libre ainsi que la régularité du temps travaillé contribuent également à une satisfaction plus élevée et une perception plus positive que les autres salariés de l’impact sur les conditions de travail. Pour résumer, la plus grande satisfaction des cadres quant à l’évolution de leur Ie quotidienne depuis la RIT peut s’expliquer par leur maîtrise, plus forte que les autres catégories de salariés, de l’organisation des temps travaillés et non travaillés.

DES CUV AGES IMPORTANTS 

Si les modalités ont été souvent adaptées à l’autonomie du cadre et à la flexibilité de ses activités cette loi a aussi introduit des clivages au sein des entreprises (entre anciens et nouveaux embauchés par exemple) et entre entreprises, contribuant ainsi à un véritable éclatement .des conditions de vie et de travail. La recherche menée par Bouffartigue et Bouteiller montre que les différences arithmétiques entre deux « accords 35 heures» peuvent par exemple aller jusqu’à 21 jours de congés (Bouffartigue et Bouteiller, 2000,2001) . La RIT accentue également les clivages déjà présents au sein de la population (Bouffartigue et Bouteiller, 2000,2001). Ainsi, les cadres dirigeants demeurent en dehors de la réglementation. Les cadres hiérarchiques sont soumis à des tensions et des objectifs contradictoires qui les obligent à jongler avec les plannings. La recherche menée sur huit Cadres et temps partiel Chapitre 3 195 entreprises au début de l’année 1999 par Bouffartigue et Bouteiller (2000) montre les limites et l’ambivalence des 35 heures pour certains cadres et certains contextes d’entreprise. La mise en œuvre de la RTT pour les cadres producteurs, soumis à une multiplicité de demandes, suppose une renégociation des objectifs et de l’organisation collective.. Enfin, la RTT ne satisfait pas toujours l’expert indépendant dont la rémunération est liée à ses résultats. Pour finir, les femmes cadres doivent faire face à des temporalités hétérogènes et conflictuelles liées à leur double rôle professionnel et domestique. Au-delà de ces différences de perception, la RTT a renforcé les critères distinctifs de la catégorie cadre. Par rapport aux autres catégories de salariés, leurs contraintes personnelles semblent avoir été mieux prises en compte lors de la négociation des accords, leurs horaires sont plus réguliers et plus prévisibles, le nombre d’heures travaillées au-delà du temps prévu par l’accord est beaucoup plus élevé que pour les autres catégories socio-professionnelles, ils sont plus nombreux à travailler chez eux et à ne pas prendre l’intégralité de leurs congés. Pour résumer, les cadres semblent avoir tiré en moyenne moins d’avantages de la RTT en termes de gains de temps que les autres salariés mais compensent par une meilleure maîtrise de ces temps. Si la RTT a renforcé la frontière entre cadres et non cadres, elle a également renforcé les différences au sein même de cette catégorie : • Entre cadres encadrants et cadres non encadrants : les premiers apparaissent plus autonome dans la fixation de leurs horaires, sont plus nombreux à déclarer des dépassements d’horaires, rapportent plus souvent du travail à la maison. Ils sont globalement moins satisfaits de la RTT, sont plus nombreux à constater une dégradation de leurs conditions de travail et se sentent plus stressés. Ils sont enfin moins nombreux à dresser un bilan positif de la RTT sur la vie quotidienne; • Entre hommes cadres et femmes cadres: les femmes sont plus nombreuses à avoir des journées plus courtes (la formule des demi-journées non travaillées est plus fréquente chez les hommes). Elles sont également plus nombreuses dans la classe des cadres intégrés que chez les cadres autonomes. Leurs dépassements d’horaires sont moindres et elles sont moins nombreuses à ne pas prendre l’intégralité de leurs congés. Elles sont plus globalement plus satisfaites de la RTT et sont moins touchées par l’intensification de la charge de travail. Elles sont plus satisfaites de l’impact de la RTT sur la vie quotidienne mais leur surinvestissement dans les activités domestiques n’a pas reculé. Cadres et temps partiel Chapitre 

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UNE INTENSIFICATION DE LA CHARGE DE TRAVAIL 

 Lorsque les particularités du travail des cadres et ses temporalités n’ont pas été prises en compte, les cadres ont été obligés d’intensifier et même parfois d’allonger leurs journées de travail. Les accords et les pratiques n’ont pas toujours posé la question de l’allègement de la charge de travail. Certains évoquent la difficulté à discerner quelle est la part réelle de la charge de travail et celle de l’organisation personnelle du cadre. Les exigences n’ont pas été diminuées en termes de résultats. «On a demandé aux gens d’être plus efficaces». Les embauches se sont fait en priorité au niveau du personnel opérationnel et plus parcimonieusement au niveau des cadres dont on sait que les tâches sont moins interchangeables. Les cadres sont ainsi partagés entre leur aspiration à disposer de plus de temps libre et les difficultés engendrées par le maintien de la charge de travail ou la non maîtrise du choix des journées libérées. Il est vrai que la planification et l’évaluation a priori de la relation charge/durée est difficile. Le cadre effectue des tâches complexes, qui se chevauchent et dont les horizons temporels sont très différents : tâches de réflexion, de création, de rédaction, de décision mobilisant des connaissances techniques méthodologiques mais aussi des ressources psychiques. Le bilan en matière d’employabilité et d’organisation des temps sociaux (temps de travail, temps d’utilité sociale, temps personnel et familial, temps de formation) est incertain. Les temps d’échange et de lecture sur le lieu de travail sont réduits et l’articulation des temps sociaux reste à organiser sur un plan collectif. L’enquête Cadroscope 2002 de l’APEC montre que 1/3 des cadres interrogés seulement déclarent des recrutements dans leur service consécutifs à la mise en place de la RIT. Seulement 22% des cadres déclarent travailler moins et 50% jugent que leur charge de travail a augmenté par rapport à 2000. Mais paradoxalement la part de cadres déclarant une charge de travail excessive est en baisse depuis 1999. Ceci peut s’expliquer par le fait que la charge de travail a pu augmenter mais rester dans une norme supportable, grâce, peut-être à la meilleure maîtrise des temps évoquée par les recherches de la DARES (Delteil et Meda, 2002).

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