La récupération améliorée du pétrole
La production d’un gisement pétrolier se déroule généralement en trois étapes, dont les deux premières permettent de récupérer en moyenne 30 % des réserves d’hydrocarbures. Ces réserves se trouvent enfouies à plusieurs kilomètres à des températures et des pressions parfois extrêmes. La première étape de production (ou récupération primaire) consiste à générer au fond des puits de pétrole ou de gaz une pression inférieure à la pression du réservoir. Ainsi sous l’effet de la différence de pression, les hydrocarbures vont se diriger vers le puits et remonter à la surface. Au bout d’un certain temps, la pression du gisement diminue et la différence de pression ne suffit plus à la remontée. Le taux de récupération primaire se situe autour de 5 % OOIP (OOIP pour Original Oil in Place ou l’huile présente initialement dans le gisement) pour les bruts lourds et peut atteindre 25% OOIP sur certains gisements de pétrole léger, très fluide. On entre alors dans une seconde étape, la récupération secondaire ou IOR (Improved Oil Recovery). On injecte de l’eau ou du gaz à la base du gisement pour balayer le plus de surface possible et pousser l’huile vers les puits de production tout en maintenant la pression dans le réservoir. L’IOR devient insuffisant lorsque le rapport eau injectée/pétrole produit est trop important. La récupération moyenne après cette étape se situe autour de 30 % OOIP. Une troisième étape dite de Récupération Assistée du Pétrole (Enhanced Oil Recovery : EOR) peut permettre la récupération d’une partie du pétrole restant (entre 5 % et 20 % OOIP), grâce à des méthodes dont la caractéristique principale est de changer les propriétés de mobilité de l’huile dans le réservoir par des procédés thermiques ou chimiques. Ces procédés utilisés en récupération tertiaire sont généralement complexes et coûteux, ce qui ne rend cette étape viable économiquement que dans des conditions de prix du pétrole élevé. La récupération améliorée du pétrole
Aspect historique
Entre octobre et décembre 1973 éclata le premier « choc pétrolier » de l’histoire. Jusqu’aux années 1970, les grandes compagnies pétrolières imposent aux pays producteurs de pétrole des prix faibles où le baril de pétrole vaut moins de 2 $. Au début des années 1970 la forte demande de pétrole des pays industrialisés et la découverte de nouveaux gisements en Alaska et en mer du Nord (dont les coûts d’exploitation élevés nécessitent une hausse des prix pour être rentables), créent des circonstances favorables aux pays pétroliers pour augmenter les prix. Un deuxième facteur est le conflit israélo-arabe. Suite à cet événement, le prix du pétrole est multiplié par plus de quatre et passe de 2,59 $/baril en octobre 1973 à 11,65 $/baril en décembre 1973, en référence au brut léger arabe [3]. A cette époque, on opérait surtout selon les techniques de récupération primaire, mais à partir du moment où les prix ont augmenté (entre 40 $ et 65 $ le baril entre 1974 et 1981) [3], les compagnies ont cherché à mettre au point des techniques de récupération assistée afin d’augmenter le coefficient de récupération. Par la suite, la chute des prix du pétrole dans les années 1980 a rendu non rentable économiquement l’utilisation de ces techniques de récupération améliorée. Avec un prix moyen du pétrole autour de 65 $/baril pour l’année 2009, l’EOR redevient maintenant une option raisonnable économiquement. L’augmentation de 1 pour cent du taux de récupération correspond à 2 ans de consommation au rythme actuel. Ces facteurs expliquent pourquoi les estimations des économistes du pétrole pour les années à venir (Figure 1), prédisent à l’EOR un futur plein d’opportunités d’expansion. Chapitre 1 : Contexte et état de l’art 13 Figure 1: Consommation d’huile projetée à 2030 et proportions des sources de production estimées. L’EOR représente une fraction importante de l’huile produite dans ces estimations.
Aspect technique
Normalement, le pétrole qui ne peut pas être extrait par la récupération primaire ni par la récupération secondaire reste fixé dans la roche par action des forces capillaires (cas de réservoirs de pétrole léger) ou bien du fait des viscosités très élevées (cas des bruts lourds ou des sables bitumineux). C’est à dire, qu’il reste dans le puits une quantité d’huile importante qui est mesurée par une quantité appelée la « saturation d’huile ». La récupération tertiaire vise alors à pousser plus efficacement le brut vers les puits producteur. En général, les méthodes de récupération tertiaire sont divisées en méthodes thermiques (très utilisées et efficaces dans la récupération de bruts lourds) et en méthodes non thermiques (pour la récupération de bruts légers) elles mêmes classées en miscibles, immiscibles et chimiques. [1] Les méthodes chimiques, bien que relativement peu utilisées à grande échelle jusqu’à maintenant, consistent à injecter dans le puits des formulations chimiques qui ont pour objectif principal d’améliorer la mobilité de l’huile à l’échelle macroscopique et/ou de remobiliser l’huile résiduelle bloquée dans le réservoir en diminuant la tension interfaciale entre la phase aqueuse et l’huile en place. Ces techniques sont considérées comme des stratégies adéquates pour de nombreux gisements d’huiles légères, mais leur coût est élevé. Des formulations très diverses peuvent être utilisées : des polymères (« polymer flooding »), des tensioactifs, des solutions micellaires, des alcalins et des mélanges entre ces composants, comme les formulations ASP (ASP pour injection successive d’alcalins, de surfactants et de polymères).
Mécanismes physiques liés à la récupération tertiaire
Avec la récupération primaire ou spontanée, on induit un écoulement successif ou simultané d’huile, de gaz et d’eau salée du gisement vers les puits producteurs et la surface. Mais dès que la pression du gisement devient insuffisante, la production diminue et le pétrole résiduel reste piégé dans le gisement. Des méthodes de récupération secondaire entrent alors en jeu, comme l’injection d’eau ou de gaz pour maintenir la pression et déplacer l’huile, ce qui permet d’accroître la production et donc de diminuer la fraction d’huile restant dans le gisement. Toutefois, à un moment donné, cette deuxième étape atteindra un palier et une quantité d’huile résiduelle restera piégée dans le puits. Outre le pétrole, des quantités importantes d’eau et même de gaz restent piégées. La nature de la roche-réservoir peut avoir une affinité avec le pétrole (dite hydrophobe) ou avec l’eau qui l’accompagne (dite hydrophile) ; cette affinité est plus ou moins marquée selon la composition de la roche. Dans ces conditions, la rétention du pétrole dans la roche est liée aux forces capillaires ; la mobilisation de cette huile résiduelle, implique généralement l’injection de fluides complexes pour vaincre les forces capillaires. Une représentation simplifiée de cette situation implique au moins une surface solide (la roche) et deux fluides immiscibles (pétrole et eau) dont les quantités sont non négligeables. En condition d’équilibre, une goutte de pétrole reste piégée par l’eau qui est autour d’elle par l’effet de la capillarité. Cependant, comme le montre la Figure 2, les conditions de piégeage sont différentes selon la nature de la roche et dépendent des tensions interfaciales entre les trois phases qui coexistent. Pour caractériser cette affinité, nous pouvons mesurer un angle de contact entre ces phases, par exemple entre la goutte de pétrole et la surface solide. Par la suite, nous aborderons en détail toutes ces notions qui expliquent comment une goutte d’huile est piégée dans des conditions statiques. Chapitre 1 : Contexte et état de l’art 15 Figure 2 : Schéma des portions de roche partiellement remplies d’eau et de gouttes de pétrole. À gauche, dans une roche qui a une affinité au pétrole. À droite, dans une roche qui a une affinité à l’eau. L’eau injectée (de gauche à droite) trouve des conditions plus ou moins favorables pour déplacer le pétrole piégé selon cette affinité. Pour récupérer le pétrole qui est piégé dans la roche, il est nécessaire de mettre le système en mouvement (Figure 2). Initialement il existe dans la roche une fraction de chaque fluide définie comme la saturation, qui va diminuer au fur et à mesure de l’injection d’un fluide extérieur (par exemple de l’eau). L’injection d’eau ou de gaz lors de la récupération secondaire et de formulations chimiques au cours de la récupération tertiaire modifie considérablement les équilibres entre ces fluides à différentes échelles, de même que les propriétés des écoulements. Chaque roche se comporte d’une façon différente lors du passage des fluides et sa résistance à l’écoulement est inversement proportionnelle à une caractéristique qui est la perméabilité. Chaque fluide a de même une capacité à s’écouler lors du passage à travers la roche qui est représentée par la mobilité. Dans une situation idéale, un système avec une haute perméabilité, ou avec une mobilité de la phase huile (pétrole) élevée, conduira à une réduction significative de sa saturation dans la roche. Ces concepts sont abordés plus en détail dans la suite du manuscrit. Pour mesurer l’efficacité liée à ces processus de déplacement de l’huile par une phase aqueuse (avec ou sans additifs) en extraction pétrolière, différentes échelles peuvent être considérées. À l’échelle macroscopique, les facteurs qui affectent le déplacement dépendent des caractéristiques de la roche (composition, porosité, hétérogénéités, etc.) ainsi que du rapport de mobilité entre le fluide qui déplace et le fluide qui est déplacé. À l’échelle du pore, plusieurs facteurs interviennent, dont la mouillabilité de la roche, les forces visqueuses et les forces capillaires. En conclusion, après la récupération secondaire, une quantité d’huile (saturation résiduelle) reste piégée dans le réservoir. Certaines quantités d’huile restent sur la paroi des pores, d’autres bloquent certains pores – complètement ou partiellement – avec l’apparition de 16 chemins préférentiels. La récupération tertiaire peut intervenir au niveau de l’échelle du pore sur les équilibres entre la mouillabilité de la roche, les forces capillaires (dépendant des tensions interfaciales entre les phases) qui tendent à piéger l’huile, et les forces visqueuses qui contribuent à la mobiliser afin de diminuer cette saturation résiduelle. La compréhension des phénomènes de piégeage et d’écoulement diphasique dans un milieu poreux est nécessaire pour optimiser les processus de récupération améliorée du pétrole.
Piégeage d’une goutte dans un système diphasique : forces capillaires
Une goutte de pétrole reste piégée dans une roche par effet des forces capillaires. Pour comprendre la nature de ces forces, il faut d’abord définir la grandeur physique qui est à son origine : la tension superficielle.
Tension superficielle
D’un point de vue physique, la tension superficielle σ est la force de tension appliquée par les molécules placées au sein d’un fluide sur les molécules qui sont placées à sa surface du fait de la différence entre les forces de cohésion sur chaque catégorie de molécules. En effet, une molécule au sein du fluide bénéficie des attractions de toutes ses voisines, alors qu’une molécule située à la surface bénéficie seulement de la moitié de ces attractions. Les forces d’attraction augmentent en même temps que la tension superficielle. Lorsqu’un système est constitué de deux phases condensées, on parle de tension interfaciale (nous allons garder par la suite la même dénomination que pour la tension superficielle) qui peut être considérée comme une mesure de l’immiscibilité entre deux liquides ou bien comme la force nécessaire pour créer de la surface entre ces deux liquides immiscibles. La tension interfaciale traduit donc l’amplitude des forces d’attraction internes ; plus ces dernières sont élevées, moins les fluides vont vouloir « partager » l’interface. Une définition mécanique peut être proposée (Figure 3) : une expérience classique pour définir la tension superficielle consiste à représenter un film de liquide supporté par un cadre rectangulaire dont l’un des côtés est mobile. Si l’on relâche la barre mobile, celle-ci se déplace de façon à diminuer la surface du film liquide ; pour maintenir la barre en place il faut exercer une force F proportionnelle à la largeur l du cadre. Pour accroître la surface d’une quantité dS ldl = , l’énergie nécessaire est le travail W de la force F : dW Fdl ldl dS = = σ = σ 2 2 (1.1) La force de traction agissant sur un élément de surface situé dans un plan tangent à la surface qui s’oppose à l’augmentation de celle-ci est traduite par la tension superficielle entre le liquide et l’air. Quand deux phases (gaz – liquide, liquide – liquide, gaz – solide ou liquide – solide) sont en contact, les forces entre les molécules le long de cette interface sont déséquilibrées, et ce déséquilibre engendre une énergie de l’interface. La valeur de la tension superficielle à 20 °C de l’eau est de 72,8 ± 0,1 mN/m, celle d’une huile légère se situe autour de 50 mN/m. Dans un gisement la tension interfaciale entre une saumure (phase aqueuse) et l’huile est de l’ordre de 30-40 mN/m [6].
Mouillabilité et angle de contact
Comme nous l’avons précisé dans le paragraphe précédent, une valeur élevée de tension interfaciale est synonyme de haute immiscibilité entres deux phases liquides. Cependant, il existe aussi un paramètre géométrique pour mesurer l’affinité entre la phase solide et une phase liquide, à savoir l’angle de contact θ . Pour commencer, demandons nous si l’étalement d’une goutte de liquide est favorable sur une surface solide (Figure 4) : il faut d’abord comparer l’énergie de la surface solide (Es) dans le cas où elle est seule ES=ΛSO ou recouverte d’une couche de liquide ESL=ESL(ΛSL), de telle façon que l’interaction entre les deux interfaces soit négligeable (film macroscopique). 18 Figure 4 : Schéma des énergies interfaciales pour une surface recouverte ou non de liquide avec : ΛLO = Énergie interfaciale entre le liquide et le vide, À gauche, l’énergie de surface est ESL= ΛLO + ΛSL et à droite ES= ΛSO La présence du film est favorable si ESL < ES. Introduisons le paramètre d’étalement So = ES – ESL ; si So > 0, la présence du film est favorable et représente une surface complètement mouillée. Si So est négatif, le film ne s’étale pas et il en résulte une calotte sphérique qui s’appuie sur le substrat avec un angle de contact ( θ ) : on parle d’une mouillabilité partielle.