La recherche d’une méthode transdisciplinaire
Nous n’avons donc pas choisi une méthode traditionnelle ou classique pour conduire ce travail de recherche. Nous sommes les héritiers du concept de culture mosaïque défini par Abraham Moles : « L’écran de notre culture n’est plus un réseau aligné avec des traits principaux et des traits secondaires, une sorte de tissu, ou de toile d’araignée. Des fragments de pensée s’agrègent les uns aux autres, au gré de la vie de tous les jours, qui nous prodigue un flot la recherche d’une méthode transdisciplinaire #$! constant d’informations. Ce flot nous submerge : en réalité, nous prélevons, au hasard, dans la masse des messages qui se déverse sur nous ». Cette recherche a été nourrie par des rencontres, des échanges informels, le hasard même y a eu sa place. C’est une recherche en « ricochet », où de textes en articles, de rencontres en expositions, un fil s’est tissé autour d’une seule et même question : comment apprendre d’un regard ? Tout d’abord, nous nous sommes inspirée des travaux de Baudouin Jurdant sur la vulgarisation scientifique. Nous avons envisagé le chercheur comme un vulgarisateur scientifique, sans être dans un discours dépréciatif. Aujourd’hui la posture du chercheur a changé, modifiée par les nouvelles technologies de l’information. Nous pouvons aussi comme Olivier le Deuff rendre hommage à l’éclectisme méthodologique décrit par Yves Jeanneret : L’idée d’éclectisme méthodologique (au sens étymologique du terme), c’est-à-dire le choix de méthodes à partir d’une problématique et d’enjeux, peut caractériser ce type de recherche, dans laquelle les idées neuves peuvent naître de l’utilisation d’outils classiques – et aussi des outils neufs de la contextualisation nouvelle d’outils anciens. Dans ce cadre, la tradition française des sciences de l’information et de la communication (faut-il dire : l’exception française ?) me semble particulièrement précieuse. En effet, les phénomènes ici étudiés, qui ont tant de mal à se ranger en disciplines (leur faible prise en compte par les sections du CNRS est à cet égard significative) opèrent à la jonction des concepts de rhétorique des textes et d’espace publics, à la jonction des « sciences de la documentation », du livre, de l’édition, de la position auctoriale et des « sciences de la communication », des médias, des institutions, des messages contemporains, ce qui ne fera sans doute que se confirmer avec les nouveaux régimes du texte. Cette thèse est le fruit de différents choix d’une professeur documentaliste, confrontée quotidiennement au terrain et qui, face à des situations problèmes, a cherché des réponses auprès de spécialistes, de scientifiques, d’autres chercheurs, n’écartant aucune proposition et expérimentant plusieurs procédés. Il nous a semblé important de communiquer ces travaux pour donner un état des connaissances auxquelles nous avions abouti dans notre recherche d’une #%! éducation à l’image photographique pour les élèves du secondaire. Nous citerons aussi Dominique Wolton dont les mots ont agi comme un tremplin : « la science et la technique sont aujourd’hui au cœur des sociétés, des enjeux économiques, de pouvoirs et de la mondialisation. Les scientifiques doivent apprendre à communiquer et à faire des allers retours avec la société, pour trois raisons. Répondre aux demandes dont ils font l’objet. Expliquer les résultats de recherches scientifiques et technologiques. Préserver néanmoins leur autonomie de travail. » (Wolton, 2009). C’est à partir d’une observation de pratiques en collège et lycée, commencée en master, que nous avons pris la mesure du manque d’éducation à l’image dans l’éducation secondaire en France alors même que l’image est omniprésente dans nos vies quotidiennes. Nous avons étudié les programmes afin de modéliser une séquence pour remédier à ce besoin de formation des élèves. Nous avons imaginé des projets qui se sont révélés bien insuffisants, s’appliquant à une seule classe et contribuant à ce que nous dénoncions, une éducation à l’image en saupoudrage. C’est à partir d’entretiens conduits auprès des professionnels de l’image, de questionnaires complétés par les élèves volontaires pour évaluer leurs acquis et leurs besoins en fin de cursus dans l’enseignement secondaire, que nous pouvons, forts de ces analyses, proposer modestement un parcours de formation à l’image photographique au lycée pour des élèves de Terminale. Nous reviendrons sur les méthodes utilisées dans le premier chapitre. En dernier lieu, nous aimerions mettre en exergue la conclusion lue dans le publibook : Éducation aux médias et pédagogies innovantes : Enjeux et perspectives, où les auteurs : Laurence Corroy, Emilie Roche, Emmanuelle Savignac notent que : « les pratiques ont toujours précédé la théorisation ; parce que le besoin de mettre en œuvre ses convictions et sa vision du monde est toujours plus fort que la démarche de recul par rapport à soi-même et de réflexion sur la pertinence de ce qu’on fait ou voudrait faire » (Corroy, Roche, Savignac, 2017). Ces lignes nous ont confortés définitivement à partager ces travaux de réflexions nés d’une pratique pour construire une théorie.
Une méthode résolument constructiviste
Ces recherches se sont ancrées dans une actualité en évolution et en quête de légitimation pour l’EMI (l’éducation aux médias et à l’information) pour la profession des professeurs documentalistes. L’objet scientifique qui a retenu notre attention a été la photographie, principalement la photographie de presse, plus largement, la photographie informative. Nous avons dû tout d’abord dû définir la photographie informative comme objet, comme médium, comme savoir en puissance avant de l’étudier en contexte scolaire. Il a été privilégié une observation participante, c’est un travail de recherche qui a emprunté le procédé de l’abeille de Bacon, qui a tenté de trouver une voie médiane entre réflexion théorique et pratique. Bacon avait donné ce conseil : « Le savant ne doit pas faire comme l’araignée, qui tire tout d’elle-même. Il ne doit pas non plus se borner à amasser des faits, comme la fourmi des provisions. Il doit grouper, classer les faits et en découvrir les lois, semblable à l’abeille qui élabore son miel. » Bacon associait les empiriques aux fourmis, les rationalistes aux araignées et définissait le procédé de l’abeille « tenant le milieu entre ces deux : « elle recueille ses matériaux sur les fleurs des jardins et des champs ; mais elle les transforme et les distille par une vertu qui lui est propre ». Selon lui, c’était le véritable travail de la philosophie mais qui peut s’appliquer selon nous, aujourd’hui, aux sciences de l’information de la communication et de la documentation. La problématique a sans cesse évolué en fonction des études réalisées sur le terrain. Des enquêtes sous forme de questionnaires ont été menées auprès des élèves et de leurs enseignants sur leur connaissance de la photographie, des entretiens conduits à partir de ces sondages. L’analyse de ces derniers a permis de créer un parcours d’éducation à l’image, définir des séquences #’! pédagogiques et mener des séances auprès d’élèves. Pour construire ce savoir à transmettre, l’étude des dictionnaires, des lexiques, de l’histoire de la photographie a été nécessaire. La question qui a animé le chercheur dans ce premier temps de l’étude a été que transmettre ? La question du comment s’est posée ensuite. Il n’y avait dans ce cas précis de l’éducation à l’image photographique aucun manuel scolaire, aucun guide. Il a fallu assembler, tisser un savoir et créer les outils pour atteindre l’objectif : définir les éléments d’une culture de l’information photographique. S’est enchainé ainsi observation, hypothèse, création de séances pédagogiques et d’outils, évaluation, remédiation, adaptation du modèle. Il s’agit de « penser l’action en situation » pour reprendre l’expression d’Alex Mucchielli. (Mucchielli, 2007). Effectivement, nous étions face à une « situation problème pour un acteur » où l’acteur était le professeur documentaliste est la situation-problème était d’enseigner l’image à des élèves de collège et de lycée, sans cours ni méthodologie à l’appui. Le cadre de l’action était le collège et le lycée, régit par des programmes imprécis. Effectivement, comme le souligne Alex Mucchielli, il y avait dans cette recherche une part de connu et une part d’inconnu. Le part de connu était le manque d’outils (dans les programmes, la formation pour l’enseignant) pour transmettre cette connaissance mais au delà, le manque de vulgarisation, de « cours », de leçon, dirons-nous, sur la photographie de presse tant sur son histoire que sur sa lecture dans les manuels scolaires. Il paraissait paradoxal que l’école nous apprenne à lire dès le CP, mais que la lecture d’image ne soit que très peu évoquée et maîtrisée par les élèves en collège et lycée. Pour le dire encore autrement, il n’y a pas d’enseignement de l’image institutionnalisé en collège et au lycée. C’est une éducation partagée entre le professeur de français, d’histoire-géographie, de sciences. Ces derniers avouent ne pas avoir de connaissances ni avoir été formés. Partant du principe que quand quelque chose n’existe pas, il est à créer, nous avons voulu répondre à cette problématique née du terrain. Il incombait non plus au professeur documentaliste que nous sommes de résoudre ce problème mais il était nécessaire d’invoquer le chercheur que nous souhaitions devenir.