La réalité unitaire des droits de jouissance à temps partagé

LE RECOURS AUX THÉORIES EN PRÉSENCE

Avant de procéder à un raisonnement comparatif entre le droit de copropriété et les droits de jouissance à temps partagé, il convient, au préalable, d’analyser au mieux le droit de copropriété et ses caractéristiques. La copropriété est un mode d’accession à la propriété, dérogeant à la conception absolue et intangible du droit de propriété issu de la Révolution française et retranscrit dans l’article 544 du Code civil français. Il s’agit d’un droit original portant sur le bien. Par conséquent, la question primordiale273 a été, sur ce sujet également, de qualifier juridiquement le droit en présence274. Est-on en présence d’un droit unique portant sur l’ensemble du bien275 ?
Ou bien est-il possible de procéder à une distinction de ces droits sur le bien276 ? Dans cette dernière hypothèse, comment s’organise la répartition de ces droits et quelle est leur qualification ? La thèse unitaire du droit de copropriété, antérieure à la loi du 10 Juillet 1965, est scindée en deux courants doctrinaux. D’une part, certains auteurs privilégiant le caractère absolu du droit de propriété et refusant ainsi la permanence de la copropriété, considéraient la « division d’un immeuble par étages » comme « une juxtaposition de droits de propriété individuels assortis de toute une série de servitudes actives et passives destinées à permettre l’utilisation de l’appartement ».
D’autre part, des auteurs comme PROUD’HON et LABBE278 envisagent la division d’un immeuble par étages comme « une indivision assortie d’un partage provisionnel des appartements cela, afin de respecter la règle, qu’ils considéraient comme absolue, posée par l’article 815 du Code civil ». Ce courant doctrinal reprochait aux défenseurs de la première thèse unitaire de ne pas tenir compte du « tout homogène » de la maison « dont les parties sont solidaires les unes des autres ». Par la suite, l’analyse de la copropriété revient à la conception unitaire279. En effet, de nombreuses critiques ont été évoquées sur le sujet de la conception dualiste du droit de copropriété280. Dans un article publié avant la loi de 1938, le Professeur HEBRAUD estimait qu’à elles deux « la propriété privative et la part de copropriété » formaient « un droit complexe mais unique »281. Suite à la loi de 1938, le Professeur CHEVALLIER282 adoptait une position identique. Ainsi, il s’agit d’un droit de copropriété qui n’est pas soumis au partage et bénéficie d’un « véritable statut, rendu nécessaire par l’intérêt collectif qui se dégage de la division de la maison par étages ». Monsieur PIEDELIEVRE, quant à lui, considère que « le droit de copropriété est un droit réel fortement pénétré de rapports personnels, ce qui ne serait pas d’ailleurs un exemple unique, du fait de son aménagement collectif, de son esprit quasi-communautaire ».
Le droit de copropriété, conçu comme un droit unique, se rapprocherait de la qualification juridique d’un droit indivis. Le droit de copropriété, envisagé comme un droit unique, conduit à considérer l’immeuble dans son ensemble, comme un tout sur lequel chaque copropriétaire serait titulaire d’un droit concurrent portant sur l’ensemble de l’immeuble. Par conséquent, ce droit porterait sur un droit decopropriété indivis organisé, échappant au principe conduisant au partage prévu à l’article 815 du Code civil français284. Selon les auteurs partisans de cette thèse, le droit de copropriété est un droit complexe à l’intérieur duquel plusieurs catégories de droits s’interpénètrent. « La coexistence de la propriété privée et de la copropriété est tellement nécessaire pour réaliser la propriété de l’appartement qu’on peut les dire indivisibles (…). A elles deux, la propriété privative et la part de copropriété forment un droit complexe mais unique, ce sont deux faces d’un droit juridique complexe : un droit réel sur une partie déterminée d’un tout »285. Certains ont ajouté un critère d’intensité, afin de nuancer la conception unitaire de ce droit, sans pour autant accepter la théorie dualiste. Ainsi, « le droit d’usage est évidemment différent sur l’appartement et sur l’ensemble de l’immeuble, mais il ne s’agit que de différences d’intensité dans les prérogatives qu’il comporte tenant à la nature des diverses choses et de leur affectation. Le droit est juridiquement unique »286. Néanmoins, la qualification du droit de copropriété comme droit unique a été écartée par la jurisprudence et contestée par le second courant doctrinal. A l’occasion d’un contentieux portant sur une indivision successorale, la Cour de cassation a raisonné sur deux droits : un droit indivis sur les parties communes et un droit privatif. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation287 a considéré que : « […] les dispositions de cet article [l’article 815 du Code civil] sont inapplicables à l’indivision nécessaire résultant de la co-propriété des parties communes d’un immeuble par les propriétaires des différents appartements qui y sont situés ; que, si les lois qui organisent cette co-propriété leur imposent certaines obligations, ces co-propriétaires n’en reçoivent pas moins des droits privatifs d’utilisation et de jouissance sur l’appartement dont ils sont titulaires, et dont ils peuvent disposer dans les conditions légales ; que, par suite, c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a admis qu’il était possible éventuellement de mettre fin à l’indivision successorale par l’attribution personnelle à certains indivisaires d’un appartement dépendant de l’immeuble dont ils étaient co-propriétaires indivis ; qu’ainsi les griefs du premier moyen ne sont pas fondés ; […] »
Par la suite, la loi du 10 juillet 1965288, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, a consacré la thèse dualiste du droit de copropriété en distinguant le droit exercé sur les parties privatives de celui exercé sur les parties communes. La référence à la théorie dualiste, courant doctrinal retenu par la loi du 10 Juillet 1965, distingue le droit de propriété exercé sur les parties privatives du droit de copropriété portant sur les parties communes, ce dernier correspondant plutôt à une indivision forcée. Cette thèse est dominante et défendue par « les auteurs les plus considérables »289 comme BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIERE290, PLANIOL et RIPERT291, PICARD, MARTY et RAYNAUD292, CARBONNIER293. Cette loi prévoit la distinction des parties privatives et des parties communes dès l’article 1er294. Les parties privatives relèvent de l’usage exclusif d’une copropriété déterminée. « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble » . Parties privatives et parties communes sont intrinsèquement liées. Néanmoins, le droit du copropriétaire sur ses parties privatives est amené à être considéré dans une acception restrictive. Par conséquent, cet article limite la portée du droit de propriété de l’article 544 du Code civil, puisqu’il use et jouit de la chose, sans 291 PLANIOL et RIPERT, t. 3, par M. PICARD, n° 319 : « La maison divisée par étages ou par appartements ne se trouve pas elle-même en état de copropriété. Chacun des ayants droits a la propriété exclusive et complète de son étage ou de son appartement et il peut exercer sur celui-ci tous les droits d’un propriétaire, réserve faite des obligations qui découlent pour lui du voisinage spécial auquel il est soumis. Mais, en même temps, certaines parties de l’immeuble se trouvent en indivision forcée. Il y a donc superposition de propriétés distinctes et séparées, compliquée de l’existence d’une copropriété portant sur les parties nécessairement communes ou affectées à l’usage commun des différents propriétaires ».
Voir également, GIVORD Fr., GIVERDON Cl., CAPOULADE P., op.cit., § 221, p : 97. 292 MARTY et RAYNAUD, Droit civil –Les biens-, 2ème éd., 1980, n° 240, vol. 2, p : 300 : « Il est permis de reprocher à cette analyse [la thèse unitaire] de rendre assez difficilement compte de la différence que, malgré tout, la loi établit entre les parties communes et les appartements individuellement affectés et en particulier de ne pas expliquer l’impossibilité pour chaque copropriétaire d’exercer un droit sur les appartements des autres qui paraissent bien échapper ainsi à sa copropriété ».
Voir également GIVORD Fr., GIVERDON Cl., CAPOULADE P., op.cit., § 221, p : 97.293 CARBONNIER, Droit civil, t. 2, § 838, p : 1796 : « Activement, la situation de chaque copropriétaire est faite de deux droits réels : un droit de propriété sur la partie privative, un droit de copropriété sur les parties communes, deux droits réels distincts et néanmoins réunis pour former un même lot ».
« La présente loi régit tout immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis dont la propriété est répartie, entre plusieurs personnes par lots comprenant chacun une partie privative et une quotepart de parties communes. A défaut de convention contraire créant une organisation différente, la présente loi est également applicable aux ensembles immobiliers qui, outre des terrains, des aménagements et des services communs, comportent des parcelles, bâties ou non, faisant l’objetde droits de propriété privatifs ». avoir un droit absolu sur celle-ci. Certains auteurs considèrent le copropriétaire comme un propriétaire. Le droit de propriété comprend l’usus, le fructus et l’abusus, ce dernier critère étant susceptible de permettre au titulaire de ce droit, la destruction de la chose sur laquelle porte ce droit. Or, l’article 2 de la loi du 10 juillet 1965298 restreint ce droit. En effet, il ne peut détruire l’objet de son droit, contrairement au droit de propriété énoncé à l’article 544 du Code civil.
Il nous a été donné de voir précédemment qu’une première théorie dite « unitaire » est apparue, avant d’être écartée par la théorie « dualiste ». Une théorie dite « néo-unitaire » s’est fait jour, en essayant d’établir un compromis entre les deux précédentes thèses. La définition légale de la nature juridique du droit du copropriétaire semble incertaine. Ainsi, le droit de copropriété suppose d’une part, une restriction spatiale du droit de propriété, d’autre part, une restriction des critères même de ce droit. En effet, le copropriétaire peut disposer de son bien tant qu’il ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires. Après nombre de débats sur l’acception du droit de copropriété, la doctrine299 et la jurisprudence300 conclurent à l’application du régime d’une indivision forcée. L’instabilité de la conception juridique du droit de copropriété rejoint la versatilité de la conception juridique des droits de jouissance à temps partagé. Les copropriétaires sont néanmoins considérés comme des propriétaires.
Par conséquent, si ce raisonnement appliqué au droit de copropriété est valable, pourquoi ne pas le transposer en matière de droits de jouissance à temps partagé ?
La thèse dualiste s’inscrit dans une démarche théorique susceptible d’être transposée aux droits de jouissance à temps partagé. Le titulaire de ces droits acquerrait un droit sur les parties communes et un droit sur les parties privatives, lorsque le logement serait individualisé contractuellement. Le choix de la catégorie de l’immeuble pourrait être interprété en ce sens. La différence majeure repose sur la multiplicité de copropriétaires sur un même lot, ce que ne prévoit pas en théorie le droit de copropriété, mais le raisonnement reste le même. Ces droits présentent une originalité supplémentaire au droit de copropriété. En matière de copropriété, le droit portant sur les parties privatives revient à un seul titulaire. Or, les droits de jouissance à temps partagé supposent la présence de plusieurs titulaires de ce droit, sur une même partie privative. Les droits de jouissance à temps partagé et la copropriété comportent des liens certains. Dès lors, il est envisageable de réfléchir à une adaptation du droit de copropriété dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé. Ce schéma représenterait une transition entre le refus du droit de créance et la reconnaissance du droit de propriété. Cette adaptation peut éventuellement se réaliser par la notion de lot301. Ce rapprochement a déjà été évoqué dès 1974.
Ces similitudes permettent ainsi de confirmer le recours au droit réel pour les droits de jouissance à temps partagé. Ainsi, les droits de jouissance à temps partagé constitueraient un droit de copropriété, auquel aurait été ajouté un fractionnement temporel de ce droit, légitimant la présence d’une multitude de titulaires sur un même droit. L’analyse des charges permet de constater un rapprochement étroit des charges de copropriété de celles supportées par le titulaire de droits de jouissance à temps partagé et conforte ainsi la nécessité du recours au droit réel.

LIRE AUSSI :  L’exécutif au Parlement

LA GÉMELLITÉ DE LA NOTION DE « CHARGES »

En matière de droits de jouissance à temps partagé comme en matière de copropriété, les charges sont scindées en deux grandes catégories : les charges générales (§ 2) et les charges spéciales (§ 3), dont le non-paiement est sanctionné (§ 4). En effet, le paiement des charges exigé par la société constitue une source de contentieux. Néanmoins, la jurisprudence française, après quelques hésitations, tente d’établir une distinction en l’absence de décret particulier en la matière.
L’organisation de cette répartition est basée sur le modèle de la loi portantsur la copropriété. En effet, sur certains points la loi du 10 juillet 1965 et la loi du 6 janvier 1986 (§ 1) se rejoignent.

La superposition de la loi du 10 Juillet 1965 et de la loi du 6 Janvier 1986

Les deux obligations à la charge de l’associé d’une société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé ont été calquées sur les principes régissant les sociétés d’attribution. En effet, auparavant, aucun cadre juridique spécifique n’existait. Le mécanisme des droits de jouissance à temps partagé était basé, en droit français, sur la loi du 16 juillet 1971 relative aux sociétés d’attribution303. Cette répartition des charges procède certes de la loi de 1971 portant sur les sociétés d’attribution, mais afin de déterminer une qualification juridique des droits de jouissance à temps partagé, il convient de se référer également au régime de la copropriété, issu de la loi de 1965.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *