La question coréenne et en particulier le problème de la réunification des parties Sud et Nord du pays pose de nombreux problèmes juridiques. Parmi les rares juristes occidentaux (à l’exception des américains) s’intéressant à ce sujet, le sujet est traité sous l’angle de « l’Etat non démocratique » dans ses relations avec un Etat démocratique et le reste de la communauté internationale.
Après des dizaines d’années de dictature militaire, la République de Corée, au sud, a été admise dans le concert international. Les élections qui s’y déroulent sont considérées comme libres, et le pouvoir des élus est jugé effectif , malgré la très forte concentration économique (les « Chaebols ») qui exercent la totalité du pouvoir économique et malgré l’influence exercée par les Etats-Unis qui considèrent la péninsule coréenne comme un espace hautement stratégique.
Au contraire, la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC), au nord, est présentée comme ayant tous les attributs d’un Etat non démocratique (absence d’élections démocratiques, violation des droits de la personne humaine), et qui malgré sa longue existence (depuis 1949) et son appartenance à l’ONU, n’a pas été acceptée par le monde occidental (notamment les Etats-Unis et la France). Comme l’analyse le professeur Jean d’Aspremont , la question coréenne se limiterait à deux questions. La première question est relative à la coexistence d’un Etat non démocratique avec notamment la République de Corée, mais aussi avec l’ensemble de la société internationale (problème de la reconnaissance de l’Etat nordiste, problème des droits de cet Etat, par exemple son droit à l’armement nucléaire et son droit à l’autodétermination politique et économique, et finalement problème de sa légitimité). Un Etat non démocratique peut-il être reconnu comme souverain ? De nombreuses chancelleries occidentales le contestent. La seconde question soulève la possibilité ou l’impossibilité d’une coopération avec un Etat non démocratique comme la RPDC, qu’il s’agisse de la République de Corée ou d’autres Etats.
L’embargo que connaît la RPDC depuis 1949 de la part des Etats-Unis et de nombreux Etats occidentaux, dont la France, semble indiquer que les sanctions l’emportent sur la coopération et qu’il y aurait non responsabilité d’Etat à refuser une coopération « normale » aussi longtemps que le régime de Pyongyang présenterait des caractères totalitaires.
La validité des traités, accords et engagements de l’Etat nordiste n’auraient qu’une valeur incertaine et le développement des relations économiques constitueraient une violation des valeurs fondamentales que prônent le monde occidental. Les relations doivent être réduites au maximum, comme le pratiquent les Etats-Unis et la France. Le problème de la réunification de la nation coréenne est donc hypothéqué par la nature de l’Etat nord-coréen. Sa position géostratégique, toutefois, au cœur de l’Asie et à proximité immédiate de la Fédération de Russie et de la Chine, rend impossible toute « intervention pro-démocratique » , comme elle a pu se produire de la part des Etats-Unis en 2003 avec l’Irak, ou de la France en 2011 en Côte-d’Ivoire et en Libye.
La théorie de la « guerre juste » est bloquée par delà son inexistence légale confirmée par l’arrêt de la Cour Internationale de Justice de 1986 relatif à l’affaire des « activités militaires et paramilitaires au Nicaragua ». On constate que la récente notion de « la responsabilité de protéger » n’est pas non plus invoquée dans le cas de la population nord-coréenne dont les grands médias occidentaux mentionnent pourtant la situation difficile.
Si l’on s’attache au contraire aux dispositions fondamentales de la charte des NationsUnies, le noyau « dur » du droit international, et plus particulièrement aux dispositions concernant l’égale souveraineté des Etats, le principe de la noningérence, celui du libre choix pour chaque peuple de décider de son régime politique et économique, il apparaît que la RPDC ne peut être qualifiée d’ « Etat non démocratique », catégorie dont la nature juridique est des plus incertaines et est contestée par la majorité des Etats de la société internationale. Dans les faits, d’ailleurs, les Etats qui refusent à la « démocratie » toute autre définition que celle de nature élective et respectueuse des seuls droits civils et politiques et considèrent qu’elle n’est pas seulement une question « intérieure », se compromettent avec des Etats qu’ils ne mettent pas en cause (le Qatar par exemple, ou de nombreux régimes autoritaires africains ou asiatiques).
En réalité, la question coréenne est une illustration de la domination du fait sur le droit. Les controverses juridiques sur la plupart des questions coréennes échappent à l’emprise du droit aussi bien de la part des protagonistes directs du Sud et du Nord que de la part des grandes puissances concernées (Etats-Unis, Chine, Fédération de Russie, Japon) en premier lieu.
La part du droit dans la question coréenne est minime. Toutes les analyses juridiques à son sujet sont biaisées et les « recettes » qu’elles peuvent proposer sont totalement inopérantes. Les questions majeures sont a-juridiques. Elles relèvent avant tout de la géostratégie des grandes puissances et des spécificités socio-culturelles propres à la nation coréenne.
On ne peut pas envisager de parler de la RPDC si l’on reste ethnocentrique. Etudier un phénomène étranger c’est se débarrasser de cet ethnocentrisme, c’est-à-dire de la tendance à privilégier les normes et les valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés. La connaissance de l’autre est affaire délicate. Pouvoir parler d’une société éloignée de l’aire culturelle à laquelle on appartient est aventure. Des voyages et des rencontres nombreuses ne sont pas une garantie contre les erreurs d’interprétation. La RPDC n’est pas « mystérieuse » : elle n’est « ermite » que de réputation dans un Occident malade de sa vieille hégémonie planétaire depuis la Renaissance et du complexe de sécurité qui en résulte.
Pour des raisons de stratégie, le « jeu » des Etats-Unis et de leurs alliés est d’assurer la fin prochaine du régime nord-coréen par extinction de ses forces et d’en majorer simultanément la puissance et la dangerosité. Un certain nombre d’auteurs, dont Pierre Rigoulot , s’efforcent de penser le politiquement correct de commande et font de l’ « anti-Pyongyang » primaire. Ils ont encore moins de données que ceux qui manifestent une solidarité, mais leurs conclusions étant acquises d’avance, ils n’en ont guère besoin.
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