LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS EN AFRIQUE CENTRALE
LES DILEMMES DE LA PROTECTION DES REFUGIES : LE DROIT D’ASILE EN DECLIN ?
Le droit d’asile, nous l’avons relevé tout au long de notre trame analytique, est un droit de l’Homme fondamental reconnu par divers instruments internationaux. Malgré son affirmation constante et récurrente, son application et sa consolidation ont été fragilisées en raison de l’amplification et de la complexification des migrations forcées de par le monde. Si ce droit est strictement réglementé par divers instruments juridiques internationaux, régionaux ou nationaux, et la protection des bénéficiaires du statut de réfugié dûment mobilisée par certains États d’accueil et le HCR, il n’est point superfétatoire d’observer en revanche en cette période charnière, l’escalade des politiques anti-migratoires qui ne distinguent plus les personnes en situation d’exode forcé. Des politiques de contournement des règles régissant la protection internationale sont mises en œuvre pour réduire substantiellement l’accueil des migrants, même ceux admis au bénéfice de l’asile. Ces politiques «anti- asile» à l’instar de l’externalisation sont élaborées et appliquées très souvent à tous les migrants, y compris aux réfugiés qui pourtant de par leur statut, bénéficient d’une protection internationale. Cette remise en cause du droit d’asile, ou ce que Jérôme VALLUY désigne comme un « … grand retournement du droit de l’asile »697 , n’est plus seulement le fait des pays du Nord, mais reçoit également l’écho des pays du Sud, et se décline à l’aune des politiques restrictives, confusionnelles et/ou inconsistantes de protection et d’encadrement aux réfugiés, déployées par ces États d’accueil, sous l’emprise des motivations parfois politiques, géopolitiques, ou socioéconomiques (Section II). Confronté aux nouveaux enjeux des migrations forcées contemporaines et à l’épreuve du temps, le droit des réfugiés semble enclin à la désuétude, et sans être alarmiste ou fataliste, en voie de disparition. Ce constat est nourri par un ensemble d’indicateurs qui s’articulent autour du flou juridique et sémantique entretenu dans la définition et la distinction des migrants forcés d’une part, ainsi que l’imprécision et la confusion du champ d’action et des bénéficiaires de l’asile (Section I). 697Rappelons que cette expression est de VALLUY, Jérôme , in Le Rejet des exilés, le grand retournement du droit de l’asile, Éditions du Croquant, coll. «Terra», 2009, Op.cit
DE L’INFLÉCHISSEMENT DU DROIT D’ASILE INTERNATIONAL: ENTRE RESTRICTIONS POLITIQUES, FAIBLESSES NORMATIVES, STRUCTURELLES ET INSTITUTIONNELLES DANS LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS
D’un point de vue analytique, les défis inhérents à la protection internationale des réfugiés ont substantiellement dévoilé le contenu d’un droit d’asile défaillant ou à tout le moins inconsistant. C’est ainsi qu’on entendra sous des sémantiques plurielles, l’usage récurrent des expressions telles déclin, crise, naufrage, ou plus récemment encore, grand retournement du droit de l’asile698 .
LES PARADOXES DU DROIT D’ASILE
En dehors des failles identifiées dans son ordonnancement juridique et dans l’opérationnalisation de la protection aux réfugiés comme nous le verrons plus loin, le bénéficiaire du droit d’asile fait face à un obstacle lié à son identité qui se dévoile à travers la confusion sémantique alimentée par une notion aux contenus protéiformes. A) De la Controverse terminologique entre Migrant et Réfugié : Entre confusion sémantique et manipulation politique La migration dans son acception la plus large désigne le déplacement volontaire ou involontaire d’individus ou de populations d’un pays dit de départ vers un autre dit d’accueil, ou d’une région vers une autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles. Pour le dictionnaire Larousse, le « migrant » est toute personne qui effectue une migration, c’est-à-dire qui se déplace volontairement dans un autre pays ou une autre région « pour des raisons économiques, politiques ou culturelles »699 . Le Petit Robert quant à lui restreint la raison de ces déplacements au fait de « s’établir »700. Selon le HCR, les personnes de nationalités diverses, quittant un pays en développement pour chercher une 698Voir les travaux de plusieurs auteurs sur ces questions à l’instar de Jérôme VALLUY, Michel AGIER et al, cités précédemment. 699Le Petit Larousse illustré 2001, Paris, Larousse, Juillet 2000 700Le Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Le Robert, 1991. 254 vie meilleure en Europe, sont dits « migrants économiques » car « ils font le choix du déplacement pour de meilleures perspectives pour eux et pour leurs familles»701 . De ce qui précède, nous pouvons établir que tout réfugié est un migrant. En droit international, c’est le statut reconnu comme officiel d’une personne qui a obtenu l’asile d’un État tiers. Selon les termes de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée en 1951, rappelons de nouveau que le concept de « réfugié » s’applique « à toute personne (…) qui, craignant d’être persécutée du fait de sa race [son origine], de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner»702 . Fort de ces paramètres, nous dirons que la particularité des réfugiés résident dans le fait qu’ils sont, par crainte d’un danger réel, dans l’obligation de se déplacer hors de leurs frontières nationales pour sauver leur vie ou préserver leur liberté. Par conséquent, nous pouvons établir que tous les migrants ne sont pas des réfugiés, mais que tous les réfugiés sont des migrants, et dans le cas d’espèce, des migrants dits « forcés». Notons également que ce sont les migrants économiques qui sont en général des cibles des politiques de fermeture en matière d’immigration. De ce qu’il décrit comme étant une «crise de réfugiés», le HCR regrette par exemple depuis plusieurs années que des mesures soient appliquées de manière discriminatoire, rendant très difficile, sinon impossible, l’entrée des réfugiés dans un pays où ils pourraient trouver la sécurité et le soutien dont ils ont besoin et auxquels ils ont droit en vertu du droit international en raison des «crises migratoires»703. Les termes tels, réfugiés et migrants sont utilisés de façon confusionnelle pour décrire les récents mouvements massifs des populations traversant la méditerranée vers l’Europe et venant pour la majorité des pays en guerre ou en proie à des violences et des persécutions704. Qui plus est, pendant la « crise» migratoire européenne de 2015, 701Rapport HCR 2015 702Convention de Genève (relative au statut des réfugiés), signée en 1951 et ratifiée par 145 États 703NSOGA, Robert Ebenezer: Le droit d’asile au prisme des crises migratoires contemporaines : Calculs politiques, ambiguïtés dans l’opérationnalisation de la protection internationale.Le droit d’asile en déclin? Op.cit 704Selon le rapport global du HCR d’août 2015, 292 000 réfugiés et migrants sont arrivés par la mer en Europe en 2015. Il s’agit principalement des populations issues des pays en crise comme la Syrie, la Libye, l’Afghanistan, Irak, Érythrée, etc… l’utilisation des deux termes dont on ne dénombre plus les occurrences dans les médias ainsi que dans les discours publics a été fréquente. Cette terminologie a également été à profusion relayée par les organisations telles Amnesty International, Human Rights Watch et la Cimade705 en France. Les confusions entretenues pendant la susdite « crise migratoire » autour de cette distinction conceptuelle a été fortement chargée de conséquences considérables sur le plan politique, ce qui a directement impacté sur le droit des réfugiés. C’est dans ce contexte de crise confusionnelle voulue ou non des acceptions entre le migrant et le réfugié, que Louise CARR706 a fait observer que « Le terme de “réfugié” est très précis dans le droit international, alors nous ne l’utilisons que dans ce contexte». Mais le “migrant” est de plus en plus connoté péjorativement et recoupe beaucoup de situations très diverses»707 . La confusion, la stigmatisation, le rejet dont font l’objet les migrants en général et les migrants forcés en particulier sont loin d’être les seules difficultés rencontrées par ces derniers dans leur itinéraire exilaire. D’autres motifs de rejet peuvent tenir des politiques et/ou discours publics anti-asile alimenté dans des contextes particuliers. B) Des paradoxes de l’altérité : Entre perceptions et/ou idées reçues et appréhensions des États d’accueil : Impacts du discours européocentré de la « submersion migratoire » dans la gestion des flux de réfugiés en Afrique
De la «submersion migratoire» européenne ou théorisation d’une politique de rejet des réfugiés ?
Selon une rhétorique convenue de l’envahissement de l’Europe, le discours politique public anti-migratoire articulé autour des dangers d’une submersion migratoire des sociétés occidentales a atteint en 2015, son paroxysme avec l’afflux des réfugiés syriens, irakiens et érythréens fuyant les guerres. Ce discours portait un objectif à connotation plurielle : le rejet massif des migrants issus des flux migratoires connus durant cette période de référence aux abords des frontières de l’Europe, la stigmatisation 705En France, la Cimade fournit un accompagnement juridique aux migrants et tient, sauf exception, à privilégier le vocabulaire précis : des demandeurs d’asile peuvent être déclarés réfugiés en cas de réponse positive. 706Précisons que Louise CARR est Responsable du Programme des personnes déracinées à Amnesty International pendant la période de référence. Pour plus de précisions sur cette note de Louise CARR, lire POUCHARD, Alexandre:« Migrant» ou « réfugié», Quelle différence?, Le MONDE, 25 Août 2015, consulté en ligne, le 29 décembre 2015,https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/08/25/migrant-ou-refugiequelles-differences_4736541_4355770.html 707POUCHARD, Alexandre, Ibid 256 du réfugié, in fine, l’indifférence du droit d’asile, ou plus exactement sa relégation à une échelle moins importante708. La propension à une européanisation des flux migratoires est restée une constante qui a favorisé une pratique restrictive du droit d’asile au sein des États de l’Europe occidentale. A ce titre, l’adoption de mesures de plus en plus restrictives dans les révisions de la Loi sur l’asile au sein de l’Union européenne, en raison d’un accroissement des flux migratoires sur ses frontières a été observée depuis le début de la dernière décennie. Cette reconfiguration des politiques d’asile n’a pas été sans impact sur la gouvernance des migrations en Afrique.
Afrique/Europe : Une géographie des migrations forcées à « géométrie variable » ?
Amplifiés par un discours médiatico-politique favorisant la rhétorique d’une « crise migratoire» ou de l’urgence, l’alarmisme et les drames affichés par les politiques et les médias à travers des discours et des images émouvantes passant en boucle des milliers de personnes tentant par tous les moyens de rejoindre l’Europe ont ému, inquiété et naturellement installé un sentiment de peur, de crainte d’une submersion migratoire709 de l’Europe. Pourtant, sur les dizaines de millions d’exilés dans le monde, quelques millions sollicitent finalement l’asile dans les pays occidentaux, où les réfugiés représentent, selon Jérôme VALLUY710, une moyenne moins de 1% de la population. D’après, ce chercheur français, pas plus de huit de ces pays711 n’apparaissent sur les 40 premiers pays d’accueil. Pour Michel AGIER712, la théorie d’une migration devenue essentiellement économique vers les pays industrialisés d’Europe occulte la croissance du nombre de réfugiés reconnus comme tels dans le monde depuis 30 ans. Selon les données chiffrées du HCR713 , sur les 25 dernières années, l’évolution des populations réfugiées fluctue autour de 1 million sur le continent américain ; il passe de 500.000 à 3 millions sur le continent 708Voir dans également dans ce contexte, les travaux de LOCHAK, Danièle : Qu’est ce qu’un réfugié? La construction politique d’une catégorie Jérôme : Le rejet des exilés : le grand retournement du droit de l’asile,Il s’agit notamment de la européen, de 2 millions à 7 millions sur le continent africain, de 1 à 8,5 millions en Asie. Le centre d’actualités de l »ONU714 pour sa part indique que le nombre de migrants dans le monde a atteint 244 millions d’individus en 2015, soit 3.3% de la population mondiale dont 20 millions de réfugiés inclus. Le rapport indique également que la partie qui accueille le plus de réfugiés dans le monde est celle des pays en voie de développement. Ce fait souvent mal compris au prisme d’un regard européo-centré indique de façon incertaine et impertinente les migrations comme un mouvement massif des pays pauvres vers les pays riches.Claire RODIER abonde dans cette analyse quand elle rappelle que les migrations entre pays du Sud sont plus importantes en nombre que celles qui conduisent vers le nord : « Le total des réfugiés installés dans les 28 pays membres de l’Union Européenne est équivalent au nombre de personnes que le Pakistan accueille sur son sol à lui tout seul»715, conclue-t-elle. Au regard de ces chiffres, l’évolution des flux en Europe est de loin inférieure à celle de l’Asie et de l’Afrique. Elle démontre que les populations fuient pour trouver refuge d’abord dans une proximité géographique de leur patrie. Cette réflexion taxinomique traduit une constance de diminution progressive des demandes d’asile, notamment dans les pays industrialisés. A l’analyse, cette diminution contraste avec la situation en Afrique, car le nombre de réfugiés africains ne cesse d’augmenter comme nous l’avons relevé plus haut. Cette régression des demandes d’asile en Europe, aux antipodes des discours politiques publics en cours, peut s’analyser à l’aune des raisons socio-économiques. En effet, aux frontières des États d’accueil en Occident, une confusion conceptuelle qui est souvent pernicieuse à l’accueil de vrais réfugiés est très souvent relayée, car dès leur arrivée, les demandeurs d’asile sont souvent traités comme de faux demandeurs d’asile ou des migrants clandestins.Avec le phénomène des flux migratoires , les pays de l’Europe occidentale vers lesquels se mobilisent les réfugiés ainsi que les migrants illégaux ces dernières années ne font plus assez strictement la différence entre ces diverses catégories. Cela peut également justifier la survenance des notions nouvelles 714Ces statistiques de L’ONU publiées en Janvier 2016 sont contenues dans un rapport intitulé:«Tendances des migrations internationales, La révision de 2015» https://www.un.org/development/desa/fr/news/population/international-migrants.html , consulté en Octobre 2016 715RODIER, Claire ; PORTEVIN, Catherine : Migrants et Réfugiés, Réponse aux indécis aux inquiets et aux réticents, La Découverte, 2018 258 telles le « réfugié économique », souvent opposé aux demandeurs d’asile alors que précisément, l’un des effets premiers de la ségrégation ou de la persécution, comme l’explique Catherine WIHTOL de WENDEN717, est la pauvreté, laquelle n’est nullement exclusive de réelles craintes de persécutions au sens de la convention de Genève. En Europe, suite aux politiques restrictives dites de « maîtrise », constitutives en revanche d’une bonne partie des questions auxquelles l’Union Européenne doit faire face718, l’amenuisement du droit d’asile comme le souligne Jérôme VALLUY, s’est accéléré au cours des deux dernières années, à cause des flux migratoires observés sur les frontières occidentales. L’on a pu en effet observer un rejet massif des demandes d’asile, exposant ainsi les réfugiés à la précarité. Selon une étude réalisée par Luc LEGOUX719 entre 1976 et 2003, le taux des rejets de demande d’asile par l’OFPRA est d’environ 95%, même si la cour nationale du droit d’asile (ex commission des recours des réfugiés) peut, selon le chercheur, à un taux quasi nul, reconsidérer quelques situations. Ces pratiques de rejet des migrants dans la période considérée est néanmoins à relativiser, comme le souligne Philippe DEWITTE qui considère plutôt que la proportion d’immigrés dans la population est demeurée quasi stable, soit de l’ordre de 7,5%. Mais les politiques restrictives de l’asile ont connu en Europe, une ascension fulgurante en cette dernière décennie, favorisant ainsi, ce que certains auteurs ont décrit comme étant la bunkerisation de l’Europe. Parmi ces pratiques restrictives, la politique dite de l’externalisation de l’asile participe de la mise à l’écart, ou mieux du rejet des exilés .
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