La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé

RÉSONANCE DE LA QUALIFICATION SUR LA COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE

Le caractère international des droits de jouissance à temps partagé pose des problèmes de détermination de la juridiction applicable. Sur ce point, plusieurs critères interagissent : convient-il de se référer au lieu de situation de l’immeuble, à la qualité des parties ? La bipolarité de ces droits permet de s’interroger sur l’opportunité et l’éventuelle interaction des dispositions relatives aux immeubles et aux contrats conclus par des consommateurs. Si les droits de jouissance à temps partagé sont considérés comme des prestations de services, la juridiction du lieu de résidence du consommateur sera applicable. Toutefois, cette présentation semble erronée par rapport à l’essence même de ce mécanisme. En effet, le lien à l’immeuble est direct. Mais, l’un des cocontractants est inévitablement un consommateur.
Néanmoins, le nombre important de questions qui se posent en droit international privé n’a pas donné lieu à des dispositions spécifiques énoncées par la directive 94/47/CE, en raison des règles propres à chaque Etat membre dans ce domaine. Le situs rei et « La puissance d’attraction de l’immeuble »342 (§ 1), de même que le rattachement à la qualité de partie (§ 2) constituent ainsi les principes fondamentaux du droit international privé qu’il convient d’appliquer à l’analyse des droits de jouissance à temps partagé.

Le contrat de bail

L’article 22.1 alinéa 2 du règlement CE 44/2001 envisage l’hypothèse « de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, […] ». Dans cette situation, il existe, dès lors, une double compétence des juridictions : le tribunal du lieu de situation de l’immeuble ou bien celui correspondant au lieu de résidence du défendeur. Cet article serait-il susceptible de s’appliquer aux contrats de droits de jouissance à temps partagé ? Il est vrai que le droit grec a adopté cette qualification. Le droit concédé équivaut à un usage personnel temporaire, ces termes sont repris par l’article 22.1 alinéa 2343. Une difficulté apparaît quant à la conception de l’expression 343 Article 22.1 alinéa 2 : « Sont seuls compétents, sans considération de domicile : […] Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétents les tribunaux de l’Etat membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même Etat membre ; […] ».
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé « pour une période maximale de six mois consécutifs ». De fait, deux alternatives sont susceptibles de se présenter : soit on entend l’expression comme la durée effective du droit exercé chaque année, dans ce cas, l’article 22.1 alinéa 2 s’applique, puisque le droit concédé ne dépasse jamais quelques semaines (2 ou 3) ; soit l’expression désigne la durée totale du droit, dans cette hypothèse, l’article 22.1 alinéa 2 n’est pas applicable à notre situation, car les droits en cause sont attribués pour une période s’étendant sur plusieurs années.
Toutefois, l’alinéa 2 réduit sensiblement le champ d’application de cet article. En effet, dans l’éventualité où les hypothèses sus énumérées pourraient être effectives, cet article impose d’autres conditions. Ainsi, les tribunaux de l’Etat membre, dans lequel le défendeur a son domicile, sont compétents, « à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même Etat membre ; […] ». Dans ces conditions, l’applicabilité de cet article à notre étude semble fortement compromise, étant donné le caractère éminemment international des contrats de jouissance à temps partagé. Cette situation semble difficile à transposer à ces contrats, ce système est, avant tout, un mécanisme s’appliquant aux touristes. Il semble, dès lors, peu envisageable que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même Etat. Le droit grec a adopté une telle qualification en raison de l’interdiction pour les acquéreurs étrangers d’acquérir des droits réels immobiliers sur le territoire grec344. C’est la raison pour laquelle, si, à première vue, l’article 22.1 alinéa 2 serait applicable, la réalité nous conduit à écarter cette hypothèse. Le droit réel apporte éventuellement davantage de solutions.

Le droit réel

Nous avons pu constater précédemment que la nature juridique des droits acquis dans un contrat de droits de jouissance à temps partagé est ambivalente. En règle générale, en droit français, le demandeur à l’action doit saisir le tribunal du lieu où demeure le défendeur. Néanmoins, l’article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile nuance cette obligation en présence des situations suivantes et permet au demandeur de choisir entre345 : la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service (en matière contractuelle) et la juridiction du lieu où est situé l’immeuble (en matière mixte), cette dernière hypothèse nous intéresse plus particulièrement. En outre, l’article 44 du Nouveau Code de Procédure Civile oblige les parties à saisir la juridiction du lieu où est situé l’immeuble. Il s’agit d’une compétence exclusive en présence d’une action portant sur un immeuble. Dans le même sens, l’article 16346 de la Convention de Bruxelles prévoit que le demandeur est obligé de saisir la juridiction du lieu où est situé l’immeuble, il s’agit d’une compétence exclusive. Il convient de s’attarder sur le paragraphe 1 a/ et b/347. Cet article a été repris par le règlement CE 44/2001 à Contrairement à la position de la Cour de Justice des Communautés Européennes sur les matières mixtes : C.J.C.E., 13 octobre 2005, aff., C-73/04, Klein, op.cit.. Intégralité de l’arrêt à consulter sur le site internet : http://curia.europa.eu, Affaire C-73/04.
Transposée dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé, ces dispositions n’apportent aucune solution claire. En effet, les droits de jouissance à temps partagé prennent leur source au sein d’un contrat. Le critère du « lieu de livraison effective de la chose » est particulièrement complexe à déterminer en la matière, en raison de la nature juridique des droits de jouissance à temps partagé : peut-on les assimiler à une chose ? Les caractéristiques seraient davantage envisageables par rapport à la notion de « prestation de services ». Ainsi, si l’on considère que les droits de jouissance à temps partagé constituent une prestation de services, la juridiction compétente sera celle du lieu de l’exécution de la prestation de services. L’hypothèse est concevable en la matière, si l’on considère que les droits de jouissance à temps partagé ne sont que des droits de créance représentés par la combinaison d’une multitude de prestations de services.
Or, le Bundesgerichthof, en Allemagne, dont la position a été confirmée par la Cour de Justice des Communautés Européennes lors d’une question préjudicielle, est intervenu à propos de conflits de lois et a expressément précisé que les droits de jouissance à temps partagé ne pouvaient acquérir la qualification de prestations de services, ceci malgré l’exploitation des droits de jouissance à temps partagé sous la forme sociale par le droit allemand.
Il est opportun de relever, ici, que la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans un arrêt du 13 octobre 2005 portant sur les conflits de lois, a précisé que la lex rei sitae était applicable uniquement lorsque l’action concerne l’immeuble lui-même et non une des actions accessoires portant sur ce bien.
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé l’article 22348. Le paragraphe 1 a/ serait susceptible de s’appliquer aux litiges nés d’un contrat portant sur des droits réels immobiliers.La réalité unitaire des droits de jouissance à temps partagé domiciliés en Allemagne, ont conclu en 1992 avec notamment Rhodos, société établie sur l’île de Man, un contrat intitulé « contrat d’adhésion » (« Mitgliedschaftsvertrag »), aux termes duquel les intéressés, qui étaient désignés comme « acquéreurs » (« Käufer »), devenaient membres d’un club. L’adhésion à ce club était une condition nécessaire pour acquérir un droit d’utilisation à temps partiel d’un logement de vacances. Par le même contrat, les époux Klein ont acquis le droit à la jouissance d’un appartement, désigné par son type et par sa situation dans un complexe hôtelier sis en Grèce, pendant la treizième semaine du calendrier de chaque année jusqu’en 2031 ». Les questions préjudicielles posées par l’Oberlandsgericht Hamm à la C.J.C.E. étaient de deux ordres : d’une part, « La notion de recours ‘en matière de…baux d’immeubles’ à l’article 16, point 1, sous a/, de la convention […]vise-t-elle les litiges portant sur la jouissance, pendant une certaine semaine du calendrier tous les ans pour une durée de pratiquement quarante ans, d’un même appartement en résidence hôtelière, individualisé en fonction de son type et de sa situation, même si le contrat prévoit simultanément et obligatoirement l’adhésion à un club dont la première mission est de garantir à ses membres l’exercice de ce droit de jouissance ? », d’autre part, si la C.J.C.E. répondait positivement à cette question, l’Oberlandsgericht Hamm s’interrogeait sur le point suivant : « La compétence exclusive résultant de l’article 16, point 1, sous a/, de la convention […] vaut-elle également pour les droits qui sont certes issus d’un bail de ce type mais qui, en fait comme en droit, n’ont rien à voir avec un bail, et plus précisément pour le droit au remboursement d’un montant excédentaire versé par erreur à titre de paiement de la jouissance de l’appartement ou de l’adhésion au club » 368. Au vu des faits de l’espèce,
la Cour de Justice des Communautés Européennes a refusé l’application de l’article 16 de la Convention de Bruxelles en invoquant les motifs suivants : « En tant qu’exception aux règles générales de compétence de la convention, l’article 16 ne doit donc pas être interprété dans un sens plus étendu que ne le requiert son objectif, dès lors qu’il a pour effet de priver les parties du choix du for qui autrement serait le leur et, dans certains cas, de les attraire devant une juridiction qui n’est la juridiction propre du domicile d’aucune d’entre elles (voir notamment, arrêts du 14 décembre 1977, Sanders, 73 77, Rec. P. 2383, points 17 et 18 ; du 10 janvier 1990, Reichert et Kockler, C-115/88, Rec. p. I-27, point 9 ; du 9 juin 1994, Lieber, C-292/93, Rec. p. I-2535, point 12, et du 27 janvier 2000, Dansommer, C-8/98, Rec. p. I-393, point 21). Il ressort tant du rapport de M. Jenard relatif à la Convention de Bruxelles 368 C.J.C.E., 13 octobre 2005, op.cit., § 12 et 15.
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé (JO 1979, C 59, p. 1) que de la jurisprudence que le motif essentiel de la compétence exclusive des juridictions de l’Etat contractant où l’immeuble est situé est la circonstance que le tribunal du lieu de situation est le mieux à même, compte tenu de la proximité, d’avoir une bonne connaissance des situations de fait, en effectuant sur place des vérifications, des enquêtes et des expertises, et d’appliquer les règles et usages qui sont, en général, ceux de l’Etat de situation (voir, notamment, arrêts précités, Sanders, point 13, Reichert et Kockler, point 10, et Dansommer, point 27). Le même rapport précise que, s’agissant plus précisément de la règle de la compétence exclusive en matière de baux d’immeubles figurant au point 1 de cet article, les auteurs de la convention ont entendu viser, notamment, les contestations relatives à la réparation des dégâts causés par le locataire (arrêt Dansommer, précité, point 28). Cet objectif n’est toutefois pas en cause dans l’affaire au principal, puisque l’action judiciaire intentée par les époux Klein, qui vise au remboursement du montant total des sommes qu’ils ont versées, ne peut être fondée que sur une cause d’invalidité du contrat conclu avec Rhodos »369. A la suite de ce raisonnement, la Cour de Justice des Communautés Européennes écarte l’application de l’article 16. En effet : « Au vu de l’ensemble de ces circonstances, il apparaît que le lien entre le contrat d’adhésion au club en cause au principal, d’une part, et le bien immobilier susceptible d’être effectivement utilisé par l’adhérent, d’autre part, n’est pas suffisamment étroit pour justifier la qualification de contrat de bail au sens de l’article 16, point 1, sous a/, de la convention qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 15 du présent arrêt, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Cette conclusion est corroborée par le fait que ledit contrat d’adhésion prévoit la fourniture de prestations de services qui sont mises à la disposition des adhérents au club dans les mêmes conditions que celles offertes aux clients du complexe hôtelier. Comme l’a fait valoir la Commission, ces prestations supplémentaires vont au-delà de la cession d’un droit d’usage qui constitue l’objet d’un contrat de bail. Si le contenu et la nature des prestations en cause au principal nesont pas précisés dans la décision de renvoi, il convient néanmoins de rappeler qu’un contrat complexe portant sur un ensemble de prestations de services fournies contre un prix global payé par le client se situe en dehors du domaine dans lequel le principe et la compétence exclusive prévue à l’article 16, point 1, de la convention trouve sa raison d’être, et ne saurait constituer un contrat de bail proprement dit au sens de cet article (arrêt du 26 février 1992, Hacker, C-280/90, Rec. p. I-1111, point 15). Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 16, point 1, sous a/, de la convention doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à un contrat d’adhésion à un club qui, en contrepartie d’un droit d’adhésion représentant l’élément dominant du prix global, permet aux adhérents d’acquérir un droit d’utilisation à temps partiel sur un bien immobilier uniquement désigné par son type et sa situation prévoit l’affiliation des adhérents à une organisation permettant un échange de leur droit d’utilisation».

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