LA PROFONDEUR DE CHAMP (PDC) ET SON EXTENSION
Dans l’espace objet d’un système d’imagerie, il n’existe théoriquement qu’un seul plan de netteté que l’on appelle le plan de mise au point (ou plan focal) : l’image d’un objet situé en avant ou en arrière de ce plan est considérée comme floue, on dit que l’objet est « défocalisé ». En pratique, on admet une certaine tolérance de netteté, et donc, comme l’illustre la Figure 1.1, l’existence de deux limites situées de part et d’autre de ce plan. Tout objet se trouvant entre ces deux limites conduit alors à une image considérée comme nette. On appelle « profondeur de champ (PdC) » la distance séparant le premier plan net du dernier. L’étendue de cette zone dépend de plusieurs paramètres, notamment l’ouverture du diaphragme de l’objectif, la distance de mise au point, mais également des conditions d’observation. En pratique, la plupart de ces paramètres sont imposés par le matériel utilisé. L’ouverture est donc le principal réglage qui permet de modifier la PdC du système d’imagerie. Plus la PdC est étendue, plus elle intègre le sujet dans son environnement; pour cela, il convient de fermer le diaphragme. A contrario, plus elle est courte, plus elle l’isole; il faut dans ce cas ouvrir le diaphragme. La Figure 1.2, extraite du manuel d’utilisation du Nikkormat FT2, illustre ce principe. L’objectif de cette thèse est d’étendre la PdC d’un système d’imagerie. Pour y parvenir, il faut nous munir d’un modèle physique de la variation des propriétés du système avec la défocalisation. D’autre part, il nous faut décider quels composants optiques nous allons utiliser pour réaliser cette opération. Ces deux questions font l’objet des sections suivantes.
VARIATION DE LA RÉPONSE IMPULSIONNELLE EN ÉCLAIREMENT AVEC LA DÉFOCALISATION
Dans cette section, on définit un modèle de la variation de la réponse impulsionnelle spatiale en éclairement (en anglais point spread function (PSF)) d’un système d’imagerie avec la défocalisation. Considérons le système optique complet, supposé idéal, schématisé à la Figure 1.3. L’objet A, situé à une distance zo du plan principal objet sur l’axe (a) (b) (c) FIGURE 1.2 – Influence de l’ouverture sur la PdC d’un système d’imagerie. (a) Ouverture f /4. Faible PdC : seul le sujet principal est net. (b) Diaphragme fermé à f /8. La PdC est accrue. (c) Diaphragme fermé au maximum. On obtient une grande PdC avec le premier plan, le sujet et l’arrière plan nets. Source : Mode d’emploi du Nikkormat FT2 (p. 20-21) optique, est conjugué avec le point A 0 située à une distance zi du plan principal image. Supposons que l’on observe un objet ponctuel sur l’axe optique, noté B, situé à une certaine distance zo +∆zo du plan principal objet sur l’axe optique. Son image se forme au point B 0 situé à une distance zi +∆zi du plan principal image. Si l’image est acquise avec un capteur situé à une distance fixe zi du plan principal image, l’image de l’objet B est alors défocalisée. L’ouverture numérique image du système, notée NAi , de l’anglais numerical aperture (NA), a pour expression : NAi = n 0 ×|sinα 0 | (1.1) où α 0 désigne l’angle orienté entre l’axe optique et le rayon sortant de la pupille qui s’en écarte le plus (voir la Figure 1.3), et n 0 est l’indice de réfraction du milieu image. Dans ce manuscrit, n 0 sera supposé égal à 1. Pour une ouverture numérique image faible (i.e., NAi ¿ 1), l’optique de Fourier paraxiale classique peut être appliquée du côté image. L’expression de la PSF dans le plan d’imagerie aux coordonnées (x, y) s’écrit alors [Goodman, 2017] : h∆zi (x, y) ∝ ¯ ¯ ¯ ¯ q µ x NAi λ , y NAi λ ¶¯ ¯ ¯ ¯ 2 (1.2) où λ représente la longueur d’onde dans le vide de la lumière incidente, supposée monochromatique, et q(µ,ν) = FT2D £ ΠDisk(a,b) exp£ i Φ∆zi (a,b) ¤¤ (µ,ν) . (1.3) Dans cette expression, l’opérateur FT2D désigne la transformée de Fourier 2D et ΠDisk(a,b) = ½ 1 si a 2 +b 2 ≤ 1 0 sinon . (1.4) 1 4 1. INTRODUCTION GÉNÉRALE FIGURE 1.3 – Construction associée à la définition du paramètre de défocalisation ψ. On suppose que h∆zi est normalisée de sorte que Ï R2 h∆zi (x, y)dx dy = 1 . (1.5) La fonction Φ∆zi qui intervient dans l’Équation (1.3) est appelée « fonction de phase pupillaire ». Elle représente, dans la pupille de sortie du système optique, l’écart de phase entre l’onde sphérique réelle convergeant au point B 0 et l’onde sphérique de référence qui converge en A 0 . Elle permet de caractériser l’effet optique d’un défaut de mise au point (i.e., ∆zi dans l’espace image ou ∆zo dans l’espace objet). Un modèle couramment utilisé décrit ce défaut par une variation quadratique de l’écart de phase dans la pupille [Born et Wolf, 1999] : Φ∆zi (r ) ‘ 2π λ ψr 2
EXTENSION DE LA PDC À L’AIDE D’UN MASQUE DE PHASE
L’objectif de cette thèse est d’étendre la PdC. La manière la plus simple d’y parvenir est de réduire le nombre d’ouverture du système. En effet, comme le montre l’Équation (1.14), si l’on souhaite atteindre une certaine PdC — définie par un déplacement ∆zo par rapport au plan de mise au point —, il suffit d’ajuster la valeur de NA pour que |ψ| soit inférieur à λ/4. Cependant, diminuer l’ouverture numérique fait baisser l’éclairement dans le plan image et diminue la résolution transverse. Cette méthode est donc rapidement limitée par les conditions réelles de la prise de vue : luminosité, vitesse d’obturation, etc. Dans certaines applications, comme par exemple la microscopie de fluorescence, ces conditions sont si contraignantes que diminuer l’ouverture est impossible. Une nouvelle approche a donc été proposée par Dowski et Cathey [1995] pour étendre la PdC d’un système d’imagerie sans en modifier l’ouverture. Elle consiste à placer, dans la pupille de sortie de ce dernier, une lame de verre dont l’épaisseur varie spatialement. Cette lame, aussi appelée « masque de phase », introduit une modulation de phase dans la pupille qui modifie la PSF pour la rendre invariante à la défocalisation. Cependant, bien que la PSF soit rendue invariante, elle est aussi plus large que celle d’un système optique sans masque et correctement focalisé. Les images obtenues sont donc floues. Il est alors nécessaire de leur appliquer un traitement numérique de déconvolution pour améliorer leur qualité. Dans ce contexte, on appelle « optimisation » la recherche de la fonction de modulation de phase optimale du masque. Le critère d’optimalité est la qualité de l’image déconvoluée. Il dépend donc des propriétés optiques à l’origine de la formation de l’image mais aussi de l’algorithme de déconvolution : ces deux éléments sont donc optimisés simultanément. Cette approche de co-conception a d’abord été utilisée par Diaz et al. [2009] pour optimiser les paramètres d’un masque de phase cubique, puis généralisée à un grand nombre de fonctions de phase [Diaz et al., 2010], comme par exemple, les masques dont la phase est logarithmique [Sherif et al., 2004], exponentielle [Yang et al., 2007], ou s’exprime sous la forme de fonctions rationnelles [Zhou et al., 2009]. En particulier, elle a été utilisée pour optimiser des masques de phase binaires annulaires [Diaz et al., 2010, Falcón et al., 2017], qui présentent l’intérêt d’être simples à fabriquer 3 tout en ayant une capacité d’extension de PdC équivalente à celle des masques dont la phase varie continûment 4 . Ces masques sont composés d’anneaux concentriques, comme l’illustre la Figure 1.4. Un masque à L anneaux, de rayon d’ouverture unitaire, est défini par l’ensemble de ses L − 1 rayons, tel que ρ = (ρ1;···;ρL−1). Chaque anneau ajoute au front d’onde incident une phase de 0 ou π radians calculée à partir de la longueur d’onde nominale λ de lumière incident.