LA PROFITABILITE DES BANQUES ISLAMIQUE
Diversification, risque et rentabilité : approche théorique
Tout diagnostic financier s’articule autour de deux dimensions fondamentales : la rentabilité et le risque. Les théories financières rapportent que le risque et la rentabilité ne doivent pas être jugés de façon indépendante. Les théories de marché, depuis Markowitz (1952), ont étudié les interactions qui existent entre le risque, la diversification et la performance. La finance est fondée sur le postulat que tout investisseur est rationnel, c’est-à-dire qu’il cherche à maximiser sa rentabilité et à diminuer son risque. A rentabilité égale, l’investisseur choisira le titre le moins risqué ; à risque équivalent, il choisira le titre le plus rentable. Markowitz (1952), le fondateur de la théorie du portefeuille, rapporte que la diversification permet pour un niveau de rentabilité donné de réduire le risque ; ou pour un niveau de risque donné, d’améliorer la rentabilité. En effet, si la rentabilité d’un portefeuille est égale à la moyenne des rentabilités des actifs qui le composent, en revanche, le risque d’un portefeuille diversifié est inférieur à la moyenne des risques des actifs qui le composent. Le modèle de marché (Sharpe, 1964) suggère que le risque total d’un actif, représenté par sa variance, est la résultante de deux forces : l’influence de marché que l’investisseur ne peut éliminer même en diversifiant son portefeuille et le risque spécifique qu’il est possible de l’éliminer par le biais de la diversification. Le modèle de marché rapporte également que le risque d’un portefeuille diversifié dépend du risque de chaque actif inclus dans le portefeuille et du degré de dépendance entre les variations des actifs risqués entre eux. Dans les firmes bancaires, la diversification du portefeuille d’actifs peut être à plusieurs niveaux : diversification des activités et des métiers, diversification sectorielle, diversification géographique et diversification des produits et services financiers. L’un des intérêts de la diversification est d’assurer la plus grande régularité possible dans l’évolution des revenus et du résultat. La diversification d’un établissement bancaire peut améliorer la performance de cet établissement, lui permettant ainsi de compenser les pertes éventuelles d’un secteur, d’un marché ou d’un produit, par des gains dans d’autres. En considérant le portefeuille d’activité des banques, la théorie de marché suggère que le risque de l’ensemble des activités bancaires est rapporté eu risque propre de chaque activité et aux corrélations entre les activités bancaires. Plusieurs études empiriques mettent en évidence l’impact de la diversification des actifs bancaires sur la réduction du risque, l’économie des coûts et la réduction des asymétries d’informations (Patry, 2002).
Diversification, risque et rentabilité dans un contexte islamique
Les théories de marché révèlent que la rentabilité des actifs est principalement expliquée par le degré de diversification du portefeuille d’actifs et le degré de prise de risque. Plus l’investissement est risqué, plus la rentabilité est élevée. Les théories de marché expliquent également que la rentabilité des capitaux propres est expliquée par la rentabilité économique et par la relation d’effet de levier financier. Nous allons nous baser sur ces apports théoriques pour conclure sur les différences qui pourraient exister entre les profitabilités des banques islamiques et conventionnelles.
La diversification dans les banques islamiques
L’analyse de la diversification dans les banques islamiques permet de conclure que leurs modes de diversification sont différents du contexte conventionnel. a. Diversification sectorielle des banques islamiques La diversification sectorielle a pour objectif de réduire le risque économique du portefeuille en partant du principe selon lequel les secteurs d’activités réagissent différemment aux phases des cycles économiques. La diversification sectorielle réduit le risque spécifique du portefeuille si elle correspond à des secteurs d’activités peu corrélés dont les proportions respectives dans la composition du portefeuille sont équitablement représentées. La finance islamique exclut de financer des secteurs qui ne sont pas conformes à loi islamique (industrie du vin, industrie porcine, industrie bancaire conventionnelle, assurance conventionnelle, etc.) ou de façon général les secteurs non socialement responsables (armement, tabac, les loteries, casinos, etc.) et qui ne rentre pas dans la sphère du développement durable (le principe n°4). Les spécificités de la finance islamique exigent les banques islamiques à procéder à un filtrage financier et extra-financier pour sélectionner les actifs/projets à financier, elles vont ainsi automatiquement exclure un grand nombre de secteurs. Les banques islamiques risquent ainsi de ne pas saisir des opportunités d’investissement qui se présentent sur la marché pour la simple raison qu’elles ne sont pas conformes à la Shariah. L’exclusion sectorielle réduit les opportunités d’investissement à saisir par les banques islamiques. 101 L’application de ce principe favorise le risque de concentration de l’actif des banques islamiques. Ce risque est défini par le risque qu’une part importante de l’actif soit affectée à un même secteur. D’ailleurs, cette concentration sectorielle est très visible dans la région du golf persique, où l’actif des banques islamiques est principalement concentré sur les projets immobiliers et les infrastructures (Chatti, 2010). L’exclusion sectorielle favorise le risque de concentration dans l’actif dans des secteurs bien spécifiques. Cependant, toute transaction financière doit être sous-entendue par un actif tangible et identifiable. C’est le principe de l’asset backing. L’application de ce principe permet à la banque d’éviter ce risque de concentration dans des secteurs spécifiques puisque elle dispose d’une meilleure vision sur l’allocation des fonds. Elle peut ainsi procéder à la diversification de son portefeuille par des actifs qui ne sont pas corrélés ou faiblement corrélés, et peut ainsi réduire le risque. Le principe de tangibilité est un moyen efficace pour réduire le risque de concentration dans l’actif. Les banques islamiques ne sont pas autorisées à investir dans des fonds spéculatifs en raison de l’interdiction de la spéculation et de la prise de risque excessive. Cette exigence impacterait la profitabilité bancaire puisque en théorie de marché, plus l’investisseur prend du risque, plus il espère une meilleure rentabilité. La prise de risque reste raisonnable dans les banques islamiques. b. Diversification des modes de financement dans les banques islamiques Les banques islamiques ont développé des techniques financières qui leurs sont propres. Ces pratiques résultent de l’interdiction du taux d’intérêt et /ou de l’exigence de la tangibilité dans les transactions financières. Comme nous l’avons développé en premier chapitre, la banque dispose de deux types de techniques financières : des modes de financement à revenus fixe (Murabaha, Ijara, Salam, Istisn’a) et des modes de financement à revenu variable (Musharaka, et Murabaha). A partir de ces modes de financements basiques, les banques islamiques ont la possibilité de monter des structures de financement beaucoup plus complexes, sophistiquées et innovantes. 102 Les banques islamiques détiennent à la fois un portefeuille d’actifs qui génère des revenus fixes sur la durée des contrats et un portefeuille d’actifs qui génère des revenus variables. Les banques islamiques sont ainsi exposées à la volatilité de taux de rendements. Les banques conventionnelles utilisent des produits dérivés tels que les instruments de swap pour gérer ces risques. Le recours aux produits dérivés conventionnels est quasi inexistant en finance islamique en raison de l’interdiction du taux d’intérêt, de Maysir et de Gharar. Les dérivés conformes à la loi islamique sont en effet très rares. Ce qui explique la concentration des portefeuilles des banques islamiques sur des modes de financement de courtes maturités comme Murabaha, autorisant un processus de re-tarification à court terme pour protéger les marges d’intermédiation (Hassoune et Haladjian, 2010). Les banques islamiques ont une préférence à investir dans des Asset based Instruments de courte maturité, elles ont limité leur choix à ces actifs différemment du modèle théorique qui incite à adopter les différents types de contrats pour bénéficier de la diversification. La majorité s’est limitée à avoir une structure d’actif composée par les différents contrats de vente (surtout Murabaha) ou bien de Leasing (Ijara). Cette préférence est expliquée par le fait que cette catégorie d’instruments encoure un faible risque et génère un rendement plus certain que les contrats participatifs (Musharaka, Mudaraba). En pratique, le manque du financement participatif est très limité. Chatti (2010) suggère que ce phénomène est dû à plusieurs raisons dont les principaux : – Le problème hasard moral de sélection adverse des porteurs de projets (Mujlawana et al, 2004 ; Dar and Presley, 2000). – Les coûts liés aux études de faisabilité pour la sélection des meilleurs projets. – Les coûts liés au monitoring des projets en vertu de la relation de partenariat entre la banque et ses clients. – Le refinancement des banques (les dépôts) reste essentiellement à court terme ce qui limite l’investissement dans des actifs de LT, notamment des prises de participation dans des projets de LT (Hassoune, 2003). – Le suivi des projets financés par du capital-investissement islamique Mudaraba ou Musharaka nécessite la mobilisation de ressources humaines qualifiées et expérimentées.