La production de l’espace dans un village traditionnel rattrapé par l’urbanisation
Organisation sociale dans l’espace traditionnel de Y off
Dans l’espace traditionnel yoffois, l’organisation sociale intégrait les relations entre les gens dits nobles« guer » et des gens de caste inférieur: les griots« guéwel >>, les forgerons« gnégno » et les tisserands« raabb ». J. Les « guer ». La classe des nobles ou« guer »est structurée en une dizaine de lignées que sont : les «diassiratoo», les « deungagne », les « soumbare », les « khonkh bopp », les « waneer », les « tetof bègne»~ les « dindir », les « khagane », les « your », les « dorobe ». Le lignage est un système d’organisation par lequel la société est structurée en groupes sociaux qui ont le même ancêtre. Aucune de ces lignées n’est au-dessus des autres. Les membres de cette caste sociale intervenaient essentiellement dans le domaine de la pêche et de l’agriculture. Leur rang social ne les autorisait pas à exercer les métiers de tisserand, de bûcheron.
Les « gnégno »
Les « gnégno» regroupent les forgerons, les bijoutiers et les cordonniers. De par leur profession, ils avaient une fonction stratégique dans la structuration de la société traditionnelle lébou. Les instruments de travail de la terre (hilaire, daba, sabre), de la pêche (hameçon, ancre) étaient fabriqués par les forgerons. Les bijoutiers s’illustraient dans la confection des parures et autres objets précieux dont se paraient les gens lors des fêtes traditionnelles (« ndeup », « turu »). Les cordonniers s’occupaient des « gris-gris » et autres amulettes des autorités coutumières, des lutteurs et de la population en général.
Les griots « gueweul »
Les griots, en leur qualité de communicateurs traditionnels et témoins de faits historiques, ont toujours joué un rôle éminent, notamment dans le système de consignation et de transmission des valeurs. Il leur revenait de porter l’information à son destinataire suivant un système codifié (usage du tam-tam). En cas de conflits, ils étaient également mis à contribution pour gérer ces moments difficiles avec des méthodes qui nécessitaient beaucoup de tact et d’habileté de leur part.
Les « raabb »
Comme avec les autres forgerons et les bijoutiers, les « raabb » ou tisserands excellaient dans la confection des pagnes qui occupaient une place de choix dans les manifestations traditionnelles. Les tisserands ont ainsi contribué à enrichir le décor vestimentaire assez illustratif de la communauté lebou surtout avec les femmes qui selon les types de cérémonies mettaient en exergue différentes catégories de pagnes et de boubous. A côté de ce système d’organisation sociale dans 1′ espace traditionnel lébou de Y off, nous avons un système coutumier de gouvernance locale qui lui était intimement lié. Thèse de Doctorat de 3 « »‘ cycle en géographi e présentée par Oumar DIENE 87 La production de l’espace dans un village traditionnel rattrapé par l’urbanisation : Y off (Dakar, Sénégal)
Le système de gouvernance dans l’espace traditionnel
Lébou à Yoff Contrairement à beaucoup de sociétés traditionnelles en Afrique où a prévalu le système de la royauté, la communauté lébou yoffoise, en s’implantant sur les différents sites qu’elle a occupés dont (Mboukhèkhe, Mbidjem, Mbendji Dob), s’est organisée en une société placée sous la conduite d’un collège de dignitaires. Ces derniers avaient des prérogatives qui se complétaient dans le cadre d’une gestion concertée et collégiale des affaires de la collectivité. En effet, dans un souci d’équité et de transparence, la communauté a toujours défini des niveaux et des formes de gestion de l’autorité traditionnelle de sorte à éviter les dérives, la mise en hypothèque des intérêts de la population. Sur un autre plan, ce modèle de gouvernance révèle un caractère gérontocratique du fait qu’il ne permettait pas aux personnes qui avaient un âge inférieur à 55 ans d’avoir droit au chapitre. Cette clause laissait en marge des organes de décision, une composante non négligeable de la communaufé, en l’occurrence les jeunes tout comme les femmes. Cette instance coutumière s’articulait autour d’un pouvoir exécutif, d’assemblées délibérantes et plus tard du khalife des Layène et d’un collège des imams. Ainsi, le pouvoir exécutif était partagé entre le Diaraf, le Ndeye Dji Rew et le Saltigué ; tandis que le pouvoir législatif était détenu par les «Frey», les « Diambour » et les « Maggi Yoff ». Le pouvoir judiciaire était assuré par l’imam qui faisait office de Cadi. En ce qui concerne les assemblées, en plus des critères d’âges, leurs membres étaient choisis parmi les membres de la communauté dépositaires de certaines qualités et vertus nécessaires à leur statut de sages. a. L’exécutif L’administration coutumière des affaires de la communauté villageoise de Y off reflète le caractère « républicain » que certains auteurs lui attribuent. Le « lamane » détenait l’essentiel des prérogatives de gestion. Il administrait les biens de la communauté essentiellement constitués du patrimoine foncier. .. Il affectait les parcelles de terre selon les besoins (usage d’habitat et/ ou usage agricole) aux membres de la communauté. Ces biens fonciers placés sous sa responsabilité n’étaient pas sa propriété. Aussi, il déterminait les périodes de friche et annonçait les sacrifices et offiandes à faire par la population en hommage aux esprits protecteurs. Ces différentes fonctions concentrées autour du « lamane » furent éclatées vers 1558 et réparties entre le « Diaraf», le « Ndey dji rew » et le « Saltigué ». Ces responsabilités exécutives furent réparties entre les douze lignées historiquement fondatrices de Y off « A chaque fois que le besoin de choisir un nouveau chef coutumier se faisait sentir, un collège restreint procédait à des consultations très discrètes auprès des »Kheetes » (lignées) pressenties pour remplir les fonctions liées au poste à pouvoir » (MBENGUE, 2008). Ainsi la lignée consultée se concertait pour désigner en son sein le candidat présentant le meilleur profil. Cette désignation consensuelle du candidat était suivie au niveau du collège des notables de consultations des esprits pour s’assurer que ce dernier est source de bonheur, de prospérité, de paix et surtout de Thèse de Doctorat de 3 one cycle en géographie présentée par Oumar DIENE &8 La production de l’espace dam un village tradit.ionnel rattrapé par l’urbanisation : Y off (Dakar, Sénégal) stabilité sociale pour le village. L’introduction de la demande de candidature du« Diaraf »était faite par le « Ndey Dji Rew » et celles du « Ndey Dji Rew » et du « Saltigué » par le « Diaraf ».
Le « Diaraf »
Le « Diaraf » est choisi parmi les Y ofîois de lignée maternelle entre les « Diassiratoo », les « waneer » et les « Khonkh bopp » (cf organisation sociale). Il est élu par l’assemblée des « Diambour » sur proposition du « Ndey Dji Rèw ». Le « Diaraf » a hérité du rôle de chef de village. Jadis porte parole de la collectivité auprès des pouvoirs publics (autorités coloniales surtout), il s’occupe surtout aujourd’hui des relations extérieures, notamment avec l’ Administration (Etat et collectivités locales).
Le « Ndey dji Rew »
Le « Ndey Dji Rew » est à l’écoute de la communauté. Ses fonctions sont assimilables, dans le système actuel, à celles d’un premier ministre et d’un ministre de l’intérieur. Il transmet au« Diaraf » les doléances de la population. Il assure la coordination entre les travaux du « Saltigué », de J ‘assemblée des « Frey » et de ceJJe des « Diambour ». Ainsi, il intervenait de concert avec le « Saltigué » dans la détermination des aires de pâturage par rapport au finage ; mais aussi dans le renouvellement des greniers et dans la fortification des tatas qui servaient de rempart contre les agressions externes. 3. Le «Sa/ligué » Le« Saltigué », maître de l’art divinatoire39 , est dépositaire de connaissances mystiques. Ses tâches s’articulaient entre autres autour des questions relatives à la défense, à la pêche et à l’agriculture, aux cultes. Ses consultations auprès de ces esprits lui permettaient de prévenir les calamités : accidents en mer, mauvaises récoltes, envahissement par l’ennemi. De ce fait, il déterminait la nature des offrandes à exécuter en récompense aux génies et aux esprits protecteurs de la communauté. Figure 3 : Système de répartition historique des fonctions coutumières exécutives entre les lignées à Y off NdeyDjiRew Diassiratoo Khonkh Bopp Diaraf Dorobé Saltigué Waneer 39 Le Matin N° 1498 du 28 décembre 2001 , article signé Serigne Saliou SAMB et Diaw MBODJ Thèse de Doctorat de 3 « » » cycle en géographie présentée par Oumar DIENE Dindir 89 0 La production de l’espace dans un village traditionnel rattrapé par l’urbanisation : Y off (Dakar, Sénégal) b. Les assemblées délibérantes et l’instance religieuse L’évocation de ces assemblées délibérantes montre tout le symbolisme qui se rattache aux notions de gestion collégiale et de gérontocratie. L’administration coutumière des affaires du village a été toujours fondée sur une démarche collégiale : c’est par le biais de la concertation et de l’argumentaire que les décisions sont prises pour l’intérêt de la majorité de la communauté. L’analyse des différentes assemblées délibérantes («Frey», « Diambour » et « Maggui Yoff ») montre comment pour le mécanisme de sélection des générations de notables sont désignés pour assurer les fonctions liées à ces instances coutumières. Les membres de ces différentes chambres devaient faire preuve de bonne moralité. Figure 4: L’attelage gérontocratique du système traditionnel de gouvernance coutu~ier lébou à Yoff Les jeunes non encore sevrés Les personnes ayant un âge inferieur à 55 ans Les « Frey » Les personnes ayant ~ un âge entre 55 et 65 ans Les « Diambour » Les personnes ayant un âge entre 65 et 75 ans 1. Les assemblées délibérantes Les «Magui Yoff» Les personnes ayant un âge supérieur à 75 ans Les assemblées délibérantes au niveau des instances coutumières à Y off intègrent les assemblées des «Frey», des« Diambour »et des« Maggi Yoff ». – Les « Frey » : Ils constituent le premier maillon de la chaîne des différentes chambres qui comprennent les assemblées délibérantes. Comme l’indique le mot« Frey» qui en wolof veut dire « ceux qui viennent d’être sevrés», cette chambre comprend les «jeunes» de la communauté: ceux qui ont un âge compris entre 55 et 65 ans. Dans la compréhension des dépositaires de la coutume, c’est à cet âge que la personne acquiert la maturité qui lui permettrait d’assumer avec toute la responsabilité que cela requiert, des fonctions aussi délicates que celles de « Frey ». Cette assemblée travaille en étroite collaboration avec les autres instances de la coutume locale. Ses fonctions tournent entre autres autour de : Faire la police : Dans le cadre du respect de la tradition, l’instance de gouvernance coutumière procède, de concert avec les pouvoirs publics, à l’ exécution de certains interdits : battre le tam-tam pendant l’hivernage, l’ouverture de débits de boissons alcoolisées … Gérer les conflits : ici il arrive régulièrement que les membres de la communauté, en conflit transmettent le dossier et parfois même sur conseil de la gendarmerie et / ou de la police, au collège des «Frey» qui diligente une action pour trouver généralement une solution à l’amiable. Si le consensus ne permet pas de trouver une solution, le dossier est alors transféré au niveau des instances étatiques : police, gendarmerie, tribunal. Thèse de Doctornt de 3 « » » cycle en géographie présentée par Oumar DIENE 90 La production de l’espace d:ins un vi liage traditionnel rattrapé par l’urb:inisation : Y off (Dakar, Sénégal) Superviser les activités d’intérêt communautaire : En effet, la communauté villageoise organise des manifestations se rattachant aux us et coutumes: le « tourou Marne Ndiaré », l’agrandissement de la mosquée, la construction d’écoles ou de classes en sont des exemples. Dans la réalisation de ces travaux auxquels prennent part d’autres composantes de la communauté, les « Frey » assurent la supervision. Pour l’essentiel, ils veillent à l’application des décisions préalablement discutées et arrêtées entre les parties concernées (les autres assemblées et l’instance exécutive). Pour s’acquitter correctement de ces différentes tâches, le collège des <> est structuré en différentes commissions sur l’environnement, la pêche, la sécurité. Elle gère une caisse alimentée à partir de fonds prélevés à partir de taxes sur les prises des pêcheurs, amendes, et autres pénalités pour non respect des règles de conduite locales ou interdiction de battre le tam-tam pendant l’hivernage. A cela s’ajoutent les dons et autres actes de bienfaisances. Il y ·a quelques décennies, les taxes prélevées sur le prélèvement du sable marin étaient également versées dans cette caisse. Ce prélèvement est maintenant interdit (cf Chapitre 2 de la troisième partie). – Les « Diambour » : ils composent la chambre qui vient après celle des «Frey ». Une fois leur mandat consommé dans la chambre des« Frey», les hommes âgés de 65 à 75 ans intègrent la classe des « Diambour ». Cette assemblée est dirigée par le « Ndeyi Diambour ». Les fonctions de cette instance sont assimilables à celles d’un sénat. Les « Diambour » sont consultés avant la prise des décisions engageant la collectivité. – Les « Maggi Yoff » : ils composent le dernier maillon de la chaîne. Ce collège regroupe les sages du village. Ses membres qui ont un âge supérieur à 75 ans sont choisis sur la base de l’exemplarité de leur comportement. Souvent c’est la délicatesse de la question à traiter qui déclenche le processus de consultation de cette classe d’âge dont l’expérience et la sagesse forcent le respect et la considération de la part des autres membres de la communauté. D’une façon générale, l’instance coutumière à Yoff comme dans la plupart des villages lébou de la presqu’île du Cap Vert, souffre de querelles intestines. Ce malaise trouve en général ses sources sur le champ politique (opposition BDS/SFIO, PS/PDS, « bénoo siggil Sénégal»/ coalition SOPI) mais également sur le traitement de dossiers communautaires (la gestion de l’extension de Yofl). Au-delà du climat de discorde qui découle de cette situation, il semble que la communauté lébou éprouve d’énormes difficultés à concilier le legs coutumier et le contexte de décentralisation en cours au Sénégal. 2. L ‘instance religieuse L’intégration de cette composante dans les instances de décision est liée aux évolutions de la communauté. Jadis animiste, la communauté lébou de Y off a, de manière progressive, fait connaissance avec la religion musulmane. De cette situation a découlé un syncrétisme religieux Thèse de Doctorat de 3 « » » cycle en géographie présentée par Oumar DIENE 9 1 La production de l’espace dans un village traditionnel rattrapé par l’urbanisation : Y off (Dakar, Sénégal) caractéristique de la société lébou. Avec Yoff, la particularité réside dans le fait qu’en plus de cette pénétration de la religion musulmane dans les us et coutumes de la population, le village est le berceau de la confrérie Layène. Cette instance religieuse intervient dans le traitement de plusieurs dossiers de la communauté à travers le Khalife des Layène et le collège des imams de Y off – Le Khalife général des Layène: Au Sénégal, les khalifes exercent d’un point de vue temporel, des fonctions à la fois sociales, politiques et économiques. Ils incarnent également le statut de régulateurs de la cohésion du tissu social confrérique (GUEYE, 2002). La confrérie des Layène n, échappe pas à cette situation. A Y off, le khalife des Layène est le dépositaire de toutes les prérogatives se rapportant au statut de chef de la confrérie. Il jouit d’une grande autorité sur les fidèles. Dans le cadre des relations dites entre le temporel et le spirituel, il travaille en parfaite complémentarité avec les pouvoirs publics dans la gestion des affaires de la cité depuis r époque coloniale. Depuis lors, à l’image des khalifes généraux des autres confréries au Sénégal, il a été l’interlocuteur privilégié de l’Etat. Les cérémonies organisées au cours de l’année par la confrérie des Layène constituent des moments privilégiés pour entrevoir la complexité des rapports qu’entretiennent les autorités religieuses et étatiques. De la fondation de la confrérie à nos jours se sont succédé à la tête du khalifat de la confrérie Layène (à la suite du rappel à Dieu de Seydina Limamou), Seydina Issa Rohou LAYE, Seydina Mandione LAYE, Seydina Issa LAYE, Seydina Marne Alassane LAYE et actuellement Seydina Abdoulaye Thiaw LAYE. Ici la succession se fait selon la filiation patrilinéaire.
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