La prévision économique en France
Raymond Courbis (1)
Si depuis le début des années 1950, des travaux de prévision économique à court terme (budgets économiques) et à moyen terme (projections à 4 ou 5 ans du Plan) sont régulièrement effectués en France par l’Administration (par la SEEF ; puis, depuis le milieu des années 1960, par l’INSEE et la Direction de la Prévision — tous trois relevant du Ministère de l’Économie et des Finances), ce n’est que depuis la fin des années 1960 et surtout depuis les années 1970 que des prévisions non officielles sont également à la disposition des utilisateurs. L’existence de prévisions contradictoires et indépendantes permet seule, à l’évidence, l’instauration d’un débat pluraliste. Les prévisions «officielles» ayant, plus ou moins, un caractère normatif (les évolutions retracées correspondent souvent à des objectifs et non à de simples prévisions), l’existence de prévisions «non officielles» est indispensable pour éclairer les choix des agents économiques autres que l’État, notamment les entreprises. Actuellement, indépendamment de celles qui peuvent être faites par des institutions internationales ou par des instituts de prévision étrangers, six organismes non officiels (cf. tableau 1) publient régulièrement des prévisions pour la France. Depuis 1979, une confrontation a lieu régulièrement, deux fois par an, entre prévisions «officielles» et prévisions «non officielles» au sein du Groupe Technique de la Commission des Comptes de la Nation. Progressivement, les informations prévisionnelles se sont ainsi fortement diversifiées au cours de ces cinq à dix dernières années. Pour l’essentiel, les prévisions économiques non officielles actuellement disponibles sont (cf. tableau 1) des prévisions macroéconomiques (globales) à un an. Mais, depuis quelques années, des prévisions à moyen terme sont également effectuées chaque année par le BIPE (depuis 1979, avec le concours de l’INSEE) et par le GAM A (depuis 1980).
Futuribles Novembre 1983 trimestriel qu’il achève de mettre au point
A un niveau sectoriel, des prévisions (annuelles, dans une politique à moyen terme) sont également disponibles grâce aux travaux du BIPE (qui, dans le cadre des «Projections Glissantes Détaillées» (PGD ) effectuées depuis 1979, décontracte les résultats du modèle PROPAG E de l’INSEE au niveau de 200 indicateurs) et du GAM A (qui projette un TES complet en 90 branches grâce à son modèle intersectoriel ANAIS). Enfin, le modèle multirégional REGIS du GAM A en cours de rechiffrage devrait bientôt permettre de disposer de prévisions macroéconomiques à moyen terme et long terme au niveau de 7 grandes régions (qui, pour 5 d’entre elles, correspondent à un regroupement des 22 régions de programme). On assiste ainsi depuis quelques années à un véritable essor de la prévision économique en France. Un pluralisme de prévisions existe désormais pour l’économie française d’autant qu’en même temps de nombreuses prévisions sont effectuées pour la France par des organisations internationales (OCDE, CEE…) et par de nombreux organismes étrangers. Un tel pluralisme de prévisions est évidemment très sain car il devrait renforcer la concurrence et créer une émulation qui ne pourra qu’améliorer la qualité et la fiabilité des prévisions. Ceci va tout à fait dans le sens de ce qui est souhaité par les pouvoirs publics à la suite du rapport Lenoir-Prot sur l’Information économique et sociale (2). Un des problèmes qui se pose toutefois est celui du financement de ces travaux de prévision. La demande solvable est en effet limitée car les entreprises ou organisations professionnelles, si elles manifestent un besoin certain d’informations prévisionnelles, ne sont pas encore habituées au fait que ces informations ont un coût. On peut toutefois penser qu’une demande solvable plus forte devrait progressivement se manifester (3). Le pluralisme de la prévision en France ne pourrait que s’en trouver renforcé. Ce pluralisme de prévision est d’autant plus intéressant qu’il s’accompagne d’un pluralisme de méthodes. Comme indiqué tableau 2, les méthodes utilisées peuvent être classées en deux grandes catégories : — des méthodes non formalisées, fondées soit sur l’utilisation de «panels» d’experts (AFEDE, Le Nouvel Économiste, La Vie Française-L’Opinion), soit sur une extrapolation raisonnée et l’utilisation d’indicateurs conjoncturels (INSEE, REXECO , OFCE. COE). Initiée aux États-Unis, la technique des indicateurs vise en particulier à rechercher des indicateurs «avancés» qui uraient un caractère de signaux précurseurs des mouvements de récession et de reprise. En même temps, l’analyse des indicateurs de conjoncture permet d’asseoir un meilleur diagnostic conjoncturel et, en conséquence, de mieux interpréter — et donc de mieux extrapoler — les tendances constatées. Une telle approche a été portée à un haut niveau par le Service de la Conjoncture de l’INSEE (4) (qui en outre, depuis quelques années, a recours à l’utilisation conjointe d’un modèle trimestriel). L’intérêt de ces méthodes non formalisées est d’être à la fois faciles à mettre en œuvre, et de permettre une grande flexibilité des schémas explicatifs ; — des méthodes formalisées, fondées actuellement pour l’essentiel sur l’utilisation de modèles économétriques. Ces derniers visent à représenter la réalité sous la forme d’un système de relations mathématiques formalisées et quantifiées ; ils visent en quelque sorte à construire une maquette simplifiée de la réalité économique. L’utilisation des techniques inductives de l’économétrie permet à la fois de tester la validité des formalisations envisagées et d’en quantifier les coefficients. Le grand intérêt des modèles économétriques est de permettre de prendre en compte les interdépendances complexes qui existent entre les différentes variables économiques.