La preuve cosmologique de l’existence de Dieu, Saint Thomas D’Aquin (1227-1274)

Pour mieux comprendre le texte

Pour Lanza del Vasto, la religion, la croyance, Dieu, ne sont pas seulement des concepts, mais renvoient à une expérience vécue. Il est vain de chercher des preuves de l’existence de Dieu : « À celui qui démontrait que le mouvement n’existait pas, écrit-il, en dissertant sur les contradictions que ce concept implique, le sage6 répondit sans parler : en marchant7. » Lanza del Vasto invite donc l’homme en quête de spiritualité à « rencontrer » Dieu, à éprouver sa présence au-dedans de soi. Il prolonge en ce sens l’enseignement de Gandhi, selon lequel « Dieu n’est ni au ciel ni aux enfers mais en chacun de nous8 ».
Pour ce faire, l’auteur propose dans son livre un certain nombre d’exercices spirituels visant à reconstruire l’unité intérieure de la personne, d’ordinaire éclatée et entraînée vers le dehors par l’enchaînement et l’attachement aux objets extérieurs et aux obligations sociales. L’attention à soi-même est la règle d’or de ces exercices : se rendre régulièrement « présent au présent », dans le silence et la méditation. Cette expérience de vie intérieure permet la connaissance de soi, puis la maîtrise de soi, et enfin le don de soi, car la spiritualité ne se réalise que dans la relation.
La notion centrale est ici celle de conversion : retournement, renversement, rupture qui concerne la vie de toute la personne. La conversion ne peut donc être un choix de dilettante, mais, selon l’auteur, un « retour à l’évidence » : Lanza del Vasto s’est lui-même converti, à 24 ans, « par contrainte logique ».
Enfin, le terme de péché, qui apparaît dans le texte, ne doit pas être envisagé dans son acception strictement chrétienne (au sens de faute, mauvaise action, ou plus généralement de rupture de relation avec Dieu). L’auteur l’entend plutôt comme l’expression de « l’esprit de profit et de domination ».
La conversion, qui est renoncement à ce « péché », conduit au contraire à « l’esprit de service » : servir le prochain au lieu de se servir soi-même, car la finalité de la conversion est le don de soi.

Le bouddhisme est-il une religion ? Dalaï-lama (né en 1935)

Tout regard sur une religion non monothéiste nous oblige à élargir notre conception du fait religieux. C’est ce à quoi nous convie le dalaï-lama, chef spirituel du bouddhisme tibétain.
Dans l’approche bouddhique, la raison et la foi sont intimement liées puisque la foi elle-même naît sur la base de la raison ou d’une compréhension logique. Il y a plusieurs façons de procéder à une analyse logique selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre des trois types d’objet d’analyse. Dans le premier cas, l’objet d’analyse sera un phénomène manifeste. Dans le second, il sera caché et dans le troisième, très caché. Ces trois sortes d’objet correspondent aux trois types existants. Les phénomènes manifestes seront appréhendés par des perceptions initiales avérées directes, les phénomènes cachés par des perceptions type inférences basées sur des preuves irréfutables et les phénomènes très cachés par des inférences fondées sur la confiance accordée aux écritures canoniques. La signification d’un phénomène très caché ne peut être immédiatement établie par un raisonnement logique et encore moins par une perception sensorielle. On ne peut alors comprendre son sens qu’en se fondant sur la parole d’une tierce personne fiable et infaillible en qui on a confiance. Pour que ses dires soient crédibles, il faut qu’ils soient logiques et ne se contredisent pas. La raison, qui n’intervient pas directement pour établir l’existence d’un phénomène du troisième type, a pourtant son rôle à jouer dans la mesure où l’on s’en sert pour déterminer si la personne révélant le phénomène très caché est fiable. Tout ceci prouve que la raison est toujours impliquée dans la foi « fondée ». C’est un sujet que j’ai souvent l’occasion d’exposer : par rapport aux voies essentiellement fondées sur la foi (aveugle), le bouddhisme n’est pas une religion, mais plutôt une science de l’esprit, une forme d’athéisme. En revanche, comparé au matérialisme radical, il est indiscutablement une voie spirituelle. Cela dépend de quel point de vue on se place. En somme, on pourrait dire soit que le bouddhisme est distinct de ces deux approches, soit qu’il établit un pont entre elles.
Dalaï-lama, Au-delà des dogmes (1994), trad. Rosemary Patton, coll. « Spiritualités vivantes », éd. Albin Michel, 1994, pp. 215-216.

Pour mieux comprendre le texte

La foi bouddhiste n’est pas une foi aveugle ni une foi fondée sur des conventions, mais une foi rationnelle, qui est fondée sur la raison.
Celle-ci est en effet sollicitée pour examiner les fondements de la foi, pour assurer la compréhension logique des phénomènes auxquels on croit, pour tester la fiabilité des sources (humaines ou scripturaires) auxquelles on fait confiance. C’est pourquoi le statut de religion a pu être contesté en ce qui concerne le bouddhisme. Sagesse, science de l’esprit, et même athéisme au sens strict (puisqu’il ne reconnaît ni Dieu éternel et créateur, ni âme immortelle), pour les théologiens ; voie spirituelle (puisqu’il repose sur la méditation), pour les matérialistes.
Le dalaï-lama y voit un pont entre ces deux positions extrêmes. Plus précisément, il conçoit le bouddhisme comme une religion du point de vue de la conduite et comme une philosophie eu égard à sa vision du monde : la première concerne la non-violence9 et la seconde, l’interdépendance de tous les phénomènes, dont la compréhension conduit au bonheur. En effet, chemin pragmatique avant tout, le bouddhisme n’en développe pas moins une doctrine (le Dharma), et n’en vise pas moins à un résultat au-delà de cette vie : la Voie spirituelle doit mener, par purification de l’esprit, à l’Éveil, au Nirvana, qui est la cessation du désir et de l’attachement, l’extinction de la soif d’existence, et de ce fait l’abolition de tout trouble et de la souffrance. Il entraîne la libération définitive à l’égard du cycle des morts et des renaissances.

Le débat sur l’existence de Dieu

Bien qu’elle ne constitue, strictement parlant, qu’un élément parmi d’autres d’une interrogation philosophique sur la religion, la question de l’existence de Dieu a offert matière à un débat récurrent tout au long de l’histoire de la philosophie. Nombre de métaphysiciens se sont efforcés de démontrer rationnellement que Dieu existe, soit à partir de son concept, soit à partir de l’ordre du monde, soit enfin à partir de la contingence de l’univers.
Emmanuel Kant a proposé un classement de ces preuves de l’existence de Dieu, qui a été adopté depuis : ces preuves ne sont plus qualifiées de « physiques », « métaphysiques » et « morales », mais de « physico-théologiques », « cosmologiques » et « ontologiques ». La preuve ontologique a connu la plus grande fortune, dans sa version anselmienne (texte 7), comme dans ses versions cartésienne (texte 9) et leibnizienne (texte 10). Saint Thomas d’Aquin, pour sa part, a préféré défendre un argument cosmologique, qui greffe un contenu dogmatique chrétien sur le modèle d’argumentation aristotélicien (texte 8). Kant, cependant, a définitivement mis fin à toute tentative de traitement métaphysique de la question de l’existence de Dieu : une telle prétention est illusoire, compte tenu de nos capacités limitées de connaissance. La grande porte de la métaphysique ayant été refermée et condamnée de manière irrévocable, seule semblerait rester ouverte la fenêtre de la religion. C’est pourtant par une réflexion éthique que Kant pose sur de nouvelles bases le problème de l’existence de Dieu (texte 11).
Paradoxalement, malgré son statut privilégié parmi les débats classiques de la philosophie, l’examen de la question de l’existence de Dieu se situe à la marge d’une approche philosophique de la religion : son propos concerne en effet moins le pourquoi de l’attitude humaine qu’est la religion, que le quoi de la causalité du monde. En un mot, son enjeu est d’ordre métaphysique. Et en tant que tel, ce débat subira, au cours de l’histoire de la philosophie, les aléas qui affecteront tous les questionnements métaphysiques. Il ne sortira pas indemne, notamment, de la révolution kantienne. Justement parce que le problème de l’existence de Dieu ne peut être tranché par la métaphysique de manière irréfutable, et ne le pourra jamais, il laisse le champ libre aux choix proprement humains, soit strictement subjectifs, soit à prétention universelle comme l’exigent les principes de la morale kantienne. Le problème philosophique de l’existence de Dieu ne disparaît donc nullement, mais se déplace : quel(s) choix faut-il faire, face à une question qui demeurera fatalement sans réponse positive, qui ne pourra jamais être tranchée sans contestation possible ? Et comment justifier ce(s) choix ? Au nom de quoi faut-il en décider et s’y engager ?

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La preuve ontologique de l’existence de Dieu, Saint Anselme (1033-1109)

Saint Anselme, moine en Normandie (à l’abbaye du Bec), puis archevêque de Cantorbéry, cherche à démontrer l’existence de Dieu. Il élabore à cet effet un argument que l’on appellera métaphysique, jusqu’à ce que Kant le nomme ontologique.
Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant que tu sais faire, de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous croyons. Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand. N’y a-t-il pas une nature telle parce que l’insensé a dit dans son cœur : « Dieu n’est pas10 » ? Mais il est bien certain que ce même insensé, quand il entend cela même que je dis : « quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand », comprend ce qu’il entend, et ce qu’il comprend est dans son intellect, même s’il ne comprend pas que ce quelque chose est. Car c’est une chose que d’avoir quelque chose dans l’intellect, et autre chose que de comprendre que ce quelque chose est. En effet, quand le peintre prémédite ce qu’il va faire, il a certes dans l’intellect ce qu’il n’a pas encore fait, mais il comprend que cette chose n’est pas encore. Et une fois qu’il l’a peinte, d’une part il a dans l’intellect ce qu’il a fait, et d’autre part il comprend que ça est. Donc l’insensé aussi, il lui faut convenir qu’il y a bien dans l’intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, puisqu’il comprend ce qu’il entend, et que tout ce qui est compris est dans l’intellect. Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l’intellect. Car si c’est seulement dans l’intellect, on peut penser que ce soit aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est seulement dans l’intellect, cela même qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est tel qu’on peut penser quelque chose de plus grand ; mais cela est à coup sûr impossible.
Il est donc hors de doute qu’existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l’intellect que dans la réalité.

Pour mieux comprendre le texte

Saint Anselme voit dans la raison un appui pour la foi, une foi à la recherche de l’intelligence d’elle-même (« fides quaerens intellectum »). La philosophie est donc au service de la théologie, les prémisses et les finalités de son raisonnement sont religieuses (l’auteur dit à plusieurs reprises : « nous croyons »). Cependant la définition qu’il donne de Dieu doit pouvoir être admise par tous, y compris par « l’insensé » évoqué dans les Psaumes, celui qui soutient que Dieu n’existe pas. Cette définition est la suivante : Dieu serait « quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand ». Tout homme, même athée, peut concevoir un tel être.
À partir de cette définition, saint Anselme développe l’argument suivant : un tel être ne peut pas exister seulement dans l’intelligence (« l’intellect »), car s’il n’était qu’un concept (et n’existait donc pas dans la réalité), on pourrait concevoir un autre être qui, lui, existerait aussi dans la réalité (et non seulement dans l’intelligence), et qui par conséquent serait plus grand que le premier. Pour être vraiment « tel que rien ne se peut penser de plus grand », il doit donc exister non seulement dans l’intelligence, à titre de concept, mais aussi dans la réalité. Dire que « Dieu n’existe pas », c’est donc se contredire ; car comment penser un être infiniment grand (ce que chacun peut faire), et lui refuser en même temps l’existence (ce que font les athées) ?
Cette preuve de l’existence de Dieu est dite ontologique car elle part de son essence et de son concept, et non cosmologique (elle partirait de la contingence du monde pour remonter jusqu’à l’existence d’un être nécessaire), ou physico-théologique (elle partirait de l’ordre régnant dans le monde pour remonter jusqu’à sa cause).
L’argument ontologique sera critiqué par le moine Gaunilon, du vivant même de saint Anselme qui lui répondra ; puis il sera critiqué par saint Thomas, repris et transformé par Descartes et Leibniz, à nouveau critiqué par Kant…

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