LA PREECLAMPSIE SEVERE

LA PREECLAMPSIE SEVERE

La prééclampsie appartient au groupe des « syndromes vasculo-rénaux », terme proposé en 1957 par MERGER pour réunir les états pathologiques de la femme enceinte qui se caractérisent par une triade symptomatique où l’hypertension artérielle, la protéinurie et les œdèmes s’associent à des degrés variés [73]. Elle est responsable de 50.000 à 76.000 décès maternels dans le Monde, et de 35.000 crises d’éclampsie chaque année [118]. La prévalence de la prééclampsie est élevée en Afrique: elle est en moyenne de 4% dans la population générale, et peut aller jusqu’à 18% dans certaines ethnies [118]. De par cette fréquence élevée, mais aussi par la diversité et la gravité de ses manifestations, la prééclampsie reste un problème de santé publique. Sa prise en charge est complexe et son évolution souvent imprévisible. Dans notre pratique obstétricale nous rencontrons habituellement des cas de prééclampsie sévère. Le pronostic maternel et fœtal dépend de la précocité du diagnostic et de la prise en charge adéquate par une équipe multidisciplinaire.Afin de contribuer à cette prise en charge dans notre contexte de travail, Sène [104] avait mené une étude en 2010. Cette étude révélait une létalité maternelle de 5%, et une mortinatalité à 200‰. Ces taux sont très élevés car la mortalité par prééclampsie est évitable. Que s’est-il passé depuis 2010? Dans le but d’actualiser les données, et d’approfondir nos connaissances sur la prééclampsie sévère au Sénégal, nous nous sommes proposé une étude sur ce sujet. Nous complèterons le travail de Sène [104], en augmentant la durée de l’étude et l’effectif du recrutement. Les objectifs étaient de: – décrire le profil épidémiologique des patientes présentant une prééclampsie sévère; – décrire les formes cliniques de cette pathologie; – préciser les aspects thérapeutiques de la prééclampsie sévère; – évaluer le pronostic de la prééclampsie sévère; et – formuler des recommandations pour améliorer la prise en charge de cette pathologie dans notre contexte d’exercice obstétrical à Dakar. Notre travail s’articule en 2 parties : une première où nous avons effectué une revue de la littérature sur la prééclampsie sévère, et une deuxième partie où nous rapporterons les résultats de notre étude que nous commenterons. Nous terminerons ce travail par une conclusion et des recommandations. 3 P

GENERALITES SUR LA PREECLAMPSIE SEVERE 

 Prééclampsie (PE) Elle est définie par l’association : – d’une hypertension artérielle (HTA) apparaissant à partir de la 20ème semaine d’aménorrhée (SA) avec une pression artérielle systolique (PAS) ≥ 140 mm Hg et/ ou une pression artérielle diastolique (PAD) ≥ 90 mm Hg à 2 prises, et à un intervalle de 10 minutes [12] et ; – d’une protéinurie ≥ 300 mg/24h, ou >1 g/l, ou ≥ 2 croix aux bandelettes urinaires ; cette protéinurie de type glomérulaire est surtout faite d’albumine, cependant, elle peut manquer initialement dans certains cas [39, 67, 77, 93, 99, 109, 118]. 1.2. Prééclampsie sévère(PES) C’est par consensus professionnel qu’une définition de la PES a été adoptée par un groupe d’experts français en 2008 [88]. Il s’agit d’une prééclampsie avec au moins l’un des critères suivants : – HTA sévère (PAS ≥160 mm Hg et/ou PAD ≥110 mm Hg); – Atteinte rénale avec : oligurie (<500 ml/24h) ou créatininémie > 135 µmol/l, protéinurie > 5 g/l; – Œdème aigu du poumon (OAP) ou barre épigastrique persistante ou syndrome HELLP (hemolysis, elevated liver enzymes, low platelets) ; – Eclampsie ou troubles neurologiques rebelles (troubles visuels, reflexes ostéotendineux polycinétiques, céphalées); – Thrombopénie < 100.103 /cc; – Hématome rétroplacentaire (HRP) ou retentissement fœtal. 2

EPIDEMIOLOGIE 

Fréquence 

La fréquence de la PE est variable en raison des différences ethniques, géographiques et socioéconomiques des populations étudiées, de la multiplicité des définitions, et de la fréquence des erreurs de diagnostic [18, 39, 77] Cependant, elle est nettement plus élevée dans les pays en développement. Elle touche 3 à 7% des nullipares et 1 à 3% des multipares suivant les pays [88]. Au Maroc, elle touche 10 à 15% des primipares et 3 à 5% des multipares [18]. Les primipares constituent le groupe le plus 5 exposé avec 52% au Sénégal [109] et 77% en France [53]. La PES représente 10% des HTA pendant la grossesse. La PE est responsable d’une mortalité maternelle variant entre 0,1 et 5 pour 100 cas, voire plus [53, 104]. Première cause de la mortalité maternelle en France et seconde cause au Royaume-Uni, cette mortalité est largement rencontrée chez les patientes ayant un syndrome HELLP [4]. 

Facteurs de risque 

 Facteurs de risque liés à la grossesse L’intervalle long (> 59 mois) entre deux grossesses, les grossesses multiples, les anomalies chromosomiques du fœtus, l’anasarque fœtale et la môle hydatiforme sont retrouvés comme facteurs de risque de la prééclampsie [11, 75, 87].  Facteurs indépendants de la grossesse  Facteurs familiaux et génétiques Les antécédents de PE chez la mère ou la sœur font augmenter l’incidence de la PE d’un facteur de 3 à 5 [11, 53].  Facteurs immunologiques Les primipares ont un risque 3 fois plus élevé de développer une PE par rapport aux femmes dont les grossesses antérieures ont évolué au delà du 5ème mois. L’immunisation antipaternelle ou la « primipaternité » intervient dans la genèse de la PE. En effet, la tolérance immune de la greffe fœtale nécessite une immunisation préalable de la mère contre les déterminants paternels. Cette immunisation se produit par le contact des muqueuses maternelles avec le sperme du procréateur. L’absence ou la paucité d’une exposition préalable des muqueuses maternelles au sperme du conjoint augmente le risque de PE. C’est le cas de conception précoce dans un couple récent (moins de 4 mois de cohabitation), dans un couple utilisant une contraception-barrière, ou en cas d’insémination artificielle avec un donneur étranger [11, 108].  Facteurs environnementaux La vie en altitude, le stress physique et psychologique font augmenter l’incidence de la prééclampsie [38]. 6  Facteurs maternels Ils regroupent les pathologies auto-immunes, l’HTA chronique, les néphropathies chroniques, l’insulinorésistance, les trombophilies, le syndrome des antiphospholipides, les antécédents de dysgravidie et l’âge maternel précoce (< 18 ans) ou avancé (≥ 40 ans) [11].  Facteurs paternels Le père peut intervenir dans la genèse de cette pathologie de 2 manières : un « conflit immunologique» entre père et mère, ou la transmission paternelle d’un gène (ou autre facteur) contribuant au dysfonctionnement placentaire. Ainsi le risque de prééclampsie serait accru pour la femme dont le partenaire est lui-même issu d’une grossesse prééclamptique 

PHYSIOPATHOLOGIE

 La physiopathologie de la PE reste imparfaitement comprise. Cependant, les données de la biologie moléculaire récentes confrontées aux études anatomopathologiques plus anciennes orientent vers un schéma physiopathologique (figure 1) incluant les étapes suivantes: – un défaut de remodelage vasculaire utérin (en grande partie lié à un défaut d’invasion trophoblastique) responsable d’une hypoperfusion de la chambre intervilleuse ; – une hypoxie placentaire et un stress oxydant induisant un dysfonctionnement généralisé du syncytiotrophoblaste ; et – un dysfonctionnement de l’endothélium maternel lié à diverses substances libérées par le placenta dans la circulation maternelle (radicaux libres, lipides oxydés, cytokines, VEGFR-1), conduisant aux signes cliniques de la maladie. 

Défaut de remodelage vasculaire utérin 

 Défaut d’invasion trophoblastique Au cours de la PE, l’invasion trophoblastique est altérée. L’invasion de la portion interstitielle de l’utérus est relativement préservée, mais l’invasion endo et péri-vasculaire des artères est fortement diminuée. Meekins [71] montre qu’en cas de PE, l’invasion des artères déciduales par le cytotrophoblaste extravileux diminue de 56% et que l’invasion des artères myométriales passe de 76 à 18%. 7 A ce défaut d’invasion des artères maternelles s’ajoute un défaut de leur remodelage par les cytotrophoblastes extravilleux. Ainsi les artères utérines, lors d’une PE, ont un diamètre plus petit et conservent leur potentiel vasocontricteur [94] à l’origine de l’hypoxie placentaire. Plusieurs facteurs impliqués dans l’invasion trophoblastique semblent être altérés en cas de PE [25, 62] : – les protéinases ; – la tension en oxygène ; – les molécules d’adhésion et – le système immunitaire. 3.1.2. Remodelage indépendant de l’invasion trophoblastique Les modifications initiales des artères utéro-placentaires comportent une désorganisation généralisée de ces artères avec une vacuolisation endothéliale, une désorganisation des cellules musculaires lisses, et une dilatation luminale [27, 56]. Elles seraient dues à une activation du système rénine-angiotensine décidual ou à des facteurs hormonaux circulants maternels 

Remodelage vasculaire induit par des facteurs diffusibles issus du trophoblaste extra-villeux interstitiel 

Le cytotrophoblaste extra-villeux sécrète des facteurs angiogéniques qui pourraient être impliqués dans le remodelage vascullaire. Le plus connu parmi eux est le VEGF-A .Le VEGF-A est sécrété par les cellules trophoblastiques de la villosité ainsi que par le cytotrophoblaste extra-villeux tout au long de sa voie de différenciation dans l’utérus [24].Il pourrait donc être responsable de l’angiogénèse utéro-placentaire soit par un mode paracrine (VEGF sécrété par le trophoblaste extravilleux), soit par un mode endocrine (VEGF sécrété par les trophoblastes de la villosité). 

Dysfonction placentaire responsable du relargage dans la circulation maternelle de substances diverses 

La diminution de la perfusion placentaire secondaire au mauvais remodelage vasculaire utérin engendre progressivement une dysfonction placentaire. La cause de cette dysfonction est actuellement mal connue et débattue. Il est classiquement admis qu’il s’agit d’une hypoxie placentaire, mais il n’y a actuellement pas de preuve directe en faveur de cette hypoxie. Il existe néanmoins des éléments indirects en faveur de l’hypoxie placentaire dans la PE comme 8 l’augmentation de l’index mitotique, l’augmentation de l’épaisseur du syncytium, et l’augmentation de marqueurs moléculaires d’hypoxie comme HIF-1a [9, 92]. 3.3.Maladie endothéliale maternelle Au cours de la PE, l’endothélium vasculaire maternel subit des modifications structurales et fonctionnelles conduisant à une altération de la réactivité vasculaire aux substances vasomodulatrices, à une activation de la cascade de la coagulation, et à une augmentation de la perméabilité capillaire. Le dysfonctionnement endothélial se manifeste par une forte concentration de marqueurs de l’activation endothéliale dans la circulation ou les urines maternelles [96]. Parmi ceux-ci, on peut citer le facteur de Von Willebrand, la fibronectine cellulaire, l’endothéline et le VCAM. La dysfonction endothéliale peut parfois être associée à un processus de lésion endothéliale, comme en témoigne l’augmentation de la thrombomoduline soluble. En cas de PE, les cytokines produites par le placenta et déversés dans la circulation maternelle inhibent les facteurs myorelaxants décrits et augmentent la production de facteurs responsables d’une contraction des cellules musculaires lisses comme les endothélines (ET-1) et le thromboxane (TXA2). De plus, ces cytokines libérées par le placenta sont capables d’activer le système rénine-angiotensine induisant une production d’angiotensine II. Il en résulte une augmentation des résistances vasculaires périphériques et une HTA [112]. Au niveau rénal, les cellules endothéliales qui délimitent les capillaires glomérulaires changent également de morphologie. Elles accumulent des lipides et obstruent fréquemment la lumière des capillaires glomérulaires. Ces lésions sont responsables du dysfonctionnement rénal à l’origine de la protéinurie associée à la PE [42]. Ces lésions constituent une entité très particulière appelée « endothéliose glomérulaire », qui est retrouvée chez 80% des femmes prééclamptiques. Le VEGF et le PIGF sont des facteurs de croissance impliquée dans les processus d’angiogénèse et de vasculogénèse. Ce sont des facteurs indispensables à la survie des cellules endothéliales. En cas de PE, probablement du fait de l’hypoxie placentaire, la production placentaire de sFlt-1 est considérablement accrue ce qui entraîne un effondrement des taux sériques de VEGF et PIGF. Il a été montré que cette carence en VEGF et PIGF est responsable de la dysfonction endothéliale maternelle systémique et de la néphropathie glomérulaire .

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE :GENERALITES SUR LA PREECLAMPSIE SEVERE
1. DEFINITIONS
1.1. Prééclampsie (PE)
1.2. Prééclampsie sévère (PES)
2. EPIDEMIOLOGIE
2.1. Fréquence
2.2. Facteurs de risque
3. PHYSIOPATHOLOGIE
3.1. Défaut de remodelage vasculaire utérin
3.2. Dysfonction placentaire responsable du relargage dans la circulation maternelle de substances diverses
3.3. Maladie endothéliale maternelle
4. SIGNES DE SEVERITE DE LA PREECLAMPSIE
4.1. Signes cliniques maternels
4.2. Signes paracliniques maternels
4.3. Signes de détresse fœtale
4.4. Complications
5. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
6. EVOLUTION ET PRONOSTIC
6.1. Pronostic maternel
6.2. Pronostic périnatal
6.3. Evolution à long terme
7. PRISE EN CHARGE DE LA PREECLAMPSIE SEVERE
7.1. Principes thérapeutiques
7.2. Traitement préventif
DEUXIEME PARTIE :NOTRE ETUDE
1. METHODOLOGIE
1.1. Objectifs
1.2. Cadre d’étude
1.3. Type d’étude
1.4. Définition des cas
1.5. Recueil des données
1.6. Saisie et analyse des données
2. Résultats
2.1. Profil épidémiologique
2.1.1. Fréquence
2.1.2. Caractéristiques générales
2.1.3. Antécédents
2.1.4. Histoire de la grossesse
2.2. Aspects cliniques de la prééclampsie sévère
2.2.1. Signes fonctionnels de sévérité
2.2.2. Signes généraux de sévérité
2.2.3. Signes biologiques de sévérité
2.2.4. Complications
2.3. Aspects thérapeutiques
2.3.1. Prise en charge obstétricale
2.3.2. Prise en charge médicale
2.3.3. Contraception
2.4. Aspects pronostiques
2.4.1. Pronostic global
2.4.2. Pronostic spécifique des formes cliniques
3. Discussion
3.1. Profil épidémiologique
3.2. Tableaux cliniques de PES
3.3. Aspects pronostiques
3.4. Aspects thérapeutiques
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES

 

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