LA PREDICATION DES FEMMES MUSULMANES
Revue de la littérature : état de la recherche
Les recherches sur « femme et Islam » remontent au XIXème siècle dans le monde arabe (Sarr, 2007), ce qui justifie la littérature abondante sur cette question. Vouloir faire l‟inventaire de toute la littérature existante serait une tâche difficile. Néanmoins, nous allons nous appesantir sur les œuvres qui l‟ont abordée dans une perspective proche de notre sujet. La question de la femme en Islam a toujours occupé le cœur du débat dans le monde islamique. Mais, la tendance actuelle, c‟est qu‟au sein de cette effervescence intellectuelle, des femmes musulmanes essayent de prendre la parole afin de se réapproprier ce qui a toujours été entre les mains des hommes, à savoir, leur propre destinée. Et la prédication des femmes s‟inscrit dans cette dynamique de changement du visage de l‟espace religieux. La prédication des femmes dans l‟espace public sénégalais semble être un créneau porteur pour régler les questions d‟égalité12 entre les hommes et les femmes dans un domaine réservé exclusivement aux hommes, à savoir le champ religieux. Le renforcement de la position des femmes dans cette sphère peut leur servir de tremplin social (Mbow, 2005). En effet, la question féminine se présente davantage comme un levier du changement, un tremplin, comme le reprend Zeynab Samandi13 pour effectuer le saut dans la modernité. Toutefois, l‟on note que l‟implication des femmes dans le 12 Il est important de préciser ici que nous faisons allusion à l‟égalité en terme d‟accès. SAMANDI (Zeyneb), 2009, « Féminismes et modernités : les sémantiques du corps féminin » in La recherche féministe francophone : Langue, identités et enjeux, Paris, Editions Karthala, pp.255-266. 3 processus de construction du projet de société dans les pays musulmans pose souvent la problématique des droits de la femme en Islam.
Les études portant sur la problématique des droits de la femme en Islam
En posant la problématique Islam et droits de l‟homme en termes d‟égalité, Marc Agi (2007) précise dans son ouvrage qu‟au début des années 1980, une réflexion avait enfin commencé à se faire jour dans le monde religieux. Son objectif était de permettre à chacun de s‟intégrer, tout en gardant sa foi, dans un monde pacifié, où les idéologies allaient comprendre qu‟une cohabitation pacifiée était réellement possible entre les différents modes de pensée (Agi, 2007 : 15). Selon l‟auteur, on était parvenu à l‟idée que vivre et laisser vivre était, en fin de compte, éminemment souhaitable et que l‟existence des uns devait être possible sans l‟extermination des autres. Pour sa part, le monde musulman semblait s‟être définitivement mis en marche vers la modernité, avec son histoire et ses apports positifs. Agi se pose la question de savoir quelle est, en tout état de cause, la conception islamique des droits de l‟homme, à la lumière du coran, de la tradition et des penseurs musulmans. L‟auteur dans sa réflexion avance que l‟Islam est un dogme, une loi, une culture, une communauté du juste milieu à laquelle il est prescrit de recommander le bien et de s‟opposer par tous les moyens au mal et à l‟injustice (Agi, 2007). Pour l‟auteur, au sein de cette communauté, les croyants jouissent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes obligations, dans un statut d‟égalité, de fraternité, de liberté relative, sans aucune discrimination de race, de sexe, de condition de fortune ou de rang social (Agi, 2007 : 20). Il précise que la vertu sociale primordiale est donc l‟équilibre et le juste milieu, ou, en d‟autres termes, la justice « l‟acte le plus proche de la piété » selon le coran (Agi, 2007 : 28). Pour l‟auteur, la justice devrait en théorie être solidement ancrée dans les bases de la société et garantir les droits de l‟homme. L‟égalité est pour la perception musulmane de l‟homme une évidence naturelle. Créé pour être une fin en soi, Agi souligne que l‟individu est revêtu d‟une dignité immanente mais, face à la transcendance divine, il se trouve dans une position d‟égale soumission. L‟exclusivité d‟Allah implique l‟unité de l‟humanité et l‟égalité de tous les êtres. Pour l‟auteur, aucun individu n‟est inférieur aux autres, personne ne saurait prétendre dominer. Et que les différences créées par la nature sont d‟ordre exclusivement fonctionnel et non pas substantiel. Il ajoute, cependant que l‟évolution historique entraîna des abus notoires, basés sur des interprétations purement littérales du coran, qui devaient, dans l‟ensemble, favoriser l‟égoïsme masculin. La femme dans la société islamique paraît disposer, à l‟époque contemporaine, d‟un statut qui paraît choquant, selon les canons de la civilisation moderne. Les débats entre l‟occident et le monde musulman, ainsi qu‟à l‟intérieur même de ce dernier, ont été de ceux qui s‟avérèrent les plus violemment polémiques, de part et d‟autre. Pour l‟auteur, ils conduisirent à plus de malentendus que de compréhension, parce qu‟ils s‟initiaient de prémisses fondamentalement divergentes pour les droits de la femme.
Les travaux relatifs à la manipulation ou à l’interprétation partisane des textes sacrés
A ce niveau, la sociologue marocaine Fatima Mernissi (1987) pose le problème de la mise à l‟écart de la femme dans la vie politique. Selon elle, cette marginalisation des femmes de la vie politique est due à des Hadiths misogynes qui n‟ont pas l‟innocence de la parole divine mais sont l‟œuvre d‟hommes imprégnés des préjugés et des coutumes préislamiques. Elle revendique le retour aux valeurs traditionnelles de l‟Islam. Pour elle, le projet du prophète était d‟instaurer une communauté religieuse et démocratique où hommes et femmes discuteront des lois de la Cité afin d‟éviter l‟obscurantisme religieux et culturel. Pour retrouver l‟identité de ceux qui ont condamné la femme au confinement dans l‟espace privé au nom de la foi religieuse, l‟auteure mène une analyse fine à travers l‟énorme masse de la littérature religieuse qui commente les paroles, faits et gestes du prophète. Ainsi, elle part d‟un Hadith qui est souvent invoqué pour exclure les femmes de la gestion des affaires publiques, à savoir : « Ne connaîtra jamais la prospérité, le peuple qui confie ses affaires à une femme » (Mernissi, 1987 :10). Elle affirme que plusieurs auteurs (Bokhari, Nassaï etc.) soutiennent non seulement que la femme n‟a aucun droit, mais qu‟elle n‟existe pas dans l‟histoire politique. Pourtant, d‟après Mernissi, Aïcha, la femme du Prophète a dirigé une opposition armée contre le Khalife à l‟époque de la bataille du chameau. Elle souligne qu‟on ne peut pas effacer Aïcha de l‟histoire de l‟Islam, même si des auteurs ont montré que cet acte ne peut être revendiqué pour légitimer la participation des femmes aux affaires politiques. La prédication des femmes musulmanes dans l’espace public au Sénégal 24 Ce qui l‟incite d‟ailleurs à déduire que non seulement le texte sacré a toujours été manipulé, mais sa manipulation est une caractéristique structurelle de la pratique du pouvoir dans les sociétés musulmanes. Au-delà de l‟égalité désirée par les femmes, il y avait un enjeu économique capital pour elle. Face à ce problème de survie pour la communauté, la plupart des femmes n‟ont pas eu la réaction politique qu‟il fallait, à part Umm Salma (Mernissi, 1987 : 170) qui défendait le droit de faire la guerre non pour s‟enrichir, mais pour avoir le privilège de « se sacrifier pour Dieu » et la cause du Prophète. Dans ses recherches, Fatima Mernissi a également montré comment on en est arrivé à assimiler la femme musulmane à cette créature soumise, marginale, « qui se terre et ne s‟ouvre au monde qu‟apeurée et recroquevillée dans ses voiles » (Mernissi, 1987 :246). L‟étude de Fatima Mernissi présente un grand intérêt dans la pensée féministe en pays musulmans. En effet, elle a mis l‟accent sur l‟utilisation de certains Hadiths misogynes qui confinent les femmes dans l‟espace privé. Elle en déduit que cela va à l‟encontre du projet de société du Prophète qui est d‟instaurer une communauté religieuse et démocratique où hommes et femmes discuteront des lois de la Cité. Bien qu‟intéressante, cette étude n‟a pas cherché à faire la dichotomie entre ce qui relève du religieux et du traditionnel dans la manipulation de certains textes religieux. La prédication des femmes musulmanes dans l’espace public au Sénégal 25 Le WLUML14 (Women Living under Muslim Laws) (WLUML, 1998 :14) a abordé cette question en organisant un atelier sur l‟interprétation du coran par les femmes. Au cours des échanges, et par la suite, un certain nombre de femmes et de groupes de femmes ont exprimé fortement le besoin de briser le monopole de l‟interprétation masculine du texte coranique. Dans le monde musulman, il existe des situations dans lesquelles les femmes ont une liberté très restreinte et demeurent recluses, ne disposant que de très peu d‟espace. Cependant, il existe d‟autres situations où cet espace est beaucoup plus vaste. D‟après ce réseau, de nombreux rituels, coutumes et attitudes sont considérés dans certains pays musulmans comme étant islamiques. Pourtant, lorsqu‟elles se réunissent, malgré leur diversité culturelle, elles découvrent que les mêmes choses ne se passent pas de la même manière. L‟exemple le plus frappant, lors d‟une de leur rencontre, a été le fait que la circoncision féminine (WLUML, 1998 :10) en Afrique soit justifiée comme un acte islamique. Ce dernier a choqué beaucoup d‟entre elles qui venaient de régions du monde musulman où cette pratique était inconnue. Par conséquent, une des tentatives du réseau (WLUML) est de promouvoir et de faciliter l‟interaction et les échanges entre les femmes du monde musulman. Ceci leur permettra de faire la distinction entre ce qui relève du religieux et ce qui est du ressort de la coutume, par rapport à la culture spécifique dans laquelle elles évoluent.
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