La pratique phytosanitaire viticole française

La pratique phytosanitaire viticole française

On ne saurait présenter les pratiques phytosanitaires sans faire un constat de l’impact économique et environnemental de la protection du vignoble.

Contexte économique

La viticulture française est un secteur encore très consommateur de produits phytosanitaires. Aubertot et al. (2005) ont quantifié cette situation : [Elle] tient moins à l’importance des surfaces cultivées (0.860 Mha soit seulement 3,7 % de la [SAU]) (Onivins, 2003), qu’au nombre de traitements phytosanitaires réalisés [. . . ] Ces traitements sont considérés comme la solution quasi-unique contre le cortège de bio-agresseurs [voir def.2] de la culture. Si l’on comptabilise le nombre moyen d’applications visant chaque bioagresseur (enquêtes BVA réalisées annuellement pour les firmes), une vingtaine de traitements sont appliqués annuellement. Il s’agit majoritairement de pulvérisations de fongicides (360 d/ha) visant essentiellement deux maladies : l’oïdium et le mildiou qui, à elles seules, génèrent 70% des dépenses phytosanitaires. Les insecticides et les herbicides représentent respectivement 130 et 150 d de dépenses. Ainsi la vigne utilise t-elle environ 20% des intrants pesticides nationaux dont 30% des fongicides. Il en résulte, pour les exploitations, des coûts [. . . ] représentant la moitié de leurs charges d’approvisionnement. D’importantes disparités sont toutefois constatées autour de ces moyennes selon les exploitations (ASK, 2000). in : Aubertot et al. (2005, Ch.4) Cherchons à présent dans l’histoire de la viticulture des raisons pouvant expliquer ces consommations.

Historique

On citera à nouveau Aubertot et al. (2005) pour leur synthèse du contexte historique de la protection du vignoble : [La situation actuelle] est le fruit d’une suite d’événements historiques majeurs qui ont profondément marqué la viticulture depuis le 19e siècle, notamment l’introduction, depuis les États-Unis, de plusieurs fléaux destructeurs : l’oïdium en 1848 (chute des récoltes de 75% en 3 ans), le Phylloxéra en 1863 (arrachage de tous les vignobles et reconstitution par de nouveaux cépages sur de nouveaux terroirs), le mildiou en 1878 (recherches intensives ayant conduit à la découverte de la bouillie bordelaise en 1885), enfin le Black-rot en 1885 (Galet, 1977). Une issue à ces crises a été rendue possible grâce au greffage de la vigne sur des porte-greffes résistants au Phylloxera et grâce aux premiers produits fongicides que sont le soufre et le sulfate de cuivre. Pour s’en affranchir, des hybrides résistants, dits producteurs directs, ont également été cultivés jusqu’au milieu des années 1950. Ils ont été interdits réglementairement en 1953 (décret 53.977 du 30 septembre) pour cause d’insuffisance qualitative face aux évolutions prévisibles de la demande des consommateurs. Il faut souligner ici ce qui pourrait être considéré comme une incongruité aujourd’hui : au milieu du 20e siècle, les pesticides étaient jugés comme des facteurs de durabilité de la culture et la résistance variétale comme un facteur de non durabilité pour cause d’impasse commerciale.

Situation actuelle

On l’a vu, la viticulture reste fortement consommatrice de produits phytosanitaires. Cela tient à des raisons quantitatives, du fait des risques de pertes engendrées par les pathogènes mais aussi à des choix stratégiques antérieurs qui ont résolument orienté la filière vers le « tout chimique » pour des raisons qualitatives. L’utilisation massive de fongicides (notamment) n’est certes pas une spécificité de la viticulture, et se retrouve largement dans les cultures à haute valeur ajoutée (par exemple arboriculture, cultures légumières). Si une pomme touchée par la tavelure (Venturia inaequalis) peut être considérée comme non commercialisable, il n’en est pas de même pour le raisin destiné à la vinification puisque certains taux de dégâts peuvent être tolérés sans constituer de défauts gustatifs dans le vin (jusqu’à 5% de baies oïdiées peuvent être tolérées à la récolte selon Calonnec et al., 2004; Darriet et al., 2002). Cependant la préservation de l’aspect sanitaire et qualitatif est souvent évoquée pour expliquer les pratiques actuelles. C’est donc toute la filière qui doit travailler à changer ses représentations pour adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement : de la pépinière aux consommateurs en passant par l’œnologue et le politique. C’est cette transformation qui est entreprise depuis le tournant du siècle avec l’introduction du référentiel Agriculture Raisonnée (MinAgri, 2002) et les différents labels commerciaux qui visent à le valoriser (par exemple charte Terra Vitis, Filière Qualité Carrefour, etc.). Jusqu’à présent ces initiatives ne sont pas particulièrement connotées positivement par les consommateurs, qui valorisent davantage le label agriculture biologique (Bazoche et al., 2008). On constate cependant que l’agriculture biologique est proche de l’impasse technique, dans la mesure où les principaux outils, dont elle dispose pour la protection, hors mesures culturales à effet préventif partiel, se limitent à la bouillie bordelaise contre le mildiou et à l’emploi du soufre contre l’oïdium. Il existe peu de spécialités alternatives sur le marché qui respectent le cahier des charges de l’agriculture biologique et offrent les niveaux de protection suffisants. Nous reviendrons sur les perspectives de lutte alternative à la chimie de synthèse lorsque nous aborderons la protection intégrée du vignoble. Au-delà de la situation de la seule agriculture biologique, c’est tout le panel de choix techniques pour la protection du vignoble qui tend à se réduire du fait des contraintes croissantes imposées par les procédures d’homologation européennes et nationales, en raison notamment du renforcement des exigences en terme de toxicité et d’éco-toxicité des pesticides (UE, 1991). Par exemple, l’interdiction de l’arsénite de soude en 2001, pour cause de très grande toxicité pour l’homme, a entraîné depuis une recrudescence de maladies de dépérissement (ou maladies du bois), tel l’Esca, que ce produit était le seul à combattre efficacement. A l’heure actuelle, il n’y a pas encore de solution contre ces maladies qui touchent à la pérennité même de l’outil de production des viticulteurs. Là où mildiou (Plasmopara viticola), oïdium (Erysiphe necator) et pourriture grise (Botrytis cinerea), principales causes de perte de récoltes, posent des risques de perte ponctuelle, les nouveaux risques (les maladies du bois déjà évoquées ou l’épidémie de flavescence dorée causée par un phytoplasme dont le vecteur est une cicadelle (Scaphoïdus titanus)) entraînent la mort du cep. Ainsi, en région bordelaise, les maladies du bois et la flavescence dorée sont elles particulièrement redoutées comme le montrent les résultats de l’étude sur la pratique sanitaire en bordelais que nous avons réalisé dans le cadre du projet ADD-Vin de l’ANR (programme ADD).

 La protection intégrée des cultures

Le concept de Contrôle Intégré date de 1952. Il a peu à peu évolué vers la notion actuelle de PIC ou en anglais IPM. Parmi les nombreuses définitions de l’IPM, Kogan (1998) en compte 64, nous privilégierons celle de la FAO-UNEP (1974) Définition 1. La protection intégrée est un système de gestion des bio-agresseurs qui, dans le contexte de l’environnement associé et de la dynamique des populations des espèces de bioagresseurs, utilise toutes les techniques et méthodes adéquates d’une manière aussi compatible que possible et maintient les populations de bio-agresseurs à des niveaux en dessous de ceux causant des dégâts économiques. Dans un sens plus restreint, elle fait référence à la gestion d’une unique espèce de bio-agresseurs sur des cultures spécifiques ou dans des lieux particuliers. Plus généralement, elle s’applique à la gestion coordonnée de toutes les populations de bio-agresseurs de l’environnement agricole ou forestier. Ce n’est pas seulement la juxtaposition ou la superposition de deux techniques [. . . ] mais l’intégration de toutes les techniques de gestion avec la régulation naturelle et les éléments limitants de l’environnement. in : FAO-UNEP (1974, in Kogan 1998) De manière synthétique, Kogan (1998) précise : Les auteurs ont tenté de saisir l’essence du concept selon les termes suivants : (a) le choix approprié des méthodes de contrôle des bio-agresseurs utilisées seules ou en combinaison ; (b) les bénéfices économiques pour l’agriculteur et la société ; (c) les règles de décision qui guident le choix de l’action de contrôle ; et (d) le besoin de prendre en considération l’impact de multiples agresseurs. in : Kogan (1998) La littérature portant sur le sujet de la PIC est trop vaste pour pouvoir être présentée ici. Le lecteur pourra par exemple se référer à Kogan (1998); Dent (1995).

Le concept général de la protection intégrée des cultures

Une approche marginaliste

Le constat de base à l’origine de l’élaboration du concept de contrôle intégré est la prise de conscience que la stratégie d’éradication des populations nuisibles aux cultures (insectes, champignons, adventices), basée sur la lutte chimique et la sélection des cultivars résistants associées aux systèmes de cultures productivistes, était non seulement non durable (Brundtland, 1987) mais en outre produisait de nouvelles nuisances. Le caractère non durable s’illustre dans les pollutions causées par les pesticides à large spectre a et à longue durée d’action (concentration du DDT et/ou baisse de la biodiversité Carson, 1962) mais également par l’utilisation non raisonnée de pesticides spécifiques en combinaison avec des systèmes de cultures productivistes (choix variétaux) favorisant l’apparition de souches résistantes, de pollutions de l’environnement (externalités négatives) ou des réductions de la biodiversité (perte par diminution des externalités positives) A cette stratégie d’éradication des nuisances qui s’est avérée inefficace à long terme, la communauté des entomologistes d’abord et celle des phytopathologistes ensuite a substitué comme paradigme dominant l’approche intégrée b qui nous semble être inspirée de l’utilitarisme et du marginalisme tels que la doctrine de Pareto l’exprime. En effet, dans le contexte de la PIC, l’objectif de l’agriculteur, conformément à la théorie économique dominante, est de maximiser son profit monétaire sous contrainte de minimiser les externalités négatives (par exemple le risque d’apparition de résistances suite à une surutilisation d’un type de molécule) et de maximiser les externalités positives (prise en compte des insectes utiles comme auxiliaires dans la protection des cultures). 

Nuisibilité 

La définition 1 faisait allusion aux seuils de dégâts économiques comme la notion centrale de la PIC. En effet, l’approche moderne de la protection des cultures fait des distinctions fortes parmi les nuisances causées par un bio-agresseur. La figure 1.2 montre comment, d’une espèce (le bio-agresseur) causant des dégâts à la culture (c’est à dire une perturbation du système végétatif ou racinaire de la plante), on passe à la notion de dommages dès lors que ces dégâts entraînent des pertes quantitatives et/ou qualitatives de récoltes. Pour autant, les dommages ne sont pas nécessairement cause de pertes économiques. Trois facteurs principaux sont susceptibles de jouer sur ces pertes : les coûts de production, la valorisation des produits de la culture et la quantité de dommages. Ce triptyque engage des choix d’ordre stratégique à long terme, à moyen terme et des choix tactiques en cours de saison (Savary et al., 2006). Les décisions stratégiques de long terme concernent le choix du type de culture, le choix du système de culture pour les plantations pérennes ou le niveau d’investissement de l’exploitation. Ces choix vont influencer de manière durable l’intensité capitalistique de la production, les perspectives de profits mais également la sensibilité et la résilience de l’exploitation aux risques de pertes induites par les épidémies. Des choix stratégiques de moyen terme (choix pluri à inter-annuels), comme le choix des variétés plantées, influencent également le niveau de pertes économiques. Meynard et al. (2003) montrent comment le choix variétal permet de piloter le nombre de traitements à appliquer contre les principales maladies du blé. Ces auteurs montrent également que ce choix permet de piloter le revenu potentiel selon qu’on préfère une variété productive ou une variété résistante. En caricaturant une vision à court terme, ce serait le prix du marché du blé qui conditionnerait la mise en œuvre de la stratégie à faibles intrants puisque, quand les prix montent, les choix variétaux les moins productifs entraînent des pertes d’opportunités. En fait, l’adoption d’une approche PIC est un choix politique qui implique l’adhésion de l’agriculteur aux valeurs de préservation de l’environnement et de durabilité du système productif, comme le précise la Directive de l’Organisation Internationale de Lutte Biologique et Intégrée (OILB) pour la Production Intégrée (PI) des raisins (voir encadré 1 p.19 et Malavolta and Boller, 1999.

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