La position sociale du couple

La position sociale du couple

Des normes de « jeunesse » socialement situées

« Mais, enfin… c’est pas un appart de quelqu’un de 21 ans ! » (Gaëlle) 375 La position sociale du couple Cette réflexion sur l’effet de l’appartenance sociale du couple sur les pratiques conjugales peut être initiée par une analyse plus générale concernant les intérieurs et façons d’habiter des couples rencontrés, qui révèle le caractère socialement situé, en fonction de la classe et de l’âge, des normes de « jeunesse conjugale ». Nous avons en effet été frappée, au-delà des alimentations, par la diversité des logements et façons de les occuper (voir annexe 4 pour l’ensemble des plans des logements). Détaillons ici l’exemple d’un couple dont le style résidentiel dévie des normes de la « jeunesse conjugale » portées d’une part par d’autres couples enquêtés, d’autre part par son propre milieu social d’appartenance. Gaëlle, 21 ans et étudiante en alternance, installée en couple depuis quelques mois avec Damien, 24 ans et consultant en assurance (arrangement « nourricière »), habite un logement de 50 m² environ, dans une résidence très récente avec ascenseur donnant sur une cour intérieure, dans un arrondissement calme et relativement recherché de Paris. Leur logement contraste avec ceux des autres couples rencontrés, qui habitent pour beaucoup dans des immeubles plus anciens ou dans du logement social, ont des appartements nettement plus petits pour celleux résidant en Île-de-France, se meublent pour certains avec du mobilier acheté d’occasion voire chiné dans la rue, décorent plus souvent leur appartement selon des normes étudiantes (posters aux murs, ustensiles divers visibles car placés sur des étagères plutôt que dans des meubles fermés) et accordent visiblement moins de temps au ménage quotidien. Inversement, l’appartement de Gaëlle et Damien est récemment refait, très lumineux et meublé dans un style assez sobre de meubles à l’apparence neuve et aux coloris assortis. Le mobilier du salon est très complet avec un canapé assorti d’une table basse, d’une table à manger en verre dotée de chaises assorties avec coussins et de diverses étagères, alors que plusieurs autres couples vivent dans des résidences universitaires ou du logement social et ne peuvent choisir les meubles, et que Cécile et Blaise (19 ans, 1 an de fréquentation, 7 mois de cohabitation, arrangement « homme (temporairement?) plus disponible ») comme Faustine et Killian (18 ans, étudiante en BTS et manutentionnaire en intérim, 1 an de fréquentation, 4 mois de cohabitation, arrangement « chef ») sont fiers·fières d’avoir trouvé une partie de leurs meubles dans la rue, « gratuitement », et d’en avoir fabriqué elleux-mêmes certains. Parmi les décorations, se distinguent chez Gaëlle et Damien des pots avec plantes, des cadres disposés sur le dessus de certains meubles, tandis que la plupart des autres couples ont des logements dont la décoration est plus sommaire et surtout n’occupe que peu de place (consistant notamment en des posters accrochés sur les murs, très visibles par exemple chez Faustine et Killian), du fait du peu d’espace intérieur. Chez Damien et Gaëlle, l’ensemble est très propre 376 et rangé, chaque chose semblant précisément à sa place. Ceci contraste par exemple avec la petite chambre universitaire de Chloé et Cédric (26 ans, 8 mois de fréquentation, 11 mois de cohabitation, arrangement « homme (temporairement?) plus disponible »), dans laquelle le manque de place oblige les livres de cours de Chloé à se mêler sur l’étagère à des denrées alimentaires, notamment un potiron au moment du premier entretien. Chez Chloé, les pommes de terres sont stockées sous le lit, et le congélateur qu’elle a acheté elle-même est inséré à l’intérieur de sa penderie, également par manque de place mais aussi par discrétion, l’ajout d’un congélateur étant interdit par le règlement de ce logement universitaire. Autre exemple, le logement de Louisa et Alban (21 et 20 ans, en recherche d’emploi et étudiant infirmier, 9 mois de fréquentation/semi-cohabitation, 6 mois de cohabitation, arrangement « néophytes »), situé au centre d’une ville de taille moyenne, est constitué d’une grande pièce principale sous les toits, à poutres apparentes et à la grande hauteur de plafond peu commode bien que élégante selon elleux (elle les a d’ailleurs empêché·es de remplacer une ampoule). Ne disposant que d’une grande pièce, Louisa et Alban ont tendu des tentures pour distinguer un espace salle à manger et pièce à vivre, d’un coin salon et d’une chambre. Le salon est notamment aménagé de tapis et de poufs et fauteuils bas, invitant à s’asseoir près du sol. Près de leur entrée et dans l’espace salon, des affaires, dont du matériel de musique, sont rangées à même le sol contre le mur. Inversement, chez Gaëlle et Damien, toutes les affaires sont rangées dans des meubles, hormis les éléments décoratifs et quelques ustensiles d’usage. La table est vide, immaculée, et se dote au cours du premier entretien réalisé avec Gaëlle de dessous de verres. Le caractère très entretenu de cet appartement est partagé par d’autres logements de couples de catégories plus populaires, mais saute moins aux yeux chez les enquêté·es de classes moyennes à supérieures rencontrées en Île-de-France. Ce couple est également l’un des rares rencontrés en Île-de-France à disposer d’un logement de type T2, qui plus est dans un quartier relativement prisé de la capitale (seul·e Camille et Yann connaissent une situation immobilière aussi privilégiée). Autrement dit, iels disposent d’un logement nettement plus neuf, spacieux et confortable que la plupart des enquêté·es de leur âge vivant en Île-de-France, et davantage meublé selon des normes « adultes » et non pas « étudiantes » que la plupart des couple rencontrés, en dehors de deux couples de classes populaires (Laura et Julien, Claire et Christopher).

Les plus « jeunes » s’autonomisent ensemble… 

L’âge influence tout d’abord les échanges alimentaires conjugaux à travers les parcours d’autonomisation résidentiels et domestiques, qui déterminent les comportements alimentaires des jeunes adultes. Parmi les enquêté·es, différents profils d’autonomie sont en effet repérables, en fonction de l’implication domestique chez les parents, d’une période de vie indépendant·e, et de l’intérêt développé pour les enjeux et savoir-faire alimentaires. Un premier groupe se caractérise par la (quasi-)absence de travail alimentaire avant la cohabitation conjugale, du fait d’une faible implication par les parents, de l’absence d’un intérêt pour ces tâches, et de l’absence de vie indépendant·e avant l’installation390. Un deuxième groupe se constitue de personnes ayant été impliquées avant la décohabitation parentale, mais n’ayant jamais vécu seul·e391. Un troisième groupe contient celleux qui ont vécu seul·es, mais sont peu investi·es dans les enjeux et tâches alimentaires et en particulier culinaires392. Enfin, viennent celleux qui non seulement ont déjà vécu seul·es, mais investissent les enjeux alimentaires et consacrent un temps important à leur gestion393. Ces différences entre partenaires ont d’abord des conséquences à l’échelle du couple : alors que certains couples sont déjà très autonomes au niveau alimentaire au moment de l’installation, d’autres sont tout à fait néophytes, comme le signale le tableau ci-dessous. Y sont distingués trois groupes de couples : ceux dont les deux partenaires ont déjà vécu en autonomie hors du domicile familial avant l’installation conjugale ; ceux dont les deux partenaires quittent au contraire le domicile familial à l’occasion de l’installation ; enfin ceux dans une situation intermédiaire, lorsqu’un·e seul·e (le plus souvent l’homme) a déjà vécu en dehors du domicile familial. Ces différences creusent l’écart en matière d’autonomie domestique et particulièrement alimentaire. Elles sont en outre nuancées par des degrés divers d’implication vis-à-vis de l’alimentation : les enquêté·es ayant été fortement impliqué·es par leurs parents ou s’intéressant à la gestion alimentaire depuis leur enfance ou plus récemment (que nous signalons en gras dans le tableau) seront, à niveau d’autonomisation résidentielle égale, plus autonomes sur le plan alimentaire que celleux se désintéressant de ou n’ayant pas été auparavant spécifiquement impliqué·es dans ces enjeux.

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