La portée philosophique de l’éducation

La portée philosophique de l’éducation

Les rites initiatiques dans le processus éducationnel

A travers les différentes formes d’initiation que nous connaissons et qui sont les suivantes : les initiations tribales, les initiations religieuses et les initiations magiques, elles fonctionnent selon des rites, des traditions, des cérémonies, des incantations, des litanies, des oraisons, des symboles etc., car « le rite est le médium de l’initiation. L’initiation comprise comme entrée dans un groupe passe toujours par une cérémonie spéciale, un rite défini une fois pour toutes»96 . Cela montre que l’initiation est, dans ce cas, une discipline occulte et ésotérique car seuls les adeptes connaissent le sens de ses rites. En plus, tout ce qu’on y apprend ne doit pas être exposé voire divulgué n’importe où et devant n’importe qui. Dans le cadre de notre travail, nous inscrivons l’initiation comme la dernière étape du processus de l’éducation. Cela parce que, c’est à ce stade où l’individu entre dans la communauté des adultes où des connaissances lui seront révélées pour qu’il les intègre dans sa personnalité afin de se parfaire sur le plan comportemental, intellectuel, moral et spirituel. 94Le petit Larousse, 1992. 95Diagne Mamoussé, Critique de la raison orale : les pratiques discursives en Afrique noire, France, Karthala, 2005, p. 525. 96Decarneaux et Nefontaine, op.cit., p.23. La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 35 C’est ce que semble confirmer Alassane Ndaw : « En recevant la connaissance que transmet l’initiation, l’individu devient autre, c’est-à-dire réalise sa perfection. »97Toutefois, la perfection de l’homme n’est pas la visée de toutes les initiations car certaines parmi elles ont pour but soit d’avoir des forces surnaturelles pour agir sur le réel, soit d’avoir des prestiges et des biens matériels ; c’est le cas des initiations dans la magie. Donc l’initiation que nous voulons parler rentre dans le cadre de celles qui visent à développer et parfaire l’homme communément appelée « éducation spirituelle ou Tarbiyatou Ar-roukhi ». C’est dans cette initiation que l’individu atteint sa réalisation, sa maturité et pourra enfin atteindre la perfection humaine. Il est, ici, question de l’initiation dans la voie soufie et confrérique à laquelle appartient El Hadji Malick Sy qui est la Tidjaniya, etdont le fondateur est Cheikh Ahmed AtTidiani98. Donc, quand nous parlons des rites dans cette section, nous faisons allusion aux rites propres à la Tidjaniyya puisque pour Serge Cagnolari, « le rite désigne l’ensemble des pratiques cultuelles propres à une communauté religieuses »99 . Cette confrérie se base sur les enseignements du Coran et de la Sunna. Elle vise, dans sa manière d’éduquer, à purifier l’âme de l’individu et à parfaire son comportement. El Hadji Malick Sy le rappelle ainsi : « On ne peut plus tirer profit que de l’éducation par la « himma » (dessein) et du « hal » (état mystique). Conformez-vous alors au Coran et à la Sunna sans plus ni moins. Il en est de même pour le comportement à adopter vis-à-vis de Dieu, de l’âme et des hommes »100 . Ces propos montrent que l’éducation spirituelle (l’initiation) vise à façonner et former le corps et l’âme de l’individu pour les dépouiller de tout leur vice et de les combler de qualités et de vertus à telle enseigne que l’homme pourra vivre convenablement avec soi-même et avec les autres en toute quiétude et tranquillité. 97Ndaw Alassane, La pensée africaine : Recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine, NEAS, 1983, p.94. 98C’est le fondateur de la Tidjaniya. Il est né à ‘AynMadi en Algérie, en 1150 (1737 de notre ère) de l’hégire et mourut à Fez, au Maroc en 1230 (1815 de notre ère) de l’hégire. Son père s’appelait Abu ‘Abd Allah Sidi Mahammad Ibn Mukhtaar et sa mère se nommait ‘Aisha. A l’âge de sept ans il mémorisa le Coran auprès de Sidi Muhammad Ibn Hamu at-Tidjani, sous la direction de Sidi ‘Issa Bu’ukaaza al-Madaawiat-Tidjani. Il entreprit beaucoup de voyages d’études entre 1771 et 1781 de notre ère. C’est en 1196 (1781 de notre ère) de l’hégire qu’il reçut, dans le village du grand pôle Sidi Abu Samghun, l’ordre et la mission de fonder sa propre tariqa (voie tidiane) qui est la Tidjaniya après s’être affilié à plusieurs tourouq (d’autres voies soufies). D’après Amadou Ampaté Ba, dans Vie et enseignement de Thierno Bokar le sage de Bandiagara, « ce fut une mission occulte et mystique ».Nous comprenons aussi à travers ce propos qu’en principe, toute forme d’initiation dans la religion musulmane ne doit pas sortir dans le cadre des règles préétablies par la Shari’a (les enseignements tirés du Coran) et la Sunna (les enseignements du prophète Mohammad) qui sont les deux sources où se puisent les moyens de l’éducation comme le certifie ce verset : « C’est Lui qui a envoyé à des gens sans Livre (les arabes) un Messager des leurs qui leur récite Ses versets, les purifie et leur enseigne le Livre et la Sagesse, bien qu’ils étaient auparavant dans un égarement évident »101 . C’est pourquoi Cheikh Ahmed AtTidiani demande qu’on cherche, tout ce qu’on dit provenir de lui, dans le Coran et la Sunna, s’il n y a pas de conformité, dit-il, ce ne sont pas ses propos. Nous pouvons, déjà, dire que l’initiation en tant qu’éducation spirituelle vise à élever l’homme au degré de l’excellence. Pour arriver à ce niveau, l’homme doit se départir des tendances du mal et du péché qui l’assaillent, des vices et des souillures qui empêchent son âme d’être purifiée. Il doit lutter contre ses passions, ses pulsions, ses désirs et tout ce qui peut endurcir et voiler son cœur qui « est le siège de la réflexion, de la guidée et de la foi »102 d’après Mohammed Minta. D’ailleurs, nous voyons dans la Bible des passages similaires à cette thèse de Minta car ce livre saint montre que le cœur est le tabernacle de la sagesse divine, mais s’il n’est pas purifié, il ne va jamais recevoir la visite de celle-ci. C’est ce que semble confirmer ce passage : « la sagesse n’entre pas dans un cœur malfaisant, elle n’habite pas chez un être que domine le péché. »103Pour mener cette lutte, l’initiation est un des moyens rapides et efficaces. Nous allons ultérieurement y revenir. C’est pour cette raison qu’El Hadji Malick Sy affirme : « L’objectif de l’éducation est de purifier l’âme de ses travers dissipant les ténèbres qui l’environnent »104 . L’initiation dans la Tidjaniya consiste à octroyer au désirant des litanies qu’il doit impérativement pratiquer et sans lesquelles il ne peut pas être considéré comme un disciple de cette confrérie conformément à ces propos : «L’éducation spirituelle ainsi que la purification intérieure, dans notre noble et agréée confrérie al-Muhammadiyya, consiste en la récitation de la litanie originelle que l’on connaît et sans laquelle l’on ne peut prétendre y avoir accès. Ceci est valable tant pour l’élite que pour la masse. Il en est de même des autres litanies subsidiaires et non moins obligatoires qui l’accompagnent telles que la « Wazifa » que nous connaissons et la « haylala » que l’on récite le vendredi après la prière du « ‘asr » 101Le Coran, sourate 62, verset 2. 102Minta Mohammed, Etre et cheminer, la voie de l’éducation spirituelle et de la purification de l’âme, Tawhid, 2007, p.26. 103La Bible, Ancien Testament, Livres poétiques et sapientiaux, Sagesse, Société biblique française, 2009, p.927. 104Sy El Hadji Malick, op.cit., p.145. La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 37 (…). » 105 Ce qu’il faudrait comprendre, c’est que la récitation de ces litanies est obligatoire pour toute personne qui est initiée dans cette voie soufie (que l’on soit initiateur ou initié). En effet, puisque la Tidjaniya est une doctrine qui se base sur la connaissance du Coran, de la Shari’a, de la Sunna et des sciences religieuses (sciences exotériques et ésotériques) comme le confirment ces propos de Cheikh Ahmet At-Tidiani : « Tout ce qu’on vous dit provenir de moi, vérifiez-le à l’aune de la Shari’a ; s’il est conforme, acceptez-le, sinon rejetez-le. »106 , l’adepte doit donc savoir les dogmes, les sciences du Coran et du hadith, le fiqh (la jurisprudence) avant de pouvoir procéder à cette vérification dont parle le Cheikh. Cela montre que seul celui qui a appris les sciences religieuses pourrait faire cette investigation intellectuelle, ce qui veut dire que la Tidjaniya est une doctrine de culture et de pensée et par ricochet, l’idéal est que tout adepte de cette voie doit être un apprenant. Voilà pourquoi El Hadji Malick Sy, en tant que initiateur dans cette voie, s’était trop attaché à la diffusion du savoir. Celui qui est chargé d’initier dans la Tidjaniya est appelé « Moukhaddam » et le diplôme qui certifie son grade et lui confère l’autorisation s’appelle « Idjaza »107. Dans l’Idjaza, il n’y est souvent inscrit que le « Moukhaddam » l’autorisation de conférer le Wird c’est-à-dire de transmettre les oraisons et les litanies de la Tidjaniya à celui qui le désire et d’utiliser les secrets et les formules ésotériques de cette Voie. Ainsi, il y a quatre catégories d’initiateurs (Mukhaddam) dans cette confrérie. Les deux premières sont appelées « Moukhayyids » mais se distinguent : la première catégorie de « moukhayyid » est l’initiateur qui a l’autorisation d’initier en transmettant les oraisons obligatoires sans avoir le pouvoir de nommer un « moukhaddam », alors que la seconde catégorie de « moukhayyid » est l’initiateur qui peut, à la fois, transmettre les oraisons obligatoires et nomment des « moukhaddams » mais avec un nombre limité. 

 La question de l’éthique dans la doctrine éducative d’El Hadji Malick Sy

Dans Encyclopédie philosophique universelle, le terme éthique est défini comme suit : « l’étude théorique des principes qui guident l’action humaine dans les contextes où le choix est possible ». Il est aussi défini comme « tout ensemble de principes gouvernant l’action des individus pour autant qu’ils agissent en fonction de leur appartenance à un groupe social déterminé et que cette appartenance impose des règles de conduite »167 . Nous constatons que ces deux définitions partagent l’idée selon laquelle, l’éthique a pour fonction de veiller sur la manière d’agir des hommes par le biais des questionnements. Donc, l’action que pose chaque individu doit se baser sur des règles et des principes. Ceux-ci permettront aux hommes de poser de bonnes actions. Ainsi l’éthique analyse les actions humaines par le biais d’un jugement rationnel afin de conscientiser les hommes sur celles qui sont bonnes ou mauvaises à l’égard du fonctionnement de la société. Par conséquent, l’éthique s’interroge sur les valeurs, les principes et les règles qui tracent à chacun la voie à suivre et les actes à éviter 167Encyclopédie philosophique universelle, Paris, PUF, Tome 1, 1990, p.870. La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 59 dans la société en vue d’en avoir une intelligence convenable et d’attirer l’attention des décideurs sur les enjeux humains des décisions prises. Ainsi, puisque le fait d’éduquer relève de l’action humaine, et que toute action que l’homme fait nécessite des principes, dès lors il nous semble important de nous interroger sur la question de l’éthique dans le cadre de l’éducation. Cela suppose que l’éducateur doit être régi par des règles, des lois, des normes, des stratégies et des méthodes s’il veut réussir sa mission. Or, nous avons constaté que la crise actuelle de l’éducation est implicitement liée à la crise des valeurs. Ceux qui sont chargés d’éduquer les enfants ne se réfèrent plus aux principes de l’éducation. Dans le cadre familial, beaucoup de parents ne s’occupent plus de leurs enfants à cause d’un manque de temps ou d’une démission. En outre, dans certaines familles, il n’y a plus de modèles. Les personnes âgées qui sont censées être des exemples sont, aujourd’hui, celles qui ont plus besoin d’éducation du fait que certains de leurs comportements sont incorrects. Alors que dans la société sénégalaise traditionnelle, il y avait souvent des personnes de référence soit dans la famille, soit dans le quartier et que les enfants les imitaient sur le plan physique, comportemental, vestimentaire, moral, éthique etc. En plus, c’est tout le monde qui participait à l’éducation de l’enfant dans le quartier comme le semble montrer ce passage : « l’éducation traditionnelle était ce bien commun appartenant à toute la communauté et à tous les membres du clan et de la tribu » 168 .Tandis que maintenant, plusieurs parents ne veulent pas que leurs enfants soient corrigés par d’autres personnes. Quant à l’école, les enseignants-éducateurs sont dénués de toute moralité et de vertu sans compter l’absence de pédagogie et de compétence de leur part comme le note ce propos de Kant « les maîtres ne savent pas enseigner : véritables dresseurs de perroquets, ils font apprendre aux enfants des choses que ceux-ci ne comprennent pas, ils ne savent pas interroger, parlent seuls ou dictent tout le temps »169 . Certains ne se fatiguent même pas pour accomplir leur mission au niveau des enfants car ils sont plus intéressés par le salaire qu’ils reçoivent à la fin du mois. De ce fait leur métier n’est pas sous-tendu par une éthique. Ainsi, si être éducateur c’est d’abord être responsable, alors on peut dire qu’il n’y a presque plus de responsables en éducation parce que la majorité de ceux qui prétendent être des éducateurs n’assument pas leur responsabilité. Ces problèmes, selon nous, montrent que les éducateurs doivent se remettre à l’éthique de la responsabilité. Ils doivent savoir que le statut d’éducateur 168Baleke Stanilas, op.cit., pp. 35-36. 169 Kant, op.cit., p. 15. La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 60 est une responsabilité qui doit être jalonnée par des principes sans quoi l’éducation échoue. Alors que cet échec est susceptible de se répercuter dans la société. C’est pour cette raison que nous allons, dans cette première section, tenter d’étudier la question de l’éthique dans la responsabilité de l’éducateur. 

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Le problème de la responsabilité en éducation

Selon El Hadji Malick Sy dans Khantaratoul Mouriid (le pont de l’étudiant), l’enseignant ne doit pas cacher sa connaissance ou son savoir s’il y a des individus qui le sollicitent. Si son savoir est lié aux affaires publiques voire étatiques, il ne doit pas refuser de rendre service son pays ou sa nation. Nous sous-entendons à travers ces injonctions qu’El Hadji Malick Sy veut montrer que se taire avec un savoir qui peut rendre utile sa société, son pays ou ses concitoyens n’est pas un acte responsable. Car l’enseignant-éducateur doit être conscient que tout ce qui se passe dans sa société le concerne et l’engage. Il doit se dire qu’il a une responsabilité à assumer dans le bon fonctionnement de la société dont il fait partie. L’enseignant doit savoir que la société ou la nation est créée pour lui, et il doit en faire sa propriété en lui apportant tout le secours et toute l’assistance nécessaires par son savoir. Il doit savoir, tout de même, qu’il a été formé pour former à son tour des citoyens et des hommes libres. Donc, s’il détient un savoir qui peut bonifier sa société et qu’il le dissimule, toute forme d’échec qui serait liée à son savoir engagera sa responsabilité. D’après El Hadji Malick Sy, l’enseignant ne doit pas viser autre chose à part la récompense de Dieu quand il professe. Toujours selon lui, il ne doit pas transgresser les règles et les lois à plus forte raison d’encourager ceux qui les outrepassent. L’enseignant-éducateur doit éviter toute forme de comportement indécent devant l’enfant et doit avoir une bonne conduite devant lui. Cela montre, certainement, qu’il doit être un modèle, une référence, et par conséquent il doit donner le bon exemple à l’éduqué à travers ses comportements, ses attitudes et ses actes. Cela parce que certains enfants ne font qu’imiter ce que font les adultes qui sont dans leur entourage. Ce qui nous amène à dire que c’est la responsabilité morale de l’éducateur qui est ici interpellée L’intention de l’éducateur doit être la volonté de vulgariser des valeurs chez l’éduqué. Mais il faut, au préalable, que l’éducateur ait ces valeurs et les connaisse. Cela suppose qu’il est censé, déjà, traverser le chemin sur lequel il veut inscrire l’éduqué, c’est pourquoi cette précision de Kant reste nécessaire et fondamentale : « Il faut bien remarquer que l’homme n’est éduqué que par des hommes et par des hommes qui ont également été éduqués. C’est pourquoi le manque de discipline et d’instruction que l’on remarque chez quelques hommes La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 61 fait de ceux-ci de mauvais éducateurs pour leurs élèves »170 . L’éducateur doit, donc, être correct, honorable, estimable et vertueux. C’est ce qui fait de lui un homme responsable, capable de former de futurs responsables. Il doit savoir qu’il forme et construit des humains. Or, il n’y a pas de responsabilité plus grande que cela. Car n’eut été l’homme, l’existence du monde en général et celle de la société en particulier n’auraient aucun sens. Donc, former un être qui donne sens à l’existence est une lourde responsabilité qui n’est pas à minimiser. De ce fait, il lui incombe de savoir par pure expérience là où il mène l’éduqué. Il doit savoir que sa tâche ne s’improvise pas, elle n’est pas transmissible et ne s’apprend pas en peu de temps. En plus il y a d’énormes obstacles, difficultés et peines à surmonter sans compter une patience dont il doit faire preuve comme le suggère ces propos de Piaget cités par Reboul : « Je ne crois pas que le but doit être de hâter ; le but doit être d’exploiter toutes les possibilités à un stade déterminé »171 . Selon El Hadji Malick Sy, l’enseignant-éducateur doit aimer l’éduqué s’il veut atteindre son but. Il doit le considérer comme son propre enfant, et de ce fait il se donnera corps et âme pour que celui-ci ait une bonne éducation. Ainsi, il n’hésitera pas d’utiliser tous les moyens qu’il jugera nécessaires pour poursuivre son objectif. Cela parce qu’il est conscient, dès le départ, que la réussite et l’échec du processus d’éducation dans lequel il inscrit l’éduqué relèvent ou dépendent de sa responsabilité. C’est pourquoi en montrant le lien filial qui doit s’interposer entre l’éducateur et l’éduqué, El Hadji Malick Syécrit : «le maître doit manifester son amour et sa pitié envers l’éduqué. L’amour du parent envers son fils procure des bénéfices »172 . Ainsi, nous supposons que les bénéfices auxquels il fait allusion ici, renvoient aux efforts que le parent déploiera pour la réussite de son fils. Donc tout éducateur doit avoir une compassion et une commisération envers les éduqués. Il doit se soucier d’eux, se préoccuper de leur avenir en sachant qu’il est responsable, dans l’avenir, de l’éducation qu’ils incarneront dans la société. D’ailleurs, pour El Hadji Malick Sy, l’éduqué doit être la balance qui permet de mesurer et de vérifier si l’éducateur a réussi sa mission ou non. Selon lui, quand on regarde l’éduqué, on doit, à travers lui, voir son maître. Autrement dit, l’éducateur doit déverser sur l’éduqué certaines de ses qualités, de ses valeurs, de ses vertus au point qu’il suffirait d’observer le comportement de l’éduqué pour savoir et se rendre compte qu’il a été formé et 170Kant, op.cit., p.73 171Reboul, op.cit., p. 44. 172 Sy El Hadji Malick, Khantaratoul Mourid, op.cit., vers 520-521. La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 62 éduqué par telle personne. Mais cela n’est possible que si l’éducateur est conscient de sa responsabilité de former des humains et des citoyens qui sont le soubassement du bon fonctionnement de la société. Cependant, nous pensons que c’est cette prise de conscience de la responsabilité qui, aujourd’hui, fait défaut chez les éducateurs. Le parent se soucie peu de ses enfants. Il est plutôt emporté par son travail ou par la recherche de la fortune. Il pense qu’il suffit de nourrir, d’habiller et de soigner l’enfant tout en oubliant l’aspect comportemental et spirituel qui doit être pris en charge par une bonne éducation. L’enseignant est plus préoccupé par le salaire que le sort de ses élèves. Il relègue au second plan l’avenir éducatif des adultes en puissance qui est entre ses mains. Il ne s’inquiète ni ne s’interroge sur ce qui sera sa part de responsabilité lorsque l’éducation de ses élèves connaîtra un échec. C’est ce qui fait que l’enseignant-éducateur ne se préoccupe plus des stratégies, des méthodes et des procédés qu’il doit mettre en œuvre pour réussir sa mission au niveau des élèves. Ce constat est pareil, aujourd’hui, chez beaucoup de marabouts. Ils étaient, naguère, ceux qui prenaient en charge l’éducation spirituelle des personnes. Ils les aidaient à accéder au salut avec toutes les exigences et les rigueurs que cela nécessitait. Mais, nous constatons, actuellement, qu’ils ne sont plus conscients de leur responsabilité qui est le fait de guider et d’orienter ce qui fait l’essence de l’homme à savoir l’âme. Quant à la responsabilité que doit restaurer l’Etat, c’est d’accompagner les autres instances éducatives sur tous les plans (économique, social, sécuritaire etc.) et de veiller à ce que les lois d’orientation liées à l’éducation soient respectées et appliquées. En conséquence, cette absence majoritaire d’assurer la responsabilité de la part de certains éducateurs cause d’énormes difficultés à l’éducation. Donc il est grand temps d’y remédier en essayant de conscientiser les éducateurs sur leur tâche de responsable afin qu’ils, se ressaisissent et sachent que cette négligence vis-à-vis de leur responsabilité ne fait que se répercuter sur le fonctionnement de la société et cela va toucher tous les citoyens. 

L’autorité dans le processus d’éducation

L’absence d’autorité est un point qui, actuellement, fait partie des anomalies qui ont gangréné l’éducation. Certains éducateurs ne savent point faire l’autorité car ils utilisent la force et la violence pour se faire obéir. Or, selon Hannah Arendt, « là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué »173 . D’autres ne peuvent pas faire l’autorité, 173 Arendt Hannah, La crise de la culture,Paris, Gallimard, 1972, p. 123. La portée philosophique de l’éducation chez El Hadji Malick Sy Alioune Badara Diack Mémoire de Master 2 Page 63 parce qu’ils se décrédibilisent devant les éduqués à cause de leur comportement, ce qui fait qu’ils ne sont pas estimés et respectés. Alors que, si l’autorité n’a plus sa place dans l’éducation, celle-ci est appelée à faillir. Cela parce que la contrainte et l’autorité sont consubstantielles à l’éducation. Dans le processus d’éducation, il y a une phase où l’enfant ne doit pas être laissé à lui seul, parce qu’il ne sait pas encore ce qui est bien ou mauvais pour lui. Il doit faire preuve d’obéissance et de soumission. C’est pourquoi cette remarque de Reboul est importante quand il soutient que « l’éducation ne se conçoit guère sans un recours à l’autorité, celle de l’adulte sur l’enfant, du savant sur l’ignorant, du responsable sur l’irresponsable »174 .Donc, s’il s’agit de l’éducation familiale, il doit y avoir une autorité qui lie le parent et son enfant. Ce même lien doit unir l’enseignant-éducateur et l’apprenant dans le cadre de l’école, et c’est valable entre le marabout et le disciple où le premier prend en charge l’éducation spirituelle du second. C’est ce lien qui doit, tout de même, exister entre l’Etat et les citoyens. Cependant, le parent exerce mal son autorité sur l’enfant dans notre société actuelle. Il le violente ou le force à obéir ses ordres par des bastonnades. Certains parents, à cause des droits de l’enfant, n’osent plus user de leur autorité pour corriger leurs enfants. Ce qui fait que, l’enfant est laissé à lui seul. Ainsi, il grandit selon ses humeurs et ses sentiments, et par conséquent il deviendra un adulte dénué d’éducation car celle-ci a échoué dès son bas-âge. D’autres se comportent indécemment devant les enfants à tel point qu’ils ne sont plus des exemples pour eux. Or, selon Plutarque, les pères « doivent ne commettre aucune faute et faire tout leur devoir pour se présenter à leurs enfants comme des exemples frappants »175 . Concernant certains enseignants-éducateurs, par l’effet de leur niveau d’expression lamentable, de leur insuffisance en matière de connaissance, de leur manque d’éthique et de moralité, bref étant dépourvus et démunis de toute probité professionnelle, ils ne se font plus obéir. Pour combler leur manque d’autorité dans la classe, ils utilisent la méthode de la cravache de manière brutale qui est, pour nous, dépassée. D’autres parmi eux n’ont pas l’audace de corriger ou de sanctionner voire punir les élèves de peur d’être traduits en justice par certains parents. Beaucoup de marabouts aussi n’ont presque plus d’autorité sur leurs disciples à cause d’une dépendance par le biais des « hadiyas » et c’est ce qui fait qu’ils ne pourront pas les guider selon les exigences et les rigueurs qui jalonnent et fondent l’éducation spirituelle.

Table des matières

DEDICACES
REMERCIMENTS
PREMIERE PARTIE
LA DOCTRINE EDUCATIVE D’EL HADJI MALICK S
Chapitre 1 : La question de l’enseignement
Section 1 : De la recherche du savoir
Section 2 : Méthodes et stratégies en éducation
Chapitre 2 : Les enjeux philosophiques de la formation
Section 1 : Eduquer par les bonnes manières
Section 2 : De la nécessité des valeurs cardinales en éducation
Chapitre 3 : La pleine réalisation de l’homme à travers l’initiation
Section 1 : Les rites initiatiques dans le processus éducationnel
Section 2 : De la finalité de l’initiation
DEUXIEME PARTIE
L’EDUCATION A L’EPREUVE DE LA CRISE ACTUELLE DES VALEURS
Chapitre 1 : La question de l’éthique dans la doctrine éducative d’El Hadji Malick Sy
Section 1 : Le problème de la responsabilité en éducation
Section 2 : L’autorité dans le processus d’éducation
Chapitre 2 : Pour une réhabilitation des vertus
Section 1 : De la restauration des valeurs sociétales
Section 2 : Du retour à l’éducation spirituelle
Chapitre 3 : La doctrine éducative d’El Hadji Malick Sy : plaidoirie pour une citoyenneté participative
Section 1 : Patriotisme et civisme comme exigences du développement
Section 2 : Education, liberté et travail
CONCLUSION
SOURCES ET REPERES BIBLIOGRAPHIQUES
TABLEDESMATIERES
GLOSSAIRE

 

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