Evolution conjointe de l’approche du handicap et des politiques sociales associées
Afin de mieux comprendre les enjeux des politiques du handicap, il convient de faire un détour historique pour revenir à l’émergence même de cette notion dans l’espace public. Les politiques du handicap sont des politiques catégorielles, c’est-à-dire basées sur une approche des individus sous forme d’une « catégorie d’action publique » (BAUDOT et al.,2013). Elles se sont structurées au 20ème siècle alors même que la première définition légale du handicap n’apparait qu’en 2005 telle que:« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. ».
Si la catégorie « Handicap », en faisant fi du genre, de l’âge ou encore du lieu de vie, annihile à elle seule toute forme identitaire autre, il n’en demeure pas moins que cette catégorisation a permis l’émergence de la question du handicap comme une responsabilité collective et a légitimé une action publique spécifique.
Les prémices politiques
La première moitié du XXe siècle marque le passage d’une politique du handicap basée sur l’assistanat à une reconnaissance d’un droit à réparation. Ce changement se situe dans un premier temps autour de la question du handicap physique car il est intimement lié à « l’infirmité » entrainant des incapacités de travailler (1898 : première loi sur les accidents de travail). Les deux guerres et l’arrivée massive des mutilés de guerre engagent le législateur à prendre des mesures favorisant l’accès à l’emploi.
Le handicap intellectuel n’est pas mis de côté par les politiques publiques. Les premières recherches liées à l’éducation spéciale démontrent qu’il est possible d’éduquer ces enfants différents. C’est en 1909, que les premières classes de perfectionnement sont créées dans quelques écoles par le ministère de l’Instruction Publique pour les enfants alors qualifiés d’ »anormaux d’école ». La politique sociale vise alors à leur permettre de subsister et éviter ainsi de tomber dans la délinquance.
La naissance de l’éducation spéciale marque le début d’une triple évolution que sont la spécialisation des lieux de prise en charge, la catégorisation des populations et des individus et enfin la mise en place des traitements adaptés.
Emergence et construction d’une catégorie d’action sociale
C’est après la seconde guerre que va s’élaborer une politique d’action sociale ambitieuse qui commence par la protection de l’enfance puis qui invente le champ du handicap (Loi de 1948, décret de 1956 en attendant la grande loi de 1975). La notion d’inadaptation apparaît puis le terme de handicap (sans pour autant le définir) dans la loi de 1957 relative à l’emploi des travailleurs handicapés. Dès 1971, la déclaration des droits du déficient mental par l’ONU dans son article premier stipule que « le déficient mental doit, dans toute la mesure du possible, jouir des mêmes droits que les autres êtres humains ».
La loi n°75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées reconnaît les droits à l’éducation, au logement et au travail pour les personnes en situation de handicap. Elle consacre ainsi, dans l’espace public, la question du handicap comme une question de société, actant par-là même la création des établissements et services spécialisés comme lieux de prise en charge et de compensation du handicap.
En 1980, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose une première définition du handicap : « est handicapé un sujet dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ».
Vers un modèle social du handicap
A la lumière des recherches des sociologues sur le stigmate (Goffman, 1975), sur l’environnement (Olivier, 1996) ou encore sur l’institutionnalisation du handicap (Bodin, 2018), la conception même du handicap évolue vers une définition sociale consistant à l’envisager comme une résultante d’inadaptations de l’environnement et de discriminations exercées par la société. « Dans une perspective systémique du fonctionnement humain, la CIF s’efforce de concevoir le handicap, non comme une maladie ou un problème uniquement individuel, mais comme le résultat d’une interaction entre différents facteurs, notamment corporels, sociaux et contextuels, c’est-à-dire des facteurs personnels et environnementaux. L’environnement est un facilitateur ou au contraire un obstacle à la réalisation des activités quotidiennes et à la participation des personnes à la vie en société » . Dès lors, la personne handicapée devient une personne en situation de handicap et le droit à la compensation remplace le droit à la réparation. Pour le législateur, il s’agit de mettre en œuvre des modalités de « compensation pour réduire et surmonter les incapacités fonctionnelles des personnes elles-mêmes » .
Cette révolution paradigmatique du handicap a fait émerger cette question de manière transversale dans les politiques publiques puisque, depuis la circulaire du premier ministre de juillet 2014, le « handicap » devient objet politique et doit être intégré à chaque loi. Pour Sophie Cluzel, « Si l’on veut que la personne soit citoyenne avant tout, elle doit entrer dans le droit commun. On a bien vu qu’avec une politique du handicap à part depuis 1975, les résultats ne sont pas bons. Il faut irriguer toutes les politiques publiques » .
INTRODUCTION |