La politique fiscale : objectifs et contraintes
Les fonctions de l’Etat et la politique fiscale
En 1959, dans un ouvrage1 devenu un classique de l’analyse économique, Richard Musgrave donnait la définition désormais canonique des fonctions de l’Etat. Ces fonctions sont au nombre de 32 : * L’allocation et la production de biens publics naissent du caractère socialement insatisfaisant ou sous optimal du fonctionnement des marchés notamment du fait de la présence d’externalités. * L’équité et la justice distributive visent en particulier à corriger les inégalités engendrées par la répartition primaire des revenus, dans le sens de la justice sociale. * La stabilisation et la politique macroéconomique sont essentiellement tournées vers la lutte contre l’inflation et le chômage et pour relancer l’activité en situation dépressive. Cette division des taches de l’Etat en trois fonctions vise essentiellement à organiser conceptuellement l’étude des finances publiques à partir d’une typologie simple. Mais elle conduit également à mettre en évidence des dimensions microéconomiques et des dimensions macroéconomiques de l’activité publique. En outre, dans son ouvrage de 1959, Musgrave s’attache à montrer que les budgets publics sont interdépendants de sorte que les trois fonctions elles-mêmes sont interdépendantes. Par exemple l’allocation de ressources pour pallier la présence d’effets externes négatifs (la pollution notamment) ou la stimulation de la demande dans le cadre de stratégies de croissance ne sont pas sans conséquences sur la redistribution. Si la politique budgétaire peut se définir comme l’ensemble des actions menées par les pouvoirs publics ayant un support financier, qu’il s’agisse de dépenses ou de recettes, alors la politique fiscale n’est que l’une des dimensions de cet ensemble. Concrètement, elle est le produit de choix explicites ou implicites des décideurs publics dans des domaines économiques et extra-économiques, qui déterminent les caractéristiques générales des prélèvements obligatoires. Ce faisant, elle articule les aspects économiques et les dimensions juridiques des prélèvements obligatoires. Les prélèvements obligatoires (impositions de toute nature et cotisations sociales selon la distinction opérée par l’article 34 de la constitution de la 5è République) se caractérisent en effet par leur double nature, juridique et économique. Au plan juridique et selon la formule de Michel Bouvier3 , ils procèdent du pouvoir de contrainte dont l’autorité étatique est légalement détentrice. Ce pouvoir s’exprime dans le droit fiscal qui s’articule autour d’un ensemble de règles, dont la combinaison détermine la portée des contributions et que la politique fiscale modifie afin de donner une forme concrète aux options dont elle procède. Du point de vue économique, l’impôt soustrait du pouvoir d’achat aux agents privés de sorte qu’il modifie la répartition des revenus, exerce une influence sur l’activité globale et affecte les comportements. Il s’ensuit que si la fiscalité participe des fonctions de l’Etat, elle ne s’adapte pas directement à la typologie de Musgrave. C’est la raison pour laquelle, on peut décomposer l’intervention de l’impôt dans l’activité publique à partir de quatre fonctions.
Le financement des dépenses publiques
Le financement des dépenses publiques est habituellement considéré comme la principale fonction des prélèvements obligatoires. Dans la tradition originelle issue de Locke, la protection de la propriété est la principale fonction dévolue à l’Etat. En conséquence, l’impôt doit correspondre aux services rendus, c’est-à-dire au paiement de l’Etat pour la protection des droits qu’il dispense. On est ici à l’origine de la doctrine du bénéfice selon laquelle il doit y avoir équivalence entre l’utilité que retirent les citoyens des services publics qu’ils consomment et le « prix » fiscal qu’ils acquittent4 . Avec le développement des fonctions de l’Etat, justifié soit par la nécessité de pallier les échecs du marché, soit pour assurer un développement harmonieux du capitalisme industriel, les dépenses publiques se sont accrues, en particulier les dépenses d’infrastructures et d’éducation, réclamant ainsi une extension du rôle de l’impôt. Enfin, l’épanouissement de l’Etat-providence a vu la croissance en France d’une nouvelle catégorie de contribution, se distinguant principalement des impôts au plan juridique par l’absence d’autorisation législative de prélèvement, les cotisations sociales. Jusqu’à la fin des années 1980, les cotisations sociales représentaient environ 90% des ressources de la protection sociale française. Les fortes mutations de celles-ci ont depuis lors réduit la part des cotisations sociales à près de 60%, tandis que la part des impôts et taxes affectés s’élevait à 21% en 2006.
La redistribution
La redistribution vise à corriger les inégalités de la répartition des revenus et des richesses. Elle peut prendre une forme monétaire ou non monétaire. Traditionnellement, on distingue deux dimensions de la redistribution. La redistribution horizontale opère des transferts qui ne sont pas motivés par la hiérarchie des revenus. Il s’agit donc soit d’opérations intervenant entre ménages situés dans la même strate de revenus, soit d’opérations fondées sur d’autres critères que le revenu. La protection sociale répond le plus souvent à ce type de problématique puisqu’elle vise à effectuer des transferts de ressources au profit de personnes exposées à un risque social : maladie, maternité, famille… Quant à la redistribution verticale elle prend en compte la hiérarchie des revenus et cherche à en réduire les inégalités. Dans ce cadre, l’objectif de la redistribution fiscale est le resserrement de l’éventail des revenus et son instrument privilégié est l’impôt progressif sur le revenu. On dit d’un impôt qu’il est progressif lorsque le taux moyen d’imposition croît plus vite que le revenu ce qui signifie que l’élasticité du rendement de l’impôt est supérieure à 1. Il s’ensuit que la progressivité peut être entendue comme une déviation positive par rapport à un prélèvement proportionnel au revenu. De fait, la progressivité peut s’analyser comme la structure d’un prélèvement, c’est-à-dire la répartition d’un euro 7 d’impôt entre les contribuables classés selon leur position dans l’éventail des revenus, tandis que les effets redistributifs mesurent l’ampleur des variations introduites par ce prélèvement dans la distribution des revenus. A distribution primaire des revenus donnée, l’ampleur de ces effets redistributifs dépend à la fois du degré de progressivité et du taux moyen d’imposition, c’est-à-dire de la masse des revenus effectivement prélevée. En d’autres termes, la variation d’inégalité résultant d’un prélèvement peut être exprimée comme le produit de sa progressivité par le taux moyen d’imposition.
Régulation de l’activité économique et stabilisation
Pour contrôler l’équilibre macroéconomique, assurer la croissance et tendre vers le plein emploi, on distingue habituellement les politiques centrées sur la demande visant au soutien ou à la relance de l’activité économique, des politiques privilégiant l’offre, plus restrictives, favorables à l’épargne et/ou cherchant à améliorer la compétitivité des entreprises. Selon l’analyse keynésienne, l’impact positif sur la croissance et l’emploi des politiques budgétaires est le résultat du multiplicateur. Toutefois, pour les keynésiens, une hausse des dépenses publiques n’est pas équivalente à une diminution des recettes. En effet, le multiplicateur des dépenses budgétaires est supérieur au multiplicateur fiscal en raison des délais plus lents de réaction des revenus individuels et donc de la consommation, aux modifications de la fiscalité. Pour leur part, les économistes de l’offre ne croient pas en l’effectivité du multiplicateur et critiquent ce qu’ils appellent les « dégâts du 8 keynésianisme », en particulier la mauvaise allocation des capacités productives au sein de l’économie qui serait engendrée par les distorsions que provoquent les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques. C’est la raison pour laquelle ils soutiennent que la baisse des charges fiscales est l’instrument de la réduction des dépenses publiques dont il devrait résulter une relance de l’investissement et de l’activité permettant à terme de combler les déficits publics. Comme cela a été souligné à l’occasion des débats récents sur l’efficacité de la politique budgétaire5 , il faut également tenir compte de l’effet contra-cyclique de la plupart des activités publiques, notamment les prélèvements obligatoires. Ces activités présentent une certaine inertie par rapport à la conjoncture et agissent comme des stabilisateurs automatiques. En particulier, les prélèvements obligatoires et singulièrement l’impôt sur le revenu des personnes physiques augmentent en période d’expansion et diminuent durant les récessions. Les variations sont d’autant plus importantes que les prélèvements présentent un profil progressif. A cet égard, Robert Solow soutient que les politiques fiscales s’attaquant à la progressivité des prélèvements remettent en cause la capacité des budgets à atténuer spontanément l’impact des chocs conjoncturels .