LA POÉSIE ORALE DU BÈLÈDOUGOU
Le pays et la vie socio – culturelle
Situation géographique
Le Bèlèdougou est situé au nord de Bamako et s’étend jusqu’aux portes du Sahel occidental. Sa morphologie générale est celle d’un vaste plateau de faible altitude (entre 350 et 450 m environ). On estime qu’il est compris entre le 7ème degré 30’ et le 8ème degré 30’ de longitude, d’une part, et le 12ème degré 40’ et le 14ème degré de latitude nord, d’autre part. Cette position le place dans la zone bioclimatique soudanienne nord caractérisée par une pluviométrie moyenne comprise entre 700 et 900 mm par an. D’ailleurs, Issa Baba Traoré le décrit, dans les années 1960-1961, comme : « Un vaste plateau gréseux d’une altitude moyenne de 350 m avec quelques collines s’élevant à 100 m et compris entre le 7ème et le 9ème degrés de longitude nord, d’une part, et le 12ème et 14ème degré de latitude nord, d’autre part » 204 . Bien que cette étude ne fût pas menée par un spécialiste, M Traoré s’efforça à faire ressortir avec le maximum de précisions possibles sur les grandes caractéristiques géographiques du pays. Cette étude n’est pas éloignée de celle que Tièman Diarra admit plus tard dans sa thèse. Nous y avons fait recours dans la mesure où cette description géographique nous semble correspondre à la réalité physique de la zone concernée et qu’elle présente beaucoup de points communs avec d’autres études menées sur le même sujet. Il est reconnu qu’il fit partie de l’ancienne province de Kaniaga aux temps de Gana et de Sosso et que, sur le plan administratif, actuellement et depuis l’indépendance, en 1960, il englobe les cercles de Kati, Koulikoro, Kolokani et Banamba. Bien qu’une telle hypothèse soit encore discutable, comme limites géographiques, on peut admettre celles qui suivent : au nord, le Wagadou et le Bakhounou ; au sud, le fleuve Niger à partir des territoires traditionnels du Domba (Nèguèla et environs dans le cercle de Kati) et du Méguétan ; à l’ouest, le fleuve Baoulé ou Bablé (zone de Batou) ; à l’est, les territoires traditionnels du Shuala et du Messèkèlè205 . Alfred Rambaud, dans La France coloniale206 , avait cependant donné les limites suivantes : 204 TRAORE, Issa Baba, Koumi Diossé, Bamako, Edim, 1961, p.9. 205 DIARRA, Facoh Donki, op, cit, 2013, p.53. 250 à l’ouest, le Baoulé ; au nord, le cercle de Goumbou ; à l’est, le cercle de Sokolo ; au sud-est, le cercle de Ségou ; au sud et au sud-ouest, les cercles de Banamba et de Koulikoro. Tout ce qu’on peut déduire de ces diverses localisations, d’après Tièman Diarra207, c’est qu’elles montrent bien la complexité de la question des limites géographiques du Bèlèdougou, dès les débuts de la colonisation, et la confusion dans laquelle elle plongeait l’administration coloniale dans les périodes de conflit. Il s’agit donc d’une zone couvrant grossièrement le 1/3 de la superficie du plateau manding et située au nord du cercle de Kati jusqu’au Kaarta, d’une part, du Baoulé au Fadougou, d’autre part. Il est aussi à la fois une entité géographique aux limites mouvantes et une entité historique issue de l’empire de Ségou à partir de la deuxième moitié du 18ème siècle et organisée par celle-ci pour servir de base à sa politique d’expansion et assurer ses frontières avec les pays du nord. Alternant petits plateaux latéritiques et grandes plaines argileuses et sablonneuses, le relief ne présente ni grandes formations montagneuses, ni grands fleuves. Par contre les collines, qui représentent les dernières ramifications des monts manding, sont nombreuses comme à Massantola, Doribougou, et à Cholabougou (environ 350 m). Mais à Katiola, au nord de Sirakorola, les petites collines atteignent 482 m. Quelques-unes apparaissent également à Nonkon, à Djiwoyo et à Djidiéni. Les plateaux de Monzonbala et de Koyon (Sirakorola) ont une altitude moyenne comprise entre 250 et 300 m alors que ceux de Doumba et Sinzani-marka ne s’élèvent guère plus haut. Cette partie du Bélédougou est non seulement très plate mais elle représente également la moins dense en végétation en comparaison à d’autres comme N’Dotan ou le Ntossamana. De par la nature des sols essentiellement argileuse, elle se distingue un peu du Bèlèdougou occidental et méridional plus latéritique et plus accidenté. Par ces caractéristiques précisément elle représente pour beaucoup la partie la moins « bellerine» du Bèlèdougou. Les plaines dominent dans le Méguétan, le Bassala (nord-est de Kolokani), le Diédougou (Torodo et environs dans le cercle de Kati) et dans le N’tjiba (Faladiè, Daban, Bassabougou, etc). Dans le Méguétan, l’altitude la plus haute s’observe à Koulikoro avec le Nianankoulou qui s’élève à près de 500 m. Toute la partie nord de Koulikoro jusqu’à Banamba est constellée de petites collines, de monts et de massifs qui ne font pas plus de 200 m. Les vallées sont peu encaissées : à peine 80 m de profondeur même dans les zones quelque peu accidentées comme celles de Kati, du Batou, dans les abords du fleuve Baoulé, et de Koulikoro208. La zone est donc caractérisée par la faiblesse de son altitude et par un manque de relief d’envergure. Les collines et les montagnes y sont en effet rares mais nombreux sont les massifs et les monts comme ceux de Semba (ouest de Tienfala) et de Fèya au nord. Dans le nord de Kolokani, l’altitude la plus élevée s’observe à Mintèbougou (529 m) et à Merkoya (480 m). Mais Djidiéni, lui-même, le plus gros centre de cette zone, se trouve à 392m de Tao Tomo à 438 m. Dans le Bèlèdougou médiéval, le sommet le plus haut est Djinina (582 m) alors que Bassabougou et Sonytièni représentent les points les plus bas avec, respectivement, 367 m et 379 m. En allant vers le nord, l’altitude s’élève mais elle s’abaisse quand on va vers le Baoulé, à l’Ouest. Cela fait qu’à Kolokani nous observons 393 m d’altitude alors que Mpièla est à 423 m, N’dotan à 420 m et 440 m. Dans la zone du Batou, bien que la végétation soit plus dense, les altitudes demeurent relativement peu élevées comparées à celles du centre ou de l’extrême nord. Le paysage est partagé de façon inégale entre les plaines et les plateaux dans lesquels on trouve presque toutes les grandes espèces de la savane : karité (achras parkii), néré (parkia biglobos), baobab (adansonia digita), caïlcédrat (kahya senegalensis), flamboyant (parkia biglobosa), balanzan (acacia faidherbia albida), nzaban (landolphia senegalensis), etc. En tant que zone sahélo-soudanienne, le Bèlèdougou est aussi caractérisé par trois saisons climatiques : une saison froide : d’octobre à janvier ; une saison chaude : de février à mai-juin ; une saison pluvieuse : de juin, juillet, septembre ; Le pays se divise ainsi en trois grands ensembles géographiques : 208 DIARRA, Facoh Donki, « Le rôle des clans dans le peuplement Bamanan du Bèlèdougou », in Etudes Maliennes, nº 53, Bamako, 2000, p. 1 et 2. 252 les plaines herbeuses et arbustives du centre correspondant aux zones de Doribougou, Tommougou, Doumba et Sirakorola ; la savane arborée au sud du Ntossamana, à Koulikoro ; les régions sablonneuses du nord : ouest et nord de Kolokani209 Les géographes ont peu travaillé sur le Bèlèdougou, autant dans le domaine physique que dans celui de la géographie humaine. Résultat : seule une petite quantité de cartes y est disponible. Sur cette matière, n’existent que des cartes à caractère administratif sur la région de Koulikoro dont, principalement, celles de Kati, Kolokani, Koulikoro et Bamako-Ouest, qui donnent des informations topographiques de même que des renseignements sur l’hydrographie, la faune et la flore. L’exploitation de ces différentes cartes fait ressortir que les plaines herbeuses et arbustives du centre englobent en gros les arrondissements de Koula et de Sirakorola ainsi que la partie occidentale de Tienfala. La savane arborée du sud s’étend sur tout le cercle de Kati et sur une partie de l’arrondissement central de Koulikoro, dans la zone de Fèya, alors que les régions sablonneuses du nord concernent une grande partie du cercle de Kolokani jusqu’au pays dit de Gomintara, au nord-ouest de Djidièni. L’enclave constituée par Nonkon et par Massantola, dans le Bèlèdougou central, fait naturellement partie des plaines herbeuses du centre quoique la géographie de Nonkon soit quelque peu heurtée et apparaisse moins plate que dans d’autres, le pays à l’ouest de Nonsombougou ou celui de Doumba, au nord de Koulikoro. Nous avons déjà dit la complexité de la question sur les limites géographiques du Bèlèdougou. Mais le moins que l’on puisse dire est que le travail scientifique sur les limites de ce pays est loin d’être achevé dans la mesure où les populations elles-mêmes émettent des avis divergents sur la question. Pour les populations de Doumba, par exemple, le Bèlèdougou est situé plus à l’ouest et elles n’en font pas partie. La même remarque est faite par les populations de Séma situé à l’ouest de Tienfala et pour lesquelles le Bèlèdougou est le pays qui commence à Nonkon et s’étend jusqu’à Djidiéni. Cette idée n’est pas partagée par les Bamanan établis à l’est de Sirakorola dans les villages de Fougalen et Finyan qui affirment que le Bèlèdougou se trouve à l’ouest de Kati dans les environs de Kolokani et de Mpièla. Tout ceci nous montre combien il est difficile d’établir la limite géographique du Bèlèdougou. 209DIARRA, Facoh Donki, « Le royaume bamanan de Ségou et le Bèlèdougou aux XVIIIème et XIXème siècles », in : Etudes Maliennes nº 55, 2002, p. 2-5. 253 Hydrographie Les grands cours d’eau sont inexistants hormis les affluents du Baoulé dont le plus important apparaît dans les environs de Mokofabougou, sous le nom de Dlada (en fait, Bla ba), et coule en direction de l’est vers le Niger. En revanche, nombreux sont les marigots, les rivières et les mares qui, sous le nom local de bla ou de dla, arrosent aussi bien les plaines que les plateaux, d’ouest en est. L’hydrographie est donc à l’image du relief, c’est-à-dire, relativement pauvre. Le paradoxe est d’ailleurs que le pays est coincé entre deux grands fleuves (le Baoulé ou Bablé à l’ouest et le Niger au Sud). Mais ces deux ne se rejoignent pas, si bien que la contrée apparaît beaucoup plus comme sèche et aride qu’humide et tempérée. Le Bla ba, principal affluent du Baoulé dans le Bèlèdougou, traverse le terroir d’ouest en est. À mi-parcours, dans les environs de Tioribougou, il donne naissance à un bras appelé Bla ni, lequel traverse tout le pays Noka de Sirakorola, passe par Dlana au nord de Monzombala et rejoint le Bla ba à Koda près de Finyan (en face de Dinan sur la rive droite du Niger) avant que tous les deux ne se déversent dans le fleuve Niger. À côté de ces cours d’eau, existent bien évidemment, dans toutes les parties, des marigots et des rivières qui coulent en tous sens mais, généralement, rejoignent soit le Bla, soit l’un de ses affluents.
Origine, histoire et vie socio – politique
Le terme Bèlèdougou est un générique désignant un ensemble à la fois géographique et culturel pouvant se traduire librement par ‘’ pays des graviers ou cailloux’’ : bèlè (graviers) et dougou (village). Si les Bamanan, qui y sont majoritaires, le nomment ainsi, les Peul en revanche emploient le terme ‘’Bèleri’’ et les Soninké ou Marka celui de Berdougou. Le vocable Bèlèdougou, selon les sources de Kolokani, apparut à la faveur de la formation de l’empire bamanan, au moment de la domination politique et culturelle du groupe bamanan dans la vallée du Niger. Il servit à désigner les terres occidentales de l’empire proche du Kaarta et dont la géographie était légèrement différente de celle du pays de Ségou. Selon des sources de Kolokani, les expéditions à répétition dans le Kaarta, dont certaines, à l’aller soit au retour, passaient par une partie du Bèlèdougou, donnèrent à ce pays le nom de Bèlèdougou. Les souverains de Ségou qui y passaient ou séjournaient, de même que les simples soldats de l’armée de Ségou, à leur retour au bercail, décrivaient cette zone comme étant celle des cailloux. Le contraste avec le pays de Ségou, plat et sablonneux sur toute son étendue, permettait de faire la distinction. 254 Quoi qu’il en soit, il semble que le terme fut d’abord connu à Ségou avant de l’être dans le Bèlèdougou même où, pour désigner les lieux et les zones, il était courant d’employer les noms des village, de kafo, et même de lignage. Le terme Bèlèdougou daterait donc de l’époque de Ségou pour désigner d’abord les territoires pierreux que les troupes traversaient avant de parvenir dans le Kaarta, ensuite la province de l’Etat de Ségou situé à l’ouest. Le terme était déjà d’usage courant dans la première moitié du 19ème siècle puisque, selon Adam Ba, Da Monzon, au faîte de sa puissance, et voulant prouver à son entourage que tout le pays était sous son contrôle, au cours d’une réunion avec ses conseillers, après plusieurs autres dans les territoires du Macina, du Kankan, du Tengréla, du Sokolo, etc, aurait demandé à son Jeli, Dante si l’impôt du Bèlèdougou était rentré. Ce à quoi le grand griot, pour contenter son roi, répondit par l’affirmative. Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, le pouvoir toucouleur donna un autre contenu au vocable Bèlèdougou en n’y voyant que les pays d’ouest qui lui étaient hostiles. Les talibés les qualifiaient à tort de terres d’hérésie et de mécréance parce qu’ils s’étaient montrés hostiles à El Hadj Oumar et que la religion musulmane y était peu pratiquée. En tout cas, la croyance en la religion traditionnelle était l’une des caractéristiques de ce pays jusqu’à la pénétration coloniale (et même au-delà). À cause de cette religion traditionnelle encore appelée animisme, qui y était récurrent, selon les traditions villageoises de Daban, on a longtemps confondu le Bèlèdougou soit avec le Sosso lui-même (le pays de Soumangourou Kanté) soit avec une partie ou une province de cet Etat. En l’état actuel de la recherche, il est difficile d’affirmer ou d’infirmer telle ou telle hypothèse. D’après Facoh Donki Diarra, la question du Sosso étant lui-même incertaine en ce qui concerne sa localisation géographique, celle des parties qui composaient cette organisation politique l’est plus encore. Le Bèlèdougou est un vieux pays, mais ce vieux pays a certainement vu passer maintes entités politiques dont probablement le Sosso. Certaines descriptions physiques issues des traditions orales semblent admettre que sa terre ou une de ses parties correspond à celle du Sosso. Le pays étant trop vaste, le problème de son étendue réelle se pose en même temps que celui de l’appartenance de certaines localités à son aire géographique et culturelle. S’agissant de Bamako et de Kati, par exemple, Tièman Diarra écrit : « Beaucoup de vieux, tout en excluant Bamako et Kati du Bèlèdougou, retiennent Kulukoro et les abords de cette ville »210 . 210 DIARRA, Tièman, op, cit, 1984, p.25. 255 Nous pensons que si ces deux villes (Bamako et Kati) sont exclues du Bèlèdougou, c’est dû au fait de l’urbanisation trop poussée qui a amené des changements notables dans les comportements. Mais sur le plan géographique pur, on ne peut les en exclure et poser rationnellement que du sud au nord le Bèlèdougou s’étire du Niger au Sahel alors que de l’ouest vers l’est- il va du Ntossamana au Fadougou. Par contre l’appartenance de certaines zones au Bèlèdougou ne se discute pas. Tel est le cas de Koulikoro et de certaines parties du Méguétan dont Féya et Mafeya dont le fait est reconnu par les populations de ces villages. Tièman Diarra note que les habitants de Guayibugu (Guanièbougou) considèrent que leur village est le dernier à l’est du Bèlèdougou. Une telle affirmation le conduit à la conclusion que cette hypothèse inclurait fort facilement tous les villages de l’arrondissement de Sirakorola dans le Bèlèdougou. Ntio Diarra, plus connu sous son nom d’écrivain d’Alpha Mandé est encore plus précis lorsqu’il écrit : « Les populations des six cercles et du district de Bamako qui constituent le Bèlèdougou….» ou « Depuis plus d’un an, le Bèlèdougou entier, de Mouroudhian au nord au village de Tiensabadougou au sud sur les frontières du Mandé, de Niamina à l’est au pays kakolo et manika de Kita à l’ouest….» . Les Bamanan constituent un des grands groupes ethniques du Mali. Situé au cœur du pays, le peuple bamanan et assimilés forment un groupe linguistique et culturel très important au Mali. Leur aire géographique s’étend du centre-Est, à l’Ouest du Mali, et couvre les régions de Ségou et de Niono (Delta central nigérien), du Bèlèdougou (Koulikoro, Banamba, Kolokani, Kati, etc..), du Kaarta, à cheval sur les cercles de Kita au sud et de Nioro au Nord, également de Bougouni, yanfolila, Kalondièba et sikasso. « Ainsi les Bambara sont essentiellement des Soudanais. Contrairement à certains ensembles humains, ils forment un bloc très homogène. Seules vivent parmi eux de petites colonies de foula, c’est-à-dire ces Peuls pratiquement sédentarisés qui représentent en quelque sorte les chaînons intermédiaires entre les grands foyers peul du Massina et de Guinée. Toutefois, à la lisière Nord, les interférences avec les Soninké ont été importantes et sur la rive gauche du Niger, à la hauteur de Koulikoro, et même sur l’autre rive, subsistent de gros villages se reclamant de cette tradition, mais le plus souvent ils donnent l’impression d’être en voie d’absorption, quand ils ne sont pas maintenant considérés comme tout à fait bambara ».Les régions d’implantation se répartissent entre trois (03) groupes : Ségoukaw (ceux de Ségou) ; Kaartakaw (ceux de Kaarta) ; Bèlèdougoukaw (ceux de Bèlèdougou). Ils tiennent, par leur dialecte dérivé de la langue mandingue, une place importante au sein des autres groupes ethniques du Mali. En effet, la popularité du dialecte bamanankan est telle que même l’observateur non averti sait automatiquement que c’est l’ethnie bamanan qui prédomine au Mali. Hors du Mali, on rencontre une forte diaspora bamanan au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et en Guinée Conakry. Le bamanankan y produit aussi les mêmes effets. Non seulement il est le même, aux différences d’accents près, pour tout le peuple bamanan, mais il est compris aussi, sans effort notable, par le bloc malinké. Il est encore celui d’un groupe ethnique très particulariste, les Djoula, qui se livrait fondamentalement aux commerces et aux transports à grande distance et dont le rayon d’action s’étend jusqu’au Burkina Fasso et en Côte d’Ivoire. Par eux, le bamanankan est devenu une des langues de communication de l’Afrique de l’Ouest utilisé par plusieurs millions d’individus dans leurs rapports journaliers. Sotigi Penda Mori affirme que c’est ainsi que « L’ethnie bamanan se soit longuement ouverte aux influences extérieures, au travers du groupe malinké jusqu’à la Gambie et à l’Océan, jusque vers Tombouctou, le désert et ses au-delà, enfin vers le sud et la forêt »213 . Les Bamanan comme les Malinké font partie d’un groupe plus vaste (les Mandekas), au sein duquel ils partagent de nombreux caractères communs, notamment d’ordre anthropologique. Mais sur le plan psychologique, ils sont nettement différenciés. Le pouvoir étant devenu vacillant au Mandé pour des causes internes et externes, l’insécurité s’installa et des groupes optèrent pour l’émigration et échappent par cette voie à l’anarchie qui s’annonçait. Des communautés entières empruntèrent la vallée du Niger et arrivèrent dans le pays de Ségou vers la fin du 14ème et le début du 15ème siècle. Un groupe important s’arrêta à Saro ou Shanro. Ce groupe, principalement constitué de Traoré, y fonda une puissante chefferie au 17ème siècle mais il ne parvint pas toutefois à s’ériger en royaume à cause sans doute de la proximité de Ségou. Ils avaient probablement déjà acquis une personnalité à cette époque mais leur structure sociale ne leur permettait pas de se révéler efficacement pour être connus à l’extérieur. Ils vivaient en effet en villages et le pouvoir politique s’arrêtait généralement au niveau du groupe de villages, c’est-à-dire du canton. Une véritable anarchie régnait par conséquent et les luttes entre voisins ne manquaient pas d’être fréquentes. Aucune 213 SIDIBE, Sotigi Penda Mori, La rencontre de Jésus Christ en milieu bambara, Paris, Ed Beauchesne, 1978, p. 15. 257 ligne de force ne pouvait dans ces conditions se dégager. Ce qui permit à certains observateurs, d’affirmer l’idée selon laquelle, le Bèlèdougou serait un pays sans tutelle, sans lien avec aucun pouvoir politique constitué, une espèce de terre vacante et sans maître. Il en fut autrement lorsqu’une autorité supérieure s’instaura, c’est-à-dire à partir du 17ème siècle, avec le royaume de Ségou. Ségou, centre de rayonnement de la langue et de la culture du monde bamanan, a son histoire que ne saurait ignorer quiconque s’intéresse au peuple bamanan. D’ailleurs la plupart des traditions villageoises n’ont retenu que les informations relatives à la longue domination de Ségou, si bien que c’est cette partie de son histoire qui apparaît comme la mieux connue du point de vue de la qualité de l’information historique et de l’organisation de la société. D’après certaines sources historiques, le Bèlèdougou appartint à l’empire de Ségou dont il épousa le destin jusqu’à l’arrivée des Toucouleurs en 1861, et même au-delà, dans la lutte contre la pénétration coloniale (deuxième moitié du 19ème siècle). Mais de cette domination nous en connaissons peu les mécanismes, les héros et les stratèges qui la mirent en œuvre ainsi que les moments forts et les périodes de crise. Dans tous les cas, l’autorité de Ségou s’y exerça sous des formes diverses puisque les sources orales parlent de « Ségou fanga wati » (à l’époque du pouvoir de Ségou) ou de ‘’bamanan fanga’’ (pouvoir des Bamanan) pour caractériser cette époque. Ces sources semblent infirmer l’idée selon laquelle, le Bèlèdougou serait un pays sans tutelle, sans lien avec aucun pouvoir politique constitué, une espèce de terre vacante et sans maître. Ainsi la figure de Mamari Couloubali a fortement marqué la première moitié du 18ème siècle dans la vallée du Niger. Ses armées se sont portées suucessivement vers le sud jusqu’au Bani, à l’Est vers Djenné et à l’Ouest à travers tout le Kaarta dont les occupants, des Bamanan du clan Massassi, furent pour la première fois décimés. Un de ses successeurs, Ngolo Diarra, poursuivit cette œuvre de domination et pénétra encore plus loin, jusque chez les Mossis de Yatenga et chez les Minianka ; il guerroya contre les Peuls du Macina jusqu’à Tombouctou et vers le Nord, dans le Sokolo. Ses exploits furent renouvélés par son fils Monzon qui engagea aussi une lutte serrée dans le Kaarta, le Fouladougou et le Bèlèdougou.
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