La « place » du christianisme dans la presse écrite de référence

Des racines étymologiques

Bien que quelques doutes subsistent à propos de son origine, pour le philosophe J. Grondin (2009), la meilleure réponse à la question de savoir ce qu‟est la religion, la plus banale, consiste à dire qu’il s’agit d’un mot latin. En effet, le terme religion dérive du vocable latin religio. D‟après l‟auteur, diverses étymologies célèbres ont été proposées : « Le terme comporte plusieurs sens précieux, et, chose plus importante encore, des auteurs latins de premier plan (dont Cicéron, Lactance, Augustin et Thomas) se sont penchés sur son sens et son étymologie » (Grondin, 2009 : 66). La religion a été définie pour la première fois par Cicéron, politicien, philosophe et orateur du premier siècle av. J.-C. (106 a.c. – 43 a.c.), comme « le fait de se soucier d‟une certaine nature supérieure que l‟on appelle divine et de lui rendre un culte », se caractérisant par « son rapport réfléchi, prudent et raissonné au culte des dieux ».5 Dans l‟ouvrage De Natura Deorum, (45 avant J.-C.), Cicéron déclare que le terme dérive du verbe relegere, qui veut dire relire – « lire à nouveau », « interpréter à nouveau » ou « examiner avec un soin redoublé », « observer attentivement », c‟est-à-dire aborder avec circonspection tout ce qui se rapporte au culte des dieux, à travers la relecture des écritures.6 Cette proposition étymologique, qui postule comme élément central l‟importance d‟une lecture et dès lors d‟un choix réfléchi et attentif, met en lumière la nature répétitive du phénomène religieux, ainsi que son aspect intellectuel. Plus tard, Lactance (v. 250-325), apologète chrétien du IIIe siècle, a rejeté l’interprétation de Cicéron et déclaré, dans ses Divinae Institutiones, III, 9, que le terme religio dérivait de religare, dans le sens de relier (ligare : lier), reconnecter, arguant que la religion est un lien de compassion qui sert à reconnecter l’homme à Dieu : « Le terme religio a été tiré du lien de la piété, parce que Dieu se lie l‟homme et l‟attache par la piété » (id.:73-74).

Cette interprétation met l‟accent sur l‟idée de lien et agit dans les deux sens : « le lien initial vient de Dieu, car c‟est lui qui propose une alliance à sa créature. La religion devient alors le « re-lien » de piété qui rattache l‟homme à Dieu » (ibid.). Dans le même sens, dans son livre La Cité de Dieu, Augustin d’Hippone (345-430) insistera, au IVe siècle, sur l‟idée de « re-lien », car c‟est un lien que l‟homme a perdu par sa propre négligence, en commettant le pêché originel : il importe donc de rétablir ce lien. Il réfère, alors, que la religion vient de religere, ou «relier». Grâce à la religion l’humanité se relirait à nouveau à Dieu, dont elle avait été séparée. Plus tard, dans l’ouvrage De verareligione, Augustin reprend l’interprétation de Lactance, qui voyait dans le terme religio une relation à « reconnecter ». Le terme religiona, donc, cette double étymologie latine de releggere = recueillir et de religare = rassembler, ce qui nous renvoie alors à l‟action de rejoindre, d’unir le profane au sacré, l’homme au divin, le matériel au spirituel. Dans les langues où le terme est issu du latin religio, (qui a été utilisé pendant des siècles dans le contexte culturel de l’Europe, marqué par la présence du christianisme qui s‟est approprié le mot), comme c‟est le cas de la langue portugaise, la religion est le plus souvent envisagée comme ce qui concerne les relations entre l’humanité et Dieu.

De l’essence : du sens de la vie à la médiation entre sacré et profane Cela a été à partir de la perspective philosophique de la religion, dont l‟objectif central peut s‟exprimer à partir des questions telles que : « Qu‟est-ce que c‟est, après tout, que la religion? » ; « Comment on peut la décrire ? Qu’est-ce que cela signifie ? » – que divers penseurs, tout au long d‟histoire de la philosophie, ont essayé de comprendre l‟essence et les caractéristiques du phénomène. D‟ailleurs, la religion, et la question du sens de l‟existence qui lui est attachée, peuvent même être considérées comme objets de réflexion élus de la philosophie « dans sa propre quête de sagesse », comme le considère J. Grondin (2009). Dans l‟introduction de son ouvrage La Philosophie de la Religion, l‟auteur écrit: « La religion propose les réponses les plus fortes, les plus anciennes et les plus crues à la question du sens de la vie. (…) C‟est dans la religion que s‟est articulée, et de manière infiniment diverse, une expérience de la vie qui y reconnaît un parcours sensé parce que cette vie s‟inscrit dans un ensemble comportant une direction, un but et une origine. (…) Il y a là une réponse à la question du sens de l‟existence, qui a toujours passionné, mais parfois aussi agacé la philosophie, de Platon jusqu‟à Bergson, Heidegger et Levinas (…). La tâche d‟une philosophie de la religion est de méditer le sens de cette réponse et la place qu‟elle peut tenir dans l‟existence humaine (…) La philosophie de la religion se veut ainsi une réflexion sur la religion, sur son essence et ses raisons, voire sa déraison » (Grondin, 2009 : 3- 6). Malgré la diversité des conceptions philosophiques du phénomène7, que nous n‟allons pas développer ici, il importe plutôt de retenir ce que postule, dans cette lignée, le courant de la phénoménologie de la religion, qui s‟intéresse à l‟idée selon laquelle la religion cherche à donner du sens à l’existence humaine, ainsi qu‟à accorder des réponses aux questions qui donnent un sens à la vie. Ce courant de pensée cherche exactement à examiner le sens fondamental du phénomène religieux d‟une façon plus pointue, tout en cherchant à comprendre la religion dans son essence, en tant que pensée sur Dieu, et en s‟intéressant à la spécificité a priori de l‟expérience religieuse.

Il convient de souligner que l‟idée de religion (notamment dans le cas de la langue et la culture portugaise – héritière de la tradition indo-européenne) nous conduit vers la sphère d‟une altérité divine, du sacré, qui nous renvoie à l‟opposition à ce qui est du domaine du profane. L‟espace sacré est le lieu où le divin peut habiter, se manifester ou communiquer avec les hommes. D‟où le fait que les incursions humaines sont régulées par les prohibitions que la divinité elle-même, indépendamment de sa nature, établit. Manuel da Costa Freitas, chercheur portugais qui s‟est intéressé de façon passionnée à la question phénoménologique de la religion, notamment à la phénoménologie du sentiment religieux, signale que dans la tradition latine, cet héritage s‟exprime au niveau de la représentation symbolique du temple (fanum) en tant qu‟espace sacré, séparé pour l‟usage divin, et délimité par la périphérie qui le circonscrit, le profane (pró-fanum), c‟est-à-dire, ce qui est en dehors du temple (Freitas apud Silva, 2011 : 21-22). Rudolf Otto et Mircea Eliade sont, entre autres, les principaux auteurs qui ont considéré plus finement la question de la nature du phénomène religieux, à partir de la notion-clé d‟expérience religieuse et du concept de sacré. Au lieu d‟étudier les idées de Dieu et de religion, Rudolf Otto s‟est appliqué à l‟analyse des modalités de l‟expérience religieuse, en éclaircissant le contenu et les caractères spécifiques de cette expérience.

Il n‟identifie pas le sacré en tant qu‟espace ou temps commun à toutes les religions mais en tant que catégorie d‟interprétation appartenant au domaine religieux. Au lieu d‟une interprétation morale ou éthique, et tout en négligeant le côté rationnel et spéculatif de la religion, Otto propose d‟aborder le sacré dans sa dimension non rationnelle. L‟auteur ne met pas de côté, les aspects rationnels, mais son approche a la pertinence de sauvegarder l‟élément non rationnel présent dans l‟expérience religieuse (Otto, 1992 : 12-13).8 Il ne veut pas « rationaliser l‟irrationnel » mais plutôt le capter (id. : 87). Cela parce que, d‟après Mircea Eliade,9 « Otto avait lu Luther et avait compris ce que veut dire pour un croyant, le « Dieu vivant ». Il n‟était pas le Dieu des philosophes, le Dieu d‟Erasme, par exemple ; il n‟était pas une idée, une notion abstraite, une simple allégorie morale. Il avait, par contre, un pouvoir terrible, manifesté dans la colère divine » (Eliade, s/d : 23). En ce sens, la catégorie du sacré est perçue par lui à travers des sentiments de terreur, de fascination et de mystère impliquant la relation de l’homme avec le divin, le « totalement autre ».

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La pertinence du phénomène religieux dans l’espace public contemporain

Le déclenchement d‟une discussion initiée à propos de la forte relation entre modernité et sécularisation a marqué, dans la deuxième moitié du XXe siècle, les Sciences Sociales en général, et la Sociologie de la religion en particulier (Berger, 1985). La notion fondamentale, comme la synthétise bien Machado, c‟est que la « modernisation des sociétés est en rapport à la contraction de la sphère religieuse et au retrait graduel de la religion de l‟espace public » (Machado apud Rodrigues (org), 2004 : 43). Sur cette question, l‟anthropologue Donizete Rodrigues souligne que l’idée capitale peut se résumer comme suit : « quelques scientifiques assurent que la modernisation des sociétés entraîne une diminution de l’importance du sacré dans l’espace profane, ou en d’autres termes, de la religion / religiosité dans la vie quotidienne des gens » (Rodrigues, 2004 : 43). Cependant, cette discussion concernant la sécularisation n‟est pas nouvelle, Rodrigues23rappelle que les sociologues classiques étaient déjà préoccupés par cette problématique : « il suffit de rappeler les trois stades de développement prônées par Auguste Comte, la thèse de la religion comme aliénation, prônée par Karl Marx (qui ne se souvient pas de la célèbre phrase – « La religion est l’opium du peuple» ?), et, surtout, les idées de E. Durkheim, considérant que les nouvelles valeurs prônées par la Révolution française, une sorte de «religion laïque humaniste» pourrait être une alternative à la religion, et de Max Weber, avec la fameuse théorie de la rationalisation » (id. : 43).

Évoquant le point de vue des théoriciens « classiques » (Comte, Weber, Marx, Durkheim), Rodrigues prêche que la relation entre modernité, laïcité et désenchantement du monde implique fondamentalement deux principaux changements dans la vision du monde : la profanation des attitudes humaines et des choses (au sens durkheimien) et la rationalisation de la pensée (dans la perspective wébérienne), à savoir l’utilisation de la logique et non du symbolique-religieux dans l’explication des faits sociaux (id. : 43). Le processus de sécularisation a émergé fortement, dans le contexte des pays chrétiens européens, au cours du XVIIème siècle. Weber (1997) a bien expliqué que le Protestantisme Luthérien-Calviniste a réduit la relation entre Dieu et les hommes et cette séparation des sphères du sacré et du profane fait qu‟il y a eu des grandes conséquences sociales, dont la principale a été le phénomène de la sécularisation (Wilson apud Rodrigues, 2004 : 44). D‟après Peter Berger, le protestantisme a fonctionné en tant que prélude historiquement décisif pour la sécularisation, malgré l’importance d‟autres facteurs (1985).

Table des matières

INTRODUCTION
1. Présentation du sujet et du contexte de l’étude
2. Objectifs et problématique et de la recherche
3. Méthodologie de recherche
4. Annonce et justification du plan/structure
PARTIE I : REPÈRES CONCEPTUELS ET CADRAGE THÉORIQUE GLOBAL DE L’ÉTUDE
CHAPITRE 1 – La place de la religion dans la société contemporaine
1.1. Quelques concepts-clés sur la Religion
1.1.1. Des racines étymologique
1.1.2. De l‟essence : du sens de la vie à la médiation entre sacré et profane
1.1.3. Des origines : le rapport à la communication
1.1.4. Des fonctions sociales : le rôle de structuration du corps social
1.2. La pertinence du phénomène religieux dans l‟Espace Public contemporain
1.2.1. Le débat contemporain : sécularisation, laïcité et « espace public religieux »
1.3. Interaction entre religion et science : conflit ou convergence ?
Conclusion
CHAPITRE 2 – Journalisme : une vision constructiviste du processus de production de l’information
2.1. Le Journalisme : la quête d‟une définition
2.2. Le processus de construction des nouvelles
2.2.1. La culture organisationnelle et la culture professionnelle
2.2.2. Les rapports aux sources d‟information
2.3. Les nouvelles et les critères de sélection d‟information
2.4. La mise en agenda et le cadrage journalistique
2.5. Le journalisme et les représentations médiatiques
2.6. Les transformations du journalisme à l‟époque du numérique
Conclusion
CHAPITRE 3 – Les médias et la religion : les murs et les ponts d’un rapport difficile mais inévitable
3.1. Médias et Religion : le rapprochement scientifique entre objet médiatique et objet religieux
3.2. Les relations entre religion et médias ou la communication du religieux
3.2.1 La difficile combinaison de la logique de l‟immédiat et celle du transcendant
3.2.2. Le journalisme et religion : le statut de l‟information et de l‟informateur religieux
3.2.3. Médias de sources : les nouveaux acteurs dans la production et la diffusion de contenus
3.2.4. La représentation de la religion dans les médias
Conclusion
PARTIE II : LA « PLACE » DU CHRISTIANISME DANS LA PRESSE ÉCRITE DE RÉFÉRENCE
CHAPITRE 4 – Le terrain du Portugal
4.1. La place de la religion et du Christianisme dans la culture portugaise
4.1.1. Le Concordat avec le Saint-Siège et la Loi de La Liberté Religieuse
4.2 Le panorama du christianisme et le paysage médiatique portugais
4.2.1. Les médias généralistes « non confessionnels » : confessions religieuses à la radio et à la télévision de service public
4.2.2. Les médias généralistes « non confessionnels » : confessions religieuses dans les médias généralistes privés
4.2.3. Les médias « religieux » ou « confessionnels »
4.2.3.1. Le cas de l‟Église Catholique Romaine
4.2.3.2. Le cas de l‟Église Orthodoxe au Portugal
4.2.3.3.Le cas des Protestants – Aliança Evangélica Portuguesa (AEP) et Conselho Português de Igrejas Cristãs (COPIC)
Conclusion
CHAPITRE 5. Portée de l’étude : choix de l’enquête et approche méthodologique du terrain étudié
5.1. Méthodologie d‟enquête
5.2. Études exploratoires, analyse documentaire et entretiens exploratoires
5.3. Analyse de contenu
5.3.1. Les journaux : Diário de Notícias, Público e Expresso
5.3.2. Les périodes analysées
5.4. Entretiens « compréhensifs » : journalistes et sources
5.4.1. Journalistes
5.4.2. Autres journalistes et collaborateurs « spécialisés » dans la religion
5.4.3. Sources d‟information religieuse
Conclusion
CHAPITRE 6 – Exploitation et analyse des résultats de l’enquête : interactions entre journalisme et christianisme
6.1. Analyse de contenu : le traitement journalistique du christianisme
6.1.1. Propos introductifs
6.1.2. Le cas des Journées Mondiales de la Jeunesse – Madrid 2011
6.1.3. Pape François: 1er Voyage du pontificat – Lampedusa (juillet 2013)
6.1.4. Pape François: Consistoire 2015 (février)
6.1.5. Le cas du Noël 2103/2014
6.1.6. Le cas de Pâques 2014
6.1.7. Une période « neutre » : juin/juillet/août 2014
6.2. Les Entretiens : rapports entre journalistes et sources – les difficultés et les possibilités dans la co-construction de l‟agenda du phénomène religieux
6.2.1. Journalistes : entre contraintes et opportunités
6.2.2. Sources d‟information religieuse : entre limitations et investissements
6.3. Interprétation des résultats de l‟Analyse de Contenu et des Entretiens
Conclusion
CHAPITRE 7. L’information journalistique religieuse face au défi de l’environnement numérique : le cas des blogs spécialisés dans la religion (BSR) 380
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
ANNEXE Nº 1 – Grille(s) de l‟analyse de contenu
ANNEXE Nº 2 – Guide(s) des entretiens
ANNEXE Nº 3 – Tableaux d‟AC
ANNEXE Nº 4 – Retranscription Entretiens
ANNEXE Nº 5 – Articles des journaux
ANNEXE Nº 6 – Articles A. Marujo – Público
ANNEXE Nº 7 – Cas du Blog Religionline
ANNEXE Nº 8 – Articles Médias et Religion
RÉSUMÉ
ABSTRACT

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