La place des jeux dans les apprentissages

L’enfant dans les jeux

De nombreux psychologues spécialisés de l’enfance se sont penchés sur la façon dont les enfants apprennent et il est apparu que l’enfant « ne joue pas pour apprendre mais il apprend parce qu’il joue » (Druart & Wauters, 2010). En effet, nous pouvons constater que le jeune enfant passe une grande partie de son temps à jouer.
Ce faisant, il développe toutes les capacités dont il a besoin pour se construire : parole, goût, imaginaire… Il est à noter que l’enfant, voire le bébé, a besoin d’un environnement propice pour que le jeu devienne une réelle source d’apprentissage : un environnement sécurisant, introduit par les parents de ce bébé, lui permettra de trouver un certain plaisir dans le jeu et lui offrira la possibilité de « l’expérimentation non traumatique de l’inattendu et de l’imprévisible » pour s’inscrire pleinement dans la société (Marcelli & Raffeneau, 2012).
Puis, le jeu apparaît comme un élément indispensable au développement des compétences sociales nécessaires à l’entrée dans la société car il s’agit pour l’enfant de tester de manière empirique les règles qui la régissent. Et par la même occasion, les concepts présents dans les jeux peuvent ainsi être «déconstruits mentalement, décomposés en unité plus simple, recombinés, ré-agencés, reconstruits» (Gaussot, 2016), montrant ainsi la possibilité d’intégrer de nouveaux savoirs par le jeu.
En partant de ce postulat, des pédagogues se sont demandés, dans la première moitié du XXème siècle, si l’École ne pouvait pas mieux s’adapter aux enfants en respectant leurs rythmes et leurs manières d’apprendre. Parmi ces pédagogues, on trouve Maria Montessori, médecin et pédagogue qui a étudié les enfants en leur mettant à disposition des jeux. Elle a démontré que celui-ci permettait aux enfants d’être acteurs d’un environnement et de mieux en comprendre les enjeux. Puis, dans les années 1950-1960, Célestin Freinet, un pédagogue a essayé d’imaginer de nouvelles façons d’apprendre de manière à mettre l’élève au cœur des apprentissages.
Ces deux pédagogues se sont inscrits dans ce qu’on a nommé « l’Ecole active » ou la pédagogie active, un courant de pédagogie qui défend l’importance de mettre l’élève en situation d’apprentissage et « permet d’affirmer qu’apprendre ne peut se faire que par l’action du sujet sur son environnement » (Druart & Wauters, 2010). Cette conception moderne de l’apprentissage est une nouvelle façon de penser en amont la pédagogie à mettre en œuvre et de repenser la manière dont l’enfant apprend selon laquelle « seul l’élève peut apprendre, aucun enseignant n’a le pouvoir de le faire à sa place » (Rodriguez, 2010). Mais pour aider à cette transmission par le jeu, il faut mettre en place une situation d’apprentissage propice à cela. C’est ce qui est mis en œuvre principalement dans le premier degré, notamment en maternelle, pour ne pas rompre avec le rythme des enfants et la façon « naturelle » qu’ils ont d’apprendre. Les salles de classes sont aménagées de telle manière qu’elles peuvent intégrer des zones de jeux pour favoriser les apprentissages. Cette façon d’organiser l’espace pour lui donner un sens pédagogique est un aspect important du métier de professeur.

Nouveaux jeux, nouveaux apprentissages

Avant de considérer le jeu en tant qu’outil pédagogique, il est important de noter que ce n’est pas seulement avec les ilots qu’il est réintroduit, mais, aussi et surtout, avec le numérique. En effet, depuis environ 5 ans, et l’impulsion du rapport du parlementaire Jean-Michel Fourgous en 2012, le numérique est devenu une priorité pour l’Éducation Nationale au point de mettre en place le programme « l’École change avec le numérique », qui a pour but d’accompagner les personnels dans la formation, les ressources, l’équipement et l’innovation. Ainsi le numérique apparaît comme un nouvel outil offrant de plus en plus de possibilités, avec, notamment, une industrie du jeu vidéo de loisir en pleine expansion et un engouement de nombreux développeurs dans la création de jeux à visée éducative.
Il est à noter que de nombreux jeux existent actuellement et que toutes les disciplines peuvent être concernées par leur utilisation. C’est dans ce cadre que le Ministère de l’Education Nationale a mis en place une plateforme d’accompagnement consacrée à l’utilisation pédagogique des jeux pour les personnels et les parents. En outre, de nombreuses formations sont disponibles pour les professeurs dans le cadre des Plans Académiques de Formation (P.A.F.), lors de parcours à distance tel que ceux proposés par la plateforme de formation numérique M@gistère, ou d’ateliers dispensés par Canopé, opérateur de l’Education Nationale.
Lors du 24ème Mardi de l’Orme, journée de formation, pour les professeurs, consacrée aux différents usages du numérique, qui s’est déroulé le 25 avril 2017 à Sisteron et ayant pour thématique « jeux, écrans et apprentissage », il est apparu que l’utilisation du jeu en classe pouvait être un réel facteur d’apprentissage dans la mesure où il est considéré comme un outil pédagogique parmi d’autre. Le numérique réinterroge l’antagonisme entre «jeux» et «apprentissage», car, pour, encore, beaucoup de personnels, les jeux ne sont pas suffisamment sérieux pour être utilisés en classe, alors que, l’apport du numérique permet alors de faire travailler les élèves sur cet outil.
En revenant sur des recherches faites sur les écrans, Sarah Lachise a montré que ces derniers peuvent engendrer des troubles cognitifs et des manques de concentration lors d’expositions trop prolongées, et dans un même temps, les jeux permettraient de produire des endorphines et de la dopamine stimulant ainsi la motivation du joueur et sa capacité à mémoriser des connaissances, et, enfin, que l’influence bénéfique des écrans, notamment la faculté d’être multitâches, serait à son comble pendant l’adolescence, puisque, c’est à cette période que les adolescents font vraiment la différence entre le réel et le virtuel et qu’ils peuvent alors se saisir de l’opportunité du numérique : l’ouverture des possibles à l’infini.

Des compétences en jeu

Pour qu’un élève puisse pleinement se saisir de la valeur éducative d’un jeu, il est nécessaire, pour le professeur, de penser en amont les modalités de celui-ci.
Comme vu précédemment, les actions du professeur-documentaliste, en matière d’utilisation des jeux, peuvent être un point de départ pour une réflexion pédagogique commune autour de leur utilisation plus large au sein de l’établissement. Le référent numérique, s’il n’est pas le professeur-documentaliste, peut également porter une réflexion autour de cette thématique. De cette manière, on peut éviter deux écueils : que les élèves identifient le jeu à un seul professeur, et qu’un même jeu soit utilisé par plusieurs professeurs, créant ainsi un désintérêt des élèves pour la session de jeu.
Ainsi, les professeurs peuvent se saisir d’instances au sein de l’établissement pour mener cette réflexion mais aussi penser les cadres d’utilisation. Le conseil pédagogique, qui réunit l’ensemble des coordinateurs de disciplines, est un espace de réflexion commune sur les actions à mettre en place et la manière de penser collectivement sa pédagogie. On peut donc imaginer des professeurs, qui souhaitent déployer le jeu, se saisir de cette instance pour ensuite, en passant par le conseil d’administration, inscrire les actions à réaliser avec les jeux dans le volet éducatif du projet d’établissement.
Néanmoins, des réticences peuvent émerger de la part de plusieurs professeurs car l’utilisation du jeu suppose un temps long de préparation. En effet, les professeurs ne doivent pas se saisir du jeu car c’est un outil pédagogique «à la mode» mais parce qu’il peut apporter une plus-value à leurs enseignements. Et pour la mesurer, il faut que les professeurs testent les jeux disponibles sur différentes plateformes, s’ils veulent utiliser des jeux en ligne, ou qu’ils essayent des jeux de plateau pour en tirer la valeur éducative. S’ils ne trouvent pas de jeux disponibles, ils peuvent alors créer leur propre jeu, mais il faut noter que le temps de création d’un jeu en ligne de relativement bonne qualité demande entre deux et cinq années et un budget très conséquent (entre 20 000 et 200 000 euros). Ainsi, le temps de préparation de séances et de séquences est bien plus important que pour un cours plus traditionnel, surtout si le professeur s’engage dans la création de son jeu. Une autre réticence a été soulevée par des professeurs : la peur de changer sa posture. En effet, lorsque le jeu est utilisé comme un outil pédagogique, le professeur n’est plus celui qui déverse son savoir aux élèves mais il se sert du jeu pour accompagner l’émergence des savoirs par les élèves. Ainsi, le professeur reste le maître du savoir, le maître du jeu pédagogique, en changeant sa posture d’un rapport «frontal», lorsque celui-ci reste nécessaire, à celui d’un accompagnateur. Ce changement de posture s’inscrit pleinement dans la loi de refondation de l’Ecole de juillet 2013 qui a comme visée de rendre l’élève acteur de son apprentissage, le jeu semble alors être un bon outil pour permettre ce changement.

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La formation par le jeu

J’ai tout d’abord voulu tester l’utilisation du jeu dans un cadre pédagogique de formation auprès des élèves. Je me suis servie des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (E.P.I), mis en œuvre avec la réforme du collège en vigueur depuis la rentrée de septembre 2016, qui permettent non seulement de travailler en interdisciplinarité mais aussi de changer ses pratiques d’enseignement. En concertation lors d’un conseil pédagogique, il a été décidé de faire travailler les élèves de l’ensemble du niveau de 5ème sur la thématique de la légende arthurienne, et de leur faire réaliser un abécédaire de celle-ci. Le professeur d’arts plastiques souhaitait traiter de la question des enluminures et nous avons convenu alors de travailler ensemble sur l’histoire de l’écrit et des supports. Cette thématique qui fait partie des compétences de l’EMI, m’a permis d’inscrire, à la fois, mon action dans l’interdisciplinarité de la thématique EPI mais aussi d’asseoir mon statut de professeur auprès des élèves.
J’ai donc cherché une manière de travailler avec les élèves l’histoire de l’écrit et des supports sans que cela ne soit trop magistral dans un rapport frontal : je voulais mettre les élèves en situation de construction de leur savoir et pourquoi pas utiliser un jeu.
Ne trouvant pas de support de jeu disponible, aussi bien en ligne que physique, j’ai donc créé mon propre jeu de carte sur le modèle de Time Line©. Cette opération m’a demandée beaucoup de temps dans la mesure où il m’a fallu trouver le bon format de carte, ainsi que des images libres de droit correspondant au contenu des cartes, qui devait être concis. Mon objectif de séance était de faire en sorte que les élèves aient un aperçu assez rapide, en quinze dates, de l’évolution des techniques d’écriture.
Lors de cette séance de jeu, en co-animation, avec toutes les classes de 5ème, nous avons divisé la classe en trois ateliers : un premier sur le jeu de cartes, un second sur les clés du livre et un troisième sur les constituants d’un abécédaire. Je me suis particulièrement occupée du premier, mon collègue d’arts plastiques du troisième et nous nous sommes partagés le second atelier. Au cours de la session de jeu, j’ai pu observer que tous les élèves ont été particulièrement motivés et totalement « enrôlé » par la tâche qui été la leur : trouver les dates des différentes étapes de l’écrit et des supports.
Mais au-delà de la motivation, j’ai constaté que les élèves s’entraidaient pour terminer le jeu dans le temps imparti de 10 – 15 minutes, pour chaque atelier, mais surtout que certains élèves développaient un raisonnement logique pour faire correspondre la bonne carte avec la bonne date, n’hésitant pas à reprendre leurs camarades pour arriver aux bonnes réponses. Lorsque nous sommes passés à la correction collective, les élèves avaient très envie de savoir s’ils avaient trouvé les bonnes réponses et quand c’était le cas, on pouvait voir leur fierté d’avoir réussi l’activité. Cette observation est d’autant plus importante pour les quelques élèves qui ont des difficultés scolaires et ne sont pas très «performants» à l’école. En effet, j’ai pu constater chez certains d’entre eux une plus grande fierté encore que chez les autres.

L’accueil repensé

Tous les lundis et les jeudis, je mets à disposition de tous les élèves un des jeux prêtés par la ludothèque de Puyricard ou un jeu personnel pour leur proposer une autre activité que les habituels travaux personnels, recherches documentaires et lectures.
Cette activité permet aux élèves « captifs » du collège, à cause des bus scolaires qui ne passent qu’une fois le matin et ne récupèrent les élèves qu’à 16h ou à 17h, d’avoir un éventail de possibilités aussi bien entre le service de vie scolaire que le CDI.
L’espace de jeu est installé dans un coin assez calme du CDI, où les élèves sont un peu isolés, afin de leur permettre de jouer assez naturellement sans déranger les autres élèves qui souhaitent travailler dans le calme. Je ne signale pas que le jeu est installé pour éviter d’avoir trop de demandes au risque de ne pas satisfaire tous les élèves intéressés. Une fois que des élèves se sont positionnés en tant que joueurs, je les laisse découvrir par eux-mêmes le jeu et si je m’aperçois que l’entrée dans celui-ci est un peu longue, je vais les voir pour leur proposer d’expliquer la règle du jeu. Les élèves ont également pour consigne de remettre le plateau de jeu tel qu’ils l’ont trouvé en arrivant pour les prochains élèves qui veulent jouer et de vérifier que le matériel est complet, en le disposant de telle sorte que je puisse contrôler l’opérationnalité du jeu pour l’heure suivante.
J’ai constaté au début de la mise en place de cette action que les élèves n’allaient pas naturellement vers le jeu disposé à la vue de tous, et certains m’ont posé la question « C’est pour faire quoi le jeu ? », ce à quoi je répondais tout simplement qu’il était là pour qu’ils puissent jouer et que s’ils le souhaitaient, je pouvais leur expliquer les règles. Mais au fil du temps, j’ai remarqué que les élèves se sont habitués à avoir cette activité au CDI au point de me demander quel jeu était disponible quand j’allais les chercher dans la cours de récréation à chaque début d’heure. Ensuite, j’ai noté que les élèves passaient beaucoup moins de temps sur les ordinateurs sur lesquels, parfois, ils allaient plus pour vagabonder que travailler. En se détachant des outils numériques, il y a un réel lien qui s’est créé entre les élèves joueurs, et ce sont souvent les mêmes qui sont demandeurs des jeux. En complément, j’ai observé que les élèves joueurs respectaient le calme du CDI, malgré quelques moments d’excitation générés par le jeu, permettant à chacun de profiter au mieux du lieu qui combine plusieurs espaces.

Table des matières

Introduction
1. La place des jeux dans les apprentissages
1.1. L’enfant dans les jeux
1.2. Nouveaux jeux, nouveaux apprentissages
1.3. Des compétences en jeu
2. Un jeu d’actions
2.1. La formation par le jeu
2.2. L’accueil repensé
2.3. Analyses des actions menées
Conclusion
Références Bibliographiques
Sommaire des annexes
Annexe I – Représentation d’une classe avec des zones de jeu (Druart & Wauters, 2010)
Annexe II – Tableau des catégorisations des jeux (Alvarez, Djaouti, & Rampnoux, 2016)
Annexe III – Classification des jeux (Druart & Wauters, 2010)
Annexe IV – Planche de cartes « Histoire de l’écrit et des supports »
Annexe V – Création d’un jeu – phase de réflexion
Résumé 

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