La photogrammétrie appliquée à l’archéologie minière premiers essais
La photogrammétrie est une technique qui permet de reconstituer une scène en 3 dimensions à partir d’une série de photographies. Dès 1859, A. Laussedat expose les principes de cette technique devant l’Académie des Sciences4 . Ce procédé est aujourd’hui utilisé depuis de nombreuses années par l’Institut Géographique National pour produire des cartes topographiques à partir de photographies aériennes. Cependant, les protocoles jusqu’alors mis en œuvre étaient extrêmement lourds. Le relevé en trois dimensions des informations topographique devait être réalisé à la main par un opérateur. Aujourd’hui avec le développement important de la photographie numérique ainsi que de la puissance des ordinateurs, la production de données tridimensionnelles à partir de photographies peut être presque complètement automatisée. En archéologie minière, l’accès à des données tridimensionnelles est un apport particulièrement important dans la mesure où une mine se développe, et donc se comprend, dans l’espace. À partir d’une modélisation en trois dimensions, il est possible d’extraire des données jusqu’alors collectées à partir de relevés archéologiques en plan. Cependant, aux relevés de section de galerie, de profil de front de taille et de traces d’outils, on peut maintenant ajouter des informations concernant les volumes extraits et l’organisation des chantiers. En outre, la modélisation 3D peut être utilisée dans un but de valorisation et permettre de présenter au public des lieux difficiles d’accès, voire devenus inaccessibles. Finalement, compte tenu de la sa simplicité, cette méthode de relevé présente un grand intérêt à être mise en œuvre en mine puisqu’elle nécessite seulement l’utilisation d’un appareil photo, d’un flash et d’une mire de référence spatiale. L’objectif initial des campagnes organisées en 2011 est de vérifier la possibilité d’appliquer pour la première fois les méthodes photogrammétriques en archéologie minière5 . Les conditions de prise de vue notamment en termes d’espace limité et d’éclairage inexistant peuvent a priori représenter un inconvénient important. Le second point qui doit être vérifié concerne la précision des modèles tridimensionnels produits. Ceux-ci pourront être utilisés dans une discussion scientifique seulement si leur précision est au moins équivalente à celle des relevés jusqu’alors réalisés en plan à l’échelle 1/20. Enfin, elle a été appliquée à différents cas d’étude propre à l’étude des mines anciennes. Les essais de 2011 se sont principalement déroulés à Sainte-Marie-aux-Mines (68) dans le cadre du PCR « Altenberg : fonderies et mines d’argent, Xe -XVIIe siècles », mais également à Melle (79) dans le cadre du PCR « Paléométallurgie et expérimentations » et au cours du chantier du Castel-Minier à Aulus (09).
Principe de la méthode
Le principe général de la technique photogrammétrique peut être décrit simplement à partir d’une analogie avec la vision humaine. À l’image du cerveau qui permet d’appréhender l’espace à partir des images décalées de chacun des deux yeux, un logiciel peut calculer la position de points dans l’espace en comparant deux photos d’une même scène prises de deux points de vue différents. Il faut donc retenir ici qu’il est nécessaire de prendre en photo au moins deux fois un même point pour qu’il soit placé dans l’espace après traitement informatique. Il n’y a en revanche pas de limite supérieure vis-à-vis du nombre de prises de vue. Au contraire, la multiplication des photos permet d’augmenter la précision globale d’un modèle ainsi que de faciliter le traitement informatique en ajoutant des données complémentaires au modèle.
Protocole expérimental
Prises de vue sur le terrain
L’une des finalités de nos campagnes photogrammétriques étant de vérifier la précision des données tridimensionnelles qu’il est possible d’obtenir par la technique photogrammétrique en mine, il a été décidé d’utiliser un appareil photographique haute résolution. Nous avons utilisé le boitier reflex numérique 5D mark II de marque Canon . Il dispose en effet d’un capteur de 21,1 millions de pixel de grande dimension (24 mm x 36 mm). En outre, sa grande sensibilité en faible lumière sans augmentation trop importante du bruit numérique constitue un grand avantage dans le cadre de prises de vue souterraines. Toutes les photos sont enregistrées au format raw de manière à collecter le maximum d’information sur le terrain. Toute l’information de prise de vue est ainsi conservée. Ceci permet de réaliser d’éventuelles corrections d’exposition lors du développement des fichiers de retour au laboratoire. En ce qui concerne l’objectif, l’utilisation d’un grand angle a été privilégiée, car elle permet de limiter de nombre de photos à prendre pour couvrir la totalité d’une scène. Cet avantage est particulièrement important lors de la modélisation d’espaces exigus propres à la mine. Nous avons utilisé l’objectif Canon EF 17-35mm f/2.8. Les distordions et effets de perspective propres à cet objectif sont corrigés lors du traitement informatique photogrammétrique (orientation interne, cf. infra). La seule source d’éclairage que nous avons retenue est un flash monté sur l’appareil photo. Il s’agit du speedlite 430exII de marque Canon. Contrairement aux protocoles habituellement préférés en conditions souterraines, l’utilisation ici d’une source unique proche de l’objectif ne représente pas un inconvénient. En effet, si les photos produites n’ont pas un rendu esthétique important puisque les ombrages dessinant les reliefs sont presque inexistants, elles ont en revanche l’avantage d’enregistrer la totalité des informations radiométrique d’une scène modélisée. Le relief sera obtenu dans un second temps lors du traitement photogrammétrique des photos. En définitive, l’achat de ce matériel réduit représente un investissement de l’ordre de 3000 euros. Ce qui est très inférieur au coût d’un lasergrammètre qui dépasse les 50000 euros. À cet équipement très limité qui peut être facilement transporté dans un kit spéléologique, nous avons ajouté une mire spatiale. En photogrammétrie de surface, il est possible d’orienter et de mettre un modèle tridimensionnel à l’échelle en relevant seulement trois points à l’aide d’un tachéomètre. En souterrain, il n’est pas possible d’utiliser simplement un tachéomètre en particulier pour des raisons d’accessibilité. C’est pourquoi nous avons développé une mire spécialement pour la photogrammétrie en milieu souterrain (Figure 1). Figure 1 : Mire de référence spatiale en situation, placée à l’horizontale et orientée au nord avant d’être modélisée dans la scène enregistrée. Il s’agit d’une plaquette articulée par une rotule sur un trépied. Sur le plan ainsi formé, une mire présente trois points de références (Figure 2). C’est à partir de ces trois repères qu’il est ensuite possible de réaliser les opérations de mise en l’échelle et d’orientation lors de la production du modèle 3D. D’autres symboles sont également représentés sur la mire afin qu’elle ait une texture suffisante pour être modélisée par le logiciel. En effet, si elle présentait une surface uniforme, l’algorithme de calcul ne serait pas capable de la situer dans l’espace dans la mesure où il n’arriverait pas à trouver des points semblables de la surface entre les photographies. Figure 2 : Mire de référence. Avant de photographier la scène qui doit être modélisée, la mire spatiale est installée dans l’espace qui doit être enregistré. Un niveau à deux axes permet disposer le plan de plaquette à l’horizontale. Une boussole est ensuite utilisée pour orienter vers le nord un axe de référence représenté sur la mire. Après cette installation, la série de prise de vue peut être mise en œuvre en commençant par photographier la mire sous différents angles (Figure 3). C’est en effet à partir de ces premières photos que le logiciel de photogrammétrie pourra reconstituer le plan de référence de la plaquette dans le modèle produit.