Nous nous intéressons au processus qui permet de passer efficacement de l’invention à l’innovation soit d’imaginer, de concevoir, de choisir, de créer, de développer le marché pour cette invention.
Selon Schumpeter, l’innovation représente la mise sur le marché et/ou l’intégration dans un milieu social d’une invention. L’innovation et l’invention sont donc deux concepts à dissocier étant donné que l’invention se définit comme la conception de nouveautés d’ordres différents (Schumpeter, 1942). Nous nous inscrirons dans ces définitions pour notre recherche.
Les humains n’ont jamais cessé d’inventer et d’innover. Cependant, une meilleure compréhension et la maîtrise des mécanismes d’introduction d’une innovation deviennent une nécessité. Ceci serait particulièrement vrai au moment où le monde globalisé s’interroge sur des enjeux majeurs. Pour ne citer que deux d’entre eux, la nécessité d’accéder à d’autres formes d’énergie et le respect des équilibres qui constituent notre environnement, font partie de ces enjeux. Le temps semble aussi être une contrainte grandissante. A mesure que nous prenons conscience collectivement que certaines de nos ressources sont limitées et que nos modes de vie sont menacés, le temps qui s’écoule est perçu en notre défaveur. Il semblerait aussi que le cycle de ces innovations s’accélèrent et que celui-ci devienne plus rapide que le cycle traditionnel des générations (Challamel, 2008).
Nos sociétés ont besoin non seulement d’inventer des technologies, des idées, mais surtout d’introduire, avec une nécessité perçue comme accrue, ces inventions dans nos organisations humaines. Un marché est l’une des formes d’organisation sociale qu’il nous faut tout particulièrement comprendre face à ce nouveau défi. Plus encore que par le passé, il est utile de développer des connaissances pour comprendre comment introduire les inventions dont le monde a besoin aujourd’hui. Bien évidemment, pour tempérer cette exigence, il est nécessaire de considérer des inventions qui résolvent plus de problèmes qu’elles n’en créent. Cependant, ceci n’est pas notre propos.
L’innovation participe d’une modification de l’état d’une organisation qui préexistait dans un mouvement de destruction créatrice (Schumpeter, 1942). Il n’est donc pas surprenant de considérer que certains souhaiteront s’en emparer et que d’autres n’y ont pas intérêt. Pour nous en convaincre, laissons-nous aller à imaginer ce que représenterait la possibilité de remplacer l’essence de nos automobiles par de l’eau salée avec un moteur adapté à ce nouveau carburant. Sous réserve d’une technologie maîtrisée, ne serait-ce pas utile de remplacer un carburant extrait du pétrole, de plus en plus cher, de moins en moins disponible et de surcroît polluant ? L’eau salée étant une ressource disponible, non polluante et pas chère, serait-il pour autant facile d’introduire le moteur à eau salée dans l’organisation actuelle de nos sociétés ? Il est fort probable que cela ne soit pas le cas, car beaucoup n’y ont pas intérêt, à commencer par ceux qui tirent leur revenu du pétrole.
D’autre part, les échecs lors de la création d’entreprise sont nombreux. Cinq ans après la création, seulement une entreprise sur deux a survécu (Papin, 2001). Parmi les causes d’échec du lancement d’une innovation, une étude empirique intitulée « A cross-European Analysis of Failure Cases » (Druilhe, 2004) nous renseigne sur le fait que la difficulté d’appréhension du marché serait la principale cause d’échec. Ce résultat est le fruit d’une comparaison des causes d’échec d’un projet, comme le financement de l’amorçage ou la constitution d’une équipe capable de porter le projet de création. Des résultats du projet européen TEEE-Inn (2002 – 2005) , dont l’étude empirique sur les causes de l’échec est issue, précisent que ce n’est pas toujours l’absence d’un marché potentiel pour l’invention qui serait la cause de l’échec. Il s’agirait davantage de la difficulté pour un entrepreneur à comprendre son environnement, les règles qui régissent son fonctionnement, ainsi qu’à repérer et accéder aux acteurs clés du marché. Il semble que les entrepreneurs qui ont l’expérience du secteur soient avantagés dans cette tâche, voyant leur chance de succès augmentée (Roberts et al. 2009 ; Dahl et Reichstein, 2007 ; Delmar et Shane, 2006). Pour éviter les échecs, la question du « Management de l’Information Marketing » (MIM) est un sujet sur lequel la jeune entreprise doit se concentrer (Ormerod et Hiscocks, 2003).
D’autres recherches ont révélé que les lancements de nouveaux produits ont une probabilité de succès très faible. Seulement un produit sur trois mille idées de nouveaux produits est un succès (Stevens Greg et Burley 1997).
D’autres auteurs soulignent les limites et la difficulté d’appliquer des méthodes de pilotage de la création d’entreprises innovantes (Cohen et Levinthal, 1990). Enfin, des auteurs suggèrent la nécessité d’avoir une nouvelle approche du processus de transformation de l’invention et de l’idée d’entreprendre en projet d’entreprise viable (Millier, 2002 ; Bernasconi, 2006).
À partir de ce constat, il est naturel de se demander comment mieux « équiper » l’entrepreneur pour faciliter sa réflexion. D’autre part, la littérature existante ne propose-t-elle pas un cadre théorique permettant d’accompagner la dynamique de conception d’une innovation. Nous entendons l’expression « concevoir une innovation » comme le passage de l’invention à l’innovation. Ce cadre théorique que nous recherchons définirait une connaissance actionnable ou au minimum ses fondements. Sans en exagérer la portée, ce cadre devrait permettre de définir une méthodologie applicable au contexte particulier pour lequel elle aura été conçue.
En effet, si ce cadre théorique existe, il n’aurait bien sûr une pertinence que si ce dernier pouvait être accessible aux entrepreneurs potentiellement porteurs d’une innovation. C’est alors que les innovateurs disposeraient d’un cadre logique de conception de leur innovation. En effet, ce cadre logique ne reposerait pas uniquement sur des représentations mentales personnelles ou des intuitions empiriques. Si cette connaissance actionnable existait, elle répondrait au besoin identifié dans le cas de la création d’entreprise technologique (Projet TEEE-Inn, 2002 – 2005).
Concernant l’accompagnement d’un entrepreneur au sein d’un incubateur, nous n’avons pas trouvé d’outil permettant une démarche d’analyse ou offrant un cadre conceptuel, qui :
• décrive l’environnement informationnel de l’entrepreneur,
• et favorise l’émergence d’heuristiques pour supporter le processus de décision.
Or, selon Walsh (1995) et Brännback et Carsrud (2010) l’environnement informationnel d’un entrepreneur peut se représenter sous la forme de cartes de catégories ou taxinomies cognitives. Ces cartes offrent la possibilité de catégoriser l’univers informationnel d’un innovateur. Dans ses travaux, Walsh encourage la recherche de formes de la connaissance que mobilisent les décideurs en précisant que cette tâche est atteignable. C’est dans cette perspective que nous recherchons une taxinomie des composants de l’environnement informationnel dans lequel sont plongés l’entrepreneur et son chargé d’affaires et construisons, à partir de là, une démarche d’analyse.
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