La personnalité : une nouvelle implication pour le cervelet
Les atteintes du cervelet sont habituellement associées à une altération de la coordination motrice, dont la sémiologie comprend des troubles de la marche, de l’équilibre (ataxie) et de la posture, des troubles de la coordination des membres inférieurs et supérieurs, de l’hypotonie, de la dysarthrie ainsi que des troubles de la déglutition (Villanueva, 2012). Cependant, une nouvelle hypothèse concernant l’implication du cervelet dans les fonctions non-motrices (comme la personnalité) gagne en popularité dans la communauté scientifique depuis quelques années. En effet, plusieurs études récentes soulèvent la participation du cervelet dans les processus cognitifs et affectifs (Lagarde, Hantkie, Hajjioui, & Yelnik, 2009; Schmahmann, 2004; Schmahmann & Sherman, 1998; Stoodley & Schmahmann, 2010; Wolf, Rapoport, & Schweizer, 2009).
Certains auteurs, dont Lagarde et ses collaborateurs (2009), ont posé l’hypothèse selon laquelle des particularités affectives seraient liées aux atteintes du cervelet, et donc, que des lésions cérébelleuses pourraient être responsables de difficultés d’adaptation lors de situations sociales. Le syndrome cognitivo-affectif cérébelleux (SCAC) a été proposé par Schmahmann et Sherman (1998) afin de référer aux altérations cognitives (troubles exécutifs incluant la flexibilité mentale, la capacité de planification et la mémoire de travail; difficultés au plan de la fluidité verbale; problématiques au niveau de l’organisation visuo-spatiale, du raisonnement logique, de l’abstraction mentale, de l’attention, de la vitesse de traitement de l’information) et affectives (émoussement affectif; apathie; manque d’empathie; des difficultés d’inhibition affective et comportementale; la présence de traits obsessifs et compulsifs; irritabilité; impulsivité) observées chez des personnes ayant des lésions cérébelleuses.
De plus, il semblerait que les patients cérébelleux présenteraient des problématiques émotionnelles et de la détresse psychologique de manière plus marquée que les patients non-cérébelleux (Schmahmann, 2004). La détresse psychologique est définie par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) (American Psychiatric Association, 2015) comme étant une « gamme de symptômes et d’expériences de la vie interne d’une personne qui sont communément considérés inquiétants, déroutants, ou hors de l’ordinaire » (p.965). Dans des recherches menées auprès de patients ayant une ataxie spinocérébelleuse dégénérative, Schmahmann (2004) a démontré que la dépression était une problématique récurrente. Il serait possible que les atteintes cérébelleuses puissent être, à elles seules, responsables d’au moins accentuer les états de détresse psychologique des personnes atteintes de ce type de maladie (Schmahmann, 2004) .
Une étude récente (Verhoeven et al., 2012) s’est intéressée au SCAC chez deux frères atteints d’un type d’ataxie cérébelleuse, soit l’ataxie récessive spastique de Charlevoix-Saguenay (ARSCS). Selon leurs résultats au plan affectif, les atteintes cérébelleuses semblaient toucher particulièrement les émotions (affects) et la motivation. Concernant les affects, les deux participants de cette étude ont démontré des réponses cognitives et émotionnelles réduites en fonction des événements et de l’environnement. Au plan motivationnel, Verhoeven et al. (2012) indiquent que le manque de motivation pourrait expliquer plusieurs de leurs difficultés, telles que le manque d’effort, de persévérance et de planification d’actions (activités). De même, la présence d’impulsivité et d’interactions sociales appauvries par une indifférence émotionnelle étaient soulevées. Les auteurs concluaient donc que les atteintes non motrices de l’ARSCS (motivationnelles et affectives), au même titre que les atteintes motrices, s’inscrivaient parmi la symptomatologie de la maladie. Cependant, bien que les conclusions de cette étude soient intéressantes, des limites méthodologiques importantes étaient relevées. En effet, le faible nombre de participants (c’est-à-dire deux frères) ne permettait pas la généralisation des résultats au sein de la population ARSCS. Ensuite, la mutation génétique des participants de cette recherche était différente de celle retrouvée chez 97 % des patients des régions de Charlevoix et du Saguenay–Lac-Saint-Jean (Engert et al., 2000). Ce dernier élément représentait une limite importante puisqu’il a été démontré que le fonctionnement cognitif variait lorsque les patients ataxiques présentaient des mutations génétiques différentes (Takiyama, 2006). Pour ces raisons, il est pertinent de réaliser une étude s’intéressant aux aspects affectifs de l’ARSCS auprès d’un plus grand nombre de patients qui présentent la même mutation génétique que celle largement répertoriée dans la région.
Qu’est-ce que l’ataxie récessive spastique de Charlevoix-Saguenay? Épidémiologie
L’ARSCS est un syndrome d’ataxie spastique qui a été identifié pour la première fois en 1978 par Bouchard et ses collaborateurs (Bouchard et al., 1978). Ces chercheurs ont préalablement isolé ce syndrome dans les régions de Charlevoix et du Saguenay– Lac-Saint-Jean (SLSJ), où 1 individu sur 22 serait porteur du gène responsable de l’apparition de la maladie (Bouchard et al., 1978; De Braekeleer et al., 1993). Durant les années 1990, l’incidence était de 1 enfant atteint sur 1932 naissances (De Braekeleer et al., 1993; Giasson, 1992). À l’heure actuelle, plusieurs formes d’ataxies équivalentes à l’ARSCS (en terme de phénotypes et caractéristiques) ont été répertoriées dans d’autres pays, tels que la Belgique (Ouyang et al., 2008), l’Italie (Criscuolo et al., 2004), l’Espagne (Criscuolo et al., 2005), le Japon (Takado et al., 2007), la Tunisie (Bouhlal, El Euch-Fayeche, Hentati & Amouri, 2009) et la Turquie (Richter, Ozgul, Poisson & Topaloglu, 2004). De ce fait, les recherches concernant cette maladie ont maintenant des retombées internationales.
Génétique
Mode de transmission. L’ARSCS est une maladie héréditaire transmise par mode autosomique récessif, c’est-à-dire qu’un individu est atteint seulement lorsque deux copies de gènes défectueux lui sont transmises. Un individu dit « porteur » ne possède qu’une copie du gène défectueux. Il ne présente ainsi aucun signe de la maladie et ne la développera jamais, mais risque de transmettre ce gène à ses enfants. À chaque grossesse, deux parents porteurs du même gène défectueux ont 25 % de probabilité d’avoir un enfant atteint, 50 % de probabilité d’avoir un enfant porteur non atteint et 25 % de risque d’avoir un enfant non porteur du gène de la maladie (Bouchard et al., 1978).
Marqueur génétique. Les mutations génétiques associées à la maladie se situent sur le chromosome 13 (13q11), nommé SACS. Ce gène est responsable de la fabrication de la protéine sacsine, qui joue un rôle important dans le fonctionnement des neurones du système nerveux central. La protéine sacsine étant localisée dans les mitochondries, une perturbation ciblée de cette protéine conduit à des altérations morphologiques et de la fonction mitochondriale, compromet l’organisation dendritique et provoque la mort des cellules neuronales (Girard et al., 2012).
Les mutations génétiques responsables de l’ARSCS sont donc liées à un dysfonctionnement mitochondrial, responsable de l’atrophie cérébelleuse observée chez les personnes atteintes. Plus précisément, une altération marquée dans les champs dendritiques ainsi qu’un défaut morphologique des mitochondries dans les cellules de Purkinje du cervelet provoquent la mort de ces cellules neuronales (Girard et al., 2012). Ces éléments expliquent les symptômes moteurs de l’ARSCS (ataxie des membres supérieurs et inférieurs, spasticité, dysarthrie) (Bouchard et al., 1978) et soutiennent l’hypothèse de la présence du syndrome cognitivo-affectif cérébelleux (Verhoeven et al., 2012).
L’identification du gène mutant permet le dépistage des porteurs au sein de la population générale, en plus d’un diagnostic précoce confirmé par l’analyse génétique (Engert et al., 2000; Richter et al., 1999). Alors qu’il existe plusieurs mutations génétiques de l’ARSCS, les ataxiques provenant des régions de Charlevoix et du SLSJ présentent une homogénéité importante en ce qui concerne leur mutation génétique : 97 % des personnes atteintes présentent une mutation identique, soit c.8844delT (Engert et al., 2000) .
Introduction |