La personnalité de la marque du concept à la mesure

La personnalité de la marque du concept à la mesure

Présentation des principales définitions et échelles existantes

Le travail séminal de J. Aaker (1995, 1997) a été déterminant dans l’avancée de l’étude de la personnalité des marques. Cet auteur a, en effet, essayé de construire une échelle de personnalité de la marque en suivant la démarche des psychologues qui ont travaillé sur la mesure de la personnalité humaine. Elle suit en particulier les recherches des psychologues qui ont mis en évidence l’existence de cinq dimensions résumant la personnalité (le modèle des Big Five ou encore Five Factor Model). Plus précisément, Aaker (1997) (ainsi que Ferrandi et al. (1999), et Koebel et Ladwein (1999) qui ont mené une réplication de l’étude de J. Aaker en France), se placent dans le sillon des psychologues américains tels que Costa et McCrae qui ont adopté une approche lexicale et dont l’inventaire de personnalité (NEO-PI-R) est reconnu, traduit et adapté au contexte français (Rolland, 1992). Aaker a exploré les dimensions de la personnalité de la marque sur la base de 114 adjectifs (ou traits) et à travers 37 marques recouvrant diverses catégories de produits. Elle aboutit à une solution en cinq dimensions décrite dans la Table 2 (la méthodologie adoptée par Aaker (1997) sera examinée plus en détail dans la section consacrée à l’analyse factorielle). Seules trois des cinq dimensions correspondent plus ou moins à des dimensions du modèle Big Five existant en psychologie. Ces trois dimensions sont celle de Sincérité, d’Excitation et de Compétence (pour une partie). Les deux dimensions qui sont spécifiques à l’étude d’Aaker, mais qui ne recouvrent pas vraiment des dimensions existantes en psychologie, sont celles de Sophistication (pour partie avec des items tels que “upper-class”), et Rudesse. Cette étude a été répliquée et adaptée au cas français (Ferrandi et al. 1999). Là, des modifications ont été opérées afin de rendre compte de la spécificité du contexte français. La Table 2 ci-après montre également les principales échelles de mesure de la personnalité de la marque existant à ce jour. Pour plus de détails sur les échelles de personnalité de la marque La personnalité de la marque du concept à la mesure 46 existantes, voir Annexe 2. Notons que depuis cette première recherche américaine, deux courants sont nés en France: d’une part les recherches qui traduisent et adaptent au contexte français l’échelle américaine (Ferrandi et al., 1999 ; Koebel et Ladwein, 1999), et d’autres part les recherches qui partent des marqueurs des Big Five, les traduisent en français et les appliquent directement aux marques (Ferrandi et Valette-Florence, 2002). Ces deux courants ont abouti à des échelles différentes et pourtant basées sur la même définition : celle proposée par Aaker (1997). L’Annexe 3 présente les processus de construction de différentes échelles de personnalité de la marque et les dimensions qui les constituent. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les travaux d’Aaker sur la personnalité de la marque sont basés sur sa définition extrêmement englobante du concept: la personnalité de la marque est entendue comme étant « l’ensemble des caractéristiques humaines associées à une marque ». Quasiment tous les travaux sur ce thème qui ont suivi en France ou aux EtatsUnis se basent explicitement ou implicitement sur cette définition, ou du moins ne la remettent pas en question. Tous ces travaux ont donc la même base conceptuelle. Se pose alors la question de savoir si les échelles existantes de personnalité de la marque sont valides. Que mesurent-elles en fait sous ce vocable ?

Les échelles existantes de mesure de la personnalité de la marque sont-elles valides ?

La validité de construit

Nous avons souligné que la définition utilisée par Aaker (1997) est en quelque sorte le descendant direct d’une approche englobante que les praticiens du marketing ont du concept de personnalité de la marque : une notion en contrepoint (bien pratique) qui recouvre tous les aspects de la marque qui ne sont pas liés au produit. La définition proposée est relativement vague et ne résulte pas d’une conceptualisation de la notion de personnalité de la marque en regard des concepts connexes que sont l’identité et l’image de la marque. De même qu’en psychologie « une théorie de la personnalité requiert plus qu’une taxonomie descriptive des traits »13, une théorie de la personnalité de la marque requiert une théorisation plus puissante qui repose sur le concept existant de personnalité en psychologie d’une part, et qui montre où se place le construit de personnalité de la marque par rapport à ceux, plus ou moins bien définis dans la littérature, d’identité et d’image de marque. Ces remarques nous poussent à poser la question de la validité de construit de la personnalité de la marque telle que définie et mesurée par Aaker (1997) et par les recherches subséquentes qui s’en inspirent. Le problème posé par la définition d’Aaker (1997) est qu’elle va au-delà de la personnalité, mais englobe des dimensions qui ne relèvent pas de la personnalité. Alors que les psychologues ont passé des décennies à tenter de définir précisément ce qu’est la personnalité, à en exclure les notions de genre, de classe sociale, d’apparence physique et de jugement, la définition proposée par Aaker ne tient pas compte de la rigueur des résultats de ces recherches, et elle risque d’entraîner un abus de langage par l’utilisation du terme de personnalité de la marque. Si Allport (1937) a consacré un chapitre entier au problème de définition du concept de personnalité, et tout le reste de l’ouvrage à la conceptualisation de la notion de personnalité, c’est parce que l’étape de définition et de conceptualisation est longue,et est cruciale dans la naissance d’un concept. Allport a examiné 49 définitions, avant de proposer la sienne. Il en a rejeté bon nombre parce qu’elles lui semblaient trop vagues ou incomplètes. Avant de proposer notre définition du concept de personnalité de la marque, nous proposons d’étudier celle existante, et d’en montrer les insuffisances. Quoi qu’il en soit, une bonne définition doit permettre de délimiter précisément ce qui entre dans le périmètre du concept et ce qui en est exclu (Churchill, 1979, p. 67). La définition du concept est à la base de la construction de l’échelle, ainsi, si elle n’est pas assez précise, l’échelle ne sera probablement pas valide dans son contenu (content validity). D’ailleurs, la plupart des articles de références sur la méthodologie de construction d’échelle en marketing mettent en avant la nécessité d’une forte conceptualisation de la notion en question avant toute génération d’items visant à mesurer le concept étudié (cf. Churchill, 1979 ; Malhotra, 1981 ; et Rossiter, 2002, entre autres). Les construits diffèrent les uns des autres par leur capacité à décrire et à donner du sens à des phénomènes théoriques intéressants. Certains sont amenés à durer, d’autres à être améliorés, ou éliminés à mesure que les connaissances avancent (Edwards et Bagozzi, 2000, p. 157). Si nous voulons que le concept de personnalité de la marque ait du sens et qu’il soit amené à durer, il faut être précis et le dissocier des concepts existants et connexes, et en montrer l’intérêt. C’est pourquoi la définition du concept est critique et doit être bien réfléchie. Elle est à la base de la validité de construit. Cependant, il ne faut pas oublier que la définition n’est pas une fin en soi, mais un moyen (Churchill 1979, p. 67). C’est le premier pas vers la mesure du concept. Elle sert à savoir quel est le phénomène étudié, quelles en sont les limites, et comment ce phénomène va pouvoir être mesuré. En ce sens, la définition est une étape critique mais n’est que la première étape de la construction de l’outil de mesure.  

Les items problématiques des échelles existantes

La plupart des échelles existantes reproduisent celle d’Aaker (1997) et comportent souvent des items et des concepts dont la pertinence pour décrire la personnalité des marques doit être remise en question. a) L’item « compétence » L’item de compétence fait référence à un savoir-faire, à la performance, à la maîtrise d’une technique (dans le cas des marques), ou à une capacité à faire quelque chose, à mener à bien un projet. Or, comme l’explicite la définition de concept de personnalité en psychologie, le courant des Big Five exclut tous les items relatifs aux capacités cognitives. C’est sur ce courant et cette définition que nous appuyons notre définition et notre réflexion. La plupart des psychologues excluent des tests de personnalité la notion d’intelligence en tant que capacité cognitive. Il n’existe un consensus que sur les trois premières dimensions apparaissant dans l’étude de Costa et McCrae (1985) (labellisées par ces auteurs Neuroticism, Extraversion, et Openness mais différemment par d’autres auteurs). De plus, sur la base de leurs résultats et de la littérature antérieure, Costa et McCrae ont montré que la distinction suivante pouvait être soutenue: “L’intelligence mesurée par auto-évaluation ou par évaluation des pairs [dans les échelles de personnalité] est distincte des capacités cognitives mesurées de manière psychométrique, et est très proche du caractère consciencieux. (…) [Il n’y a que] des corrélations modérées (de .23 à .36) entre la configuration de l’indice d’intelligence et la mesure du QI. Il apparaît que nous attribuons l’adjectif intelligent aux individus qui sont productifs, bien organisés ou intellectuellement efficace (Gough, 1968) même si la mesure de leur capacité peut ne pas être proportionnelle. (…) Dans tous les cas, il semble clair que les capacités mentales sont liées (bien que distinctes) à l’ouverture aux expériences.”14 Notons que les adjectifs « productif » (productive), « organisé » (well-organized), ou « efficace intellectuellement » (intellectually efficient) utilisés dans cette définition sont bien applicables aux marques mais pas dans le cadre de la personnalité (ces items sont donc applicables mais non pertinents), car ils font référence à d’autres notions dans le cadre de l’entreprise. De manière assez évidente, « productif » fait référence à la performance de l’outil de production de l’entreprise plus qu’à un aspect immatériel de la marque. Cette ambiguïté ne présentera pas si l’on a adopté au préalable une définition stricte de la personnalité des marques comme nous l’avons préconisé et précisé plus haut. En conséquence, il nous semble qu’il est préférable de ne pas inclure l’item « compétente » dans le pool initial d’items décrivant de manière pertinente la personnalité de la marque.

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