La peinture murale face aux mutations de l’architecture impériale
Le choix de la fin du Ier s. comme point de départ de la recherche a donc obéi à des considérations historiographiques mais également historiques. Cette période et, en particulier, la peinture murale face aux mutations de l’architecture impériale 28 le règne de Domitien, correspondent en effet à un moment de l’histoire romaine où s’affirme de manière irrévocable le caractère monarchique du Principat. D’un point de vue architectural, un cap est franchi sous Néron avec la construction de la Domus Aurea dont les dimensions, à l’échelle de la ville de Rome, le luxe et le raffinement n’ont guère d’antécédents dans l’histoire romaine : s’incarne là un pouvoir qui ne craint pas de faire éclater à la face du monde sa nature monarchique. La conception du décor intérieur s’en trouve radicalement transformée. Dans un article consacré à la peinture néronienne, I. Bragantini soulignait ainsi que, dans la Domus Aurea, les espaces où l’empereur vivait et recevait ses hôtes étaient revêtus de matériaux particuliers comme des marbres polychromes, des mosaïques pariétales et autres matériaux précieux, tandis que l’usage de la peinture était limité aux espaces secondaires49. La très récente publication de P. Meyboom et E. Moormann sur les décors du palais néronien rend évidente une telle relégation des revêtements peints. La répartition spatiale des placages de marbre en fonction de leur hauteur montre de façon très nette un lien direct entre la présence et la hauteur de ces revêtements et le statut des espaces50 . La peinture murale se trouve ainsi quasiment exclue des pièces les plus prestigieuses, où elle ne demeure parfois qu’en haut de paroi et sur les voûtes, perdant de la sorte son rôle majeur dans la structuration de l’espace. L’écart est grand avec la domus d’Auguste où le décor peint, de grande qualité, occupait une place centrale et l’on peut penser que c’est en partie la Domus Aurea qui dicta à Pline l’Ancien les propos qu’il tient au seuil du livre XXXV de son Histoire Naturelle : « (…) la peinture, art autrefois illustre (…) et qui illustrait ceux qu’il avait jugés digne de passer à la postérité, mais qui aujourd’hui est totalement supplanté par les marbres et aussi, déjà, par l’or. (…) Ne plaisent plus les panneaux ni les grandes surfaces qui faisaient entrer les montagnes dans une chambre, non, aujourd’hui, nous nous sommes mis à peindre avec la pierre elle-même ».
Palais et villas extra-urbaines de Domitien
Domus Augustana et Domus
Flavia Domitien choisit de se faire construire une nouvelle résidence sur la partie orientale du Palatin (ROM 22). La tradition moderne a pris coutume de distinguer la partie résidentielle du palais, dénommée Domus Augustana, de la partie officielle, appelée Domus Flavia. On ne conserve malheureusement de ces deux édifices qu’un squelette difficilement déchiffrable et dépouillé de presque tout son décor. Des traces ponctuelles permettent de restituer l’aspect de certaines pièces, mais nous devons nous contenter des remarques éparses glanées dans les différentes études, aucune ne s’étant intéressée de près à la question du décor53 . La Domus Flavia est constituée de deux salles principales (appelées Aula Regia et triclinium) qui s’articulent de part et d’autre d’une cour à péristyle au centre de laquelle se trouve un bassin hexagonal. L’Aula Regia, salle d’audience solennelle, est une pièce particulièrement somptueuse. Ses murs sont rythmés par des niches entre lesquelles des colonnes en marbre de Chemtou soutenaient un entablement à ressauts. Les murs et les sols étaient vraisemblablement revêtus de marbres polychromes et les niches occupées de statues monumentales. L’Aula Regia est flanquée de deux pièces plus petites, qu’on appelle traditionnellement le lararium et la Basilica mais dont on ignore la véritable fonction. La Basilica, qui se distingue par son plan absidé et ses colonnades divisant l’espace en trois, évoquerait une salle de conseil ; quant au lararium, sa position dans le plan a pu faire penser à un corps de garde contrôlant l’accès au palais. Nous n’avons trouvé aucune information sur le décor de ces deux pièces. De l’autre côté de la cour péristyle, se trouve le triclinium d’apparat, une vaste salle rectangulaire dont le mur du fond est absidé et qui est flanquée de deux nymphées. Du décor, ont été restituées les colonnes en marbre polychromes qui séparaient les nymphées de la pièce centrale, ainsi que le pavement en opus sectile
Les villas de Castel Gandolfo et Sabaudia
Ces tendances prennent une ampleur encore plus importante dans la villa suburbaine de Castel Gandolfo, où l’espace n’est plus restreint par les constructions antérieures. A côté 54 Gibson et al. 1994. 55 Gros 2006, p.256. 31 du quartier résidentiel, prennent alors place un hippodrome, un grand quadriportique et un théâtre dont la capacité d’accueil est celle d’une ville moyenne. Nous connaissons fort mal, dans l’ensemble, le décor de ce vaste complexe mais les travaux de ces dernières décennies ont permis de restituer l’aspect de certains secteurs. Outre le théâtre, qui a livré un somptueux décor architectonique et marmoréen56, le grand cryptoportique nous semble emblématique des évolutions du décor des demeures impériales. En effet, cette structure aux dimensions considérables (extension totale d’environ 300 m2 ), qui servait en quelque sorte de deuxième entrée au complexe et pouvait accueillir des foules importantes, présentait initialement une décoration peinte, recouverte dans un second temps, sur toute la hauteur des parois, par un revêtement de marbres colorés57. Le sol était également revêtu de marbre tandis que la voûte présentait, du moins dans la section nord, une structure à caissons peints et dorés. H. von Hesberg insiste sur l’effet que devait produire un décor aussi somptueux, qui plus est largement éclairé par de nombreuses fenêtres58 . La villa sur le lac de Paola à Sabaudia, également attribuée à Domitien, confirme pleinement le recours massif à l’opus sectile, qui semble être désormais la marque de fabrique du décor impérial. On conserve peu de choses des revêtements pariétaux mais le complexe a livré de nombreux et somptueux pavements d’opus sectile, en particulier dans le secteur appelé « édifice balnéaire à exèdres ».