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Les acceptions coraniques du concept de Oumma
C’est un concept coranique qui revient 51 fois au singulier et 13 fois au pluriel (’umam) et est employé en quatre sens désignant dans un premier sens « période fixée, laps de temps » comme l’exprime la sourate 11, verset 08 : « Et si Nous retardons pour eux le châtiment jusqu’à une Oumma [une période fixée] ». Si Hamza BOUBAKEUR commentant ce verset nous dit que Oumma (‘umma) signifie dans ce passage « une époque déterminée » (« ‘umma ma‘dūda » qui donne le sens littéral de « communauté comptée »). Il poursuit le commentaire en ces termes : « Le sens complexe de ce mot (communauté, tradition, période) est à comparer à celui d’un terme […], qarn, qui signifie lui aussi « génération » et « siècle » (ou une période allant de quatre-vingts à cent vingt ans).»5
Le deuxième sens le plus fréquent désigne une « communauté d’hommes ». C’est le cas de la sourate 02, verset 213 entre autres versets coraniques : « Les gens formaient (à l’origine) une seule Oumma [communauté (croyante)]. Puis, (après leurs divergences,) Allah envoya des prophètes comme annonciateurs et avertisseurs ; et Il fit descendre avec eux le Livre contenant la vérité, pour régler parmi les gens leurs divergences. Mais, ce sont ceux-là mêmes à qui il avait été apporté, qui se mirent à en disputer, après que les preuves leur furent venues, par esprit de rivalité ! Puis Allah, de par Sa Grâce, guida ceux qui crurent vers la Vérité sur laquelle les autres disputaient. Et Allah guide qui Il veut vers le chemin droit.» L’exégète Ibn KATHIR commentant ce verset l’aborde ainsi : « A l’origine, les hommes avaient la même croyance en un Dieu unique sans associés. Certains adoptèrent le culte des idoles. Pour régler leurs différends, Dieu envoya des prophètes pour porter la bonne nouvelle mais certains s’enorgueillirent. Ainsi, commencèrent les divergences. »6 Mais cet état d’un monde dominé par des divergences est, dans la perspective islamique, un fait voulu par Dieu comme l’atteste le passage suivant : « Si Allah avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. »7. D’après Ibn KATHIR, ce passage du Coran « s’adresse à toutes les communautés exprimant que cette divergence est voulue par Dieu qui aurait institué par sa volonté une seule religion et une seule loi mais Il a envoyé des prophètes avec une loi sans aucune abrogation, d’autres avec une abrogation totale ou en partie. »8 L’Islam reconnaît les diversités humaines et nous renseigne que cette diversité des peuples et des communautés est un fait voulu par Dieu. Et le Coran l’exprime en ces termes : « Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre connaissiez. »9 En ce sens, l’Islam combat l’ethnocentrisme, le racisme, la xénophobie et fonde une unité qui se propose de coordonner cette diversité en une attitude commune grâce à une reconnaissance réciproque. Le Coran nous indique d’ailleurs que cette communauté est une communauté du juste milieu, de la modération, « Al- Oumma al- wassatiya » en ce sens qu’il combat dans ses principes les positions partisanes et le sectarisme : « C’est ainsi que nous fîmes de vous une communauté du juste milieu [Al- Oumma al- wassatiya] afin que vous soyez témoins contre les gens et que le Messager soit témoin contre vous.»10 Le juste milieu est un principe coranique qui indique l’observation de la modération en toute chose, dans la législation, la pratique morale et religieuse et dans les rapports sociaux. Le croyant doit être à cheval entre deux extrêmes : le radicalisme et la légèreté. Deux vices qui peuvent gangrener la société dans tous ses secteurs et compromettre la bonne marche de la communauté musulmane.
Le troisième sens signifie « guide ». C’est ce sens qu’on retrouve dans la sourate 16, verset 120 : « Abraham était une Oumma [un guide parfait] ». Le sens de « guide parfait » que recouvre le concept de Oumma dans ce verset semble recouper l’un des sens linguistiques du terme ; celui de la personne qui a une prééminence sur les autres en raison de sa situation matérielle ou de ses qualités morales. Le sens de direction ou de celui vers qui l’on se dirige par son statut de modèle. D’ailleurs le terme ’imām qui vient de ’imma qui est une variante de Oumma (’umma) renvoie à l’idée de chef ou de guide, de celui qui sert de référence quelle que soit la qualité de son action : bonne ou mauvaise. Ce qui recoupe l’interprétation du commentateur Ibn KATHIR dans le verset précité. Il reprend le sens du concept de Oumma dans ce passage en lui donnant les significations suivantes : « l’imām des croyants originels et le père des envoyés ». Abraham est « l’imām qu’on prend en modèle, le dévot, l’obéissant, le croyant originel, l’intransigeant »11
Le quatrième sens est celui de la sourate 43, verset 22-23, entre autres versets coraniques, qui veut dire « loi, voie ou religion » : « Mais plutôt ils dirent : « Nous avons trouvé nos ancêtres sur une Oumma [religion], et nous nous guidons sur leurs traces » Et c’est ainsi que Nous n’avons pas envoyé avant toi d’avertisseur en une cité, sans que ses gens aisés n’aient dit « Nous avons trouvé nos ancêtres sur une Oumma [religion] et nous suivons leurs traces.»
C’est pourquoi quand on parle de Oumma qui est l’abréviation de Al-Oumma al-islamiya ou Oummatoul-Islâm, et parfois Al-Oumma al-mouhammadiya ou Oummatou-mouhammad, on entend par là la période islamique qui commence avec l’avènement de l’islam, la communauté des musulmans ou la communauté du Prophète, les musulmans comme guides et témoins des autres communautés, l’islam comme loi et communauté religieuses.
Oumma, Milla, Nation et Qawm
Le terme qui est souvent désigné comme synonyme de Oumma est le terme Milla qui revient 15 fois dans le Coran. L’usage coranique du terme Milla est très proche du sens de Oumma comme « loi, voie ou religion »12. Il est parfois associé à Abraham pour exprimer la tradition (religieuse) ou la religion d’Abraham (millatu ’ibrāhīm) comme l’atteste le verset suivant: « Qui donc aura en aversion la religion d’Abraham [millatu ’ibrāhīm], sinon celui qui sème son âme dans la sottise ? Car très certainement Nous l’avons choisi en ce monde ; et, dans l’au-delà, il est du nombre des gens de bien »13 Dans le verset 120 de la sourate 0214, il désigne les religions judéo-chrétiennes. Le terme Milla est utilisé dans d’autres versets pour parler des religions païennes15.
On pourrait dire donc que le sens que donne le Coran au terme milla est celui de religion, voie ou tradition religieuses. Ce sens est proche de celui de Oumma qui désigne parfois une religion. Et même le sens de communauté semble renvoyer, dans la perspective islamique, à celui de communauté basée sur la religion, la foi islamique.
Pour un auteur comme le Dr Maarouf DAOUALIBI16, qui ne fait pas de distinction entre l’idée de Nation et celle de Oumma, l’idée de nation renvoie dans tous les Etats à deux concepts : un « concept historique diachronique » et un « concept politique synchronique ».
DAOUALIBI nous dit que le premier dépasse les frontières temporelles et territoriales alors que le second est limité, dans son contenu, aux aspects humain et territorial. Le « concept historique diachronique » est à l’image des nations arabe, turque, française, germanique et des communautés de croyants qui ont suivi les prophètes à travers l’histoire depuis l’époque d’Abraham jusqu’à Mohammad. Le Coran désigne cette communauté dans les versets suivants : « Certes, cette communauté qui est la vôtre est une communauté unique et je suis votre Seigneur. Adorez Moi »17 « O Messagers ! Nourrissez-vous de ce qui est licite et faites du bien ! Je suis au courant de vos actes. Cette communauté, c’est votre communauté, une communauté unique et je suis votre Seigneur. Craignez Moi. »18
Le second, à savoir le « concept politique synchronique », est le concept suivant lequel le premier Etat musulman a été fondé par le Prophète, car la Cité Etat de Médine regroupait les musulmans (émigrés de la Mecque et originaires de Yathrib -Médine-), les Juifs et les idolâtres autour d’une charte, la Constitution de Médine.
Quant au concept de Nation, c’est un concept dont l’étude est une entreprise périlleuse compte tenu de sa complexité qui « prête aux plus dangereux malentendus »19.
D’aucuns définissent la Nation en mettant l’accent sur le passé et le patrimoine culturel reçu par un peuple. Ils insistent sur l’héritage historique qui doit donner volonté et vigueur aux présents héritiers pour préparer l’avenir car ce legs est le fruit d’un long et pénible sacrifice de la part des anciens. Cet héritage est le rétroviseur pour réussir le présent et ce dernier le projecteur qui éclaire les héritiers et les projette vers le futur. C’est ce mouvement dialectique de rétrospection et de prospection qui donne à la Nation son dynamisme et lui permet de se perpétuer et de perpétuer20 cette volonté de vie commune qui fera dire à Ernest RENAN qu’« une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. […].Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. »21
Comment comprendre les formes diverses de société humaine qui naquirent au cours de l’histoire, à l’image des cités grecques comme Athènes et Spartes, des villes des tribus arabes et hébreux du désert, des grandes collectivités d’Afrique et des Indiens d’Amérique, des grandes agglomérations de Chine ? Se fondent-elles sur des principes et des valeurs qui pourraient leur donner le statut de Nation ? C’est que ces regroupements humains étaient formés à partir de ces affinités : la religion, la race, la langue, la communauté des intérêts, la géographie. Or, nous dit Ernest RENAN : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister. »22
On ne peut donc dire que la nation peut être formée à partir d’un principe dynastique, car comme nous le dit Ernest Renan « La Suisse et les États-Unis, qui se sont formés comme des conglomérats d’additions successives, n’ont aucune base dynastique. […] Le vieux principe qui ne tient compte que du droit des princes ne saurait plus être maintenu ; outre le droit dynastique, il y a le droit national. »23. La Oumma, quant à elle, a une dimension plus universelle puisqu’elle intègre d’une certaine manière les autres monothéismes et dépasse les barrières nationales et les frontières géographiques. Nous pouvons par contre dire qu’il y a dans la formation du concept de Nation, cette volonté de dépasser, à l’image de la Oumma, les clivages ethniques, linguistiques pour donner la primeur au spirituel, « la nation est une âme, un principe spirituel», nous dit RENAN. Cependant, la Oumma a pris naissance dans un univers religieux, se fonde même sur une religion, l’Islam, alors que la Nation a pris forme dans un univers séculier.
Mais, il serait vague de se limiter au concept de droit national qui prête à toutes les interprétations possibles. Alors quel contenu donner à ce droit national, sur quel critère le fonder ? Pour certains, c’est sur la race, pour d’autres sur la langue, confondant ainsi la langue à un critère d’appartenance à une race, voire à une nation. N’est-ce pas d’ailleurs étroit et risqué pour le progrès que de fonder une nation que l’on voudrait unie, solide et solidaire sur la race ou sur la langue en affiliant à tort une langue à une race alors qu’aucune nation européenne moderne ne peut se prévaloir d’une pureté raciale ou d’un modèle de nation basé sur une langue, car comme nous le dit Ernest RENAN, « la considération ethnographique n’a […] été pour rien dans la constitution des nations modernes. La France est celtique, ibérique, germanique. L’Allemagne est germanique, celtique et slave. L’Italie est le pays où l’ethnographie est la plus embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans parler de bien d’autres éléments, s’y croisent dans un indéchiffrable mélange. Les îles Britanniques, dans leur ensemble, offrent un mélange de sang celtique et germain dont les proportions sont singulièrement difficiles à définir. […] Les États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu’elle a été faite par l’assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l’homme quelque chose de supérieur à la langue : c’est la volonté. »24
La Nation repose donc sur un contrat qui n’est pas forcément le produit de la réalité mais du sentiment de former une communauté d’histoire et de destin. Il s’agit parfois d’une communauté liée par des ancêtres communs selon la conception ethnique de la nation. Il y a une autre conception culturelle plus récente encore qui s’exprime par une communauté dont les individus sont liés par le sentiment d’avoir en commun un certain nombre de références culturelles. Le concept de Oumma renvoie aussi à un certain nombre de valeurs culturelles religieuses communes à tous les musulmans. On serait tenté alors de dire qu’il y a dans ce concept des semblants de similitudes qui renvoient à l’idée de nation. Mais la différence fondamentale est que c’est une communauté basée sur la foi, compte non tenu de l’appartenance ethnique ou tribale.
Ce semblant de similitudes poussera les nationalistes arabes et ceux du monde arabo-musulman en général à récupérer ce concept de Oumma pour désigner « la nation arabe » (« ’umma ‘arabiyya »). Ce projet nationaliste dit panarabisme veut créer un monde arabe uni qui s’étend du Golfe à l’Océan. D’aucuns même ont trouvé normal de l’utiliser pour parler de nation égyptienne, nation algérienne (« ’umma miçriyya, ’umma jazā’iriyya »). Ainsi, Bernard LEWIS nous dit que « l’arabe, le persan, le turc possèdent tous de nombreux mots désignant les groupes ethniques. Il est à coup sûr significatif que ces mots n’aient pas fourni la terminologie du nationalisme naissant. Au lieu de cela, les Arabes, les Persans et les Turcs ont tous préféré reprendre les termes anciens, de signification religieuse (sic), quitte à les redorer pour répondre à leur nouveau rôle. En persan comme en turc, ‘‘national’’ et ‘‘nation’’ se disent milli et millet, des vieux mots milla et millet, une ‘‘communauté politico-religieuse’’ (resic) (…) En arabe moderne, milla et milli sont presque tombés en désuétude, mais les Arabes ont adopté un mot de contenu tout aussi religieux (sic), ’umma, pour désigner la nation arabe.»25
Quant au terme arabe Qawm (ou peuple), il est utilisé dans le Coran et peut être confondu avec celui de Oumma. Il désigne une forme de cohésion sociale et culturelle au sein d’un groupe d’humains partageant une vie commune. Le Qawm ou peuple est le milieu dans lequel surgit le prophète. Il doit être alors dépassé par le fidèle au profit de la Oumma qui recouvre une dimension universelle plus large, en ce sens qu’elle peut regrouper plusieurs peuples, ethnies, races et cultures dans une seule entité islamique. Le Coran nous renseigne que l’islam reconnaît tous les prophètes antérieurs comme étant des maillons de la chaîne d’une longue mission adressée à des générations d’hommes et qui aboutit au prophète Mouhammad qui en parachève la prophétie. Mais ces prophètes ont été envoyés à leur Qawm (peuple) et il pouvait y avoir plusieurs prophètes envoyés dans une même période à des peuples différents. Quant au prophète Mouhammad, il est envoyé à toute la communauté humaine. Ce qui donne un caractère universel à sa mission : on parle alors de Oumma comme « communauté universelle ».
Les fondements de la Oumma
Nous étudierons dans cette partie, les fondements de la communauté originelle, celle de la première génération de musulmans pour comprendre sa nature, son fonctionnement et ses principes de base avant qu’elle ait subi les changements inhérents aux événements historiques, aux bouleversements géopolitiques. Il nous appartiendra également d’analyser les critères et les modalités d’appartenance à la Oumma. Qu’est-ce qui unit ses membres ? Quelle est la nature de ce lien ? Quels sont les fondements politiques de la Oumma ? Quelles sont les règles collectives qui composent la base socio-économique de sa constitution ?
Les fondements historiques : la communauté idéale de Médine
Il importe tout d’abord d’apporter des éclaircissements sur le concept de « communauté idéale » pour éviter tout amalgame. Marcel BOISARD nous met en garde contre cette forme d’amalgame qui découlerait d’une tentation forte à utiliser les « étiquettes forgées par la science politique occidentale » et nous dit que « la confusion est entretenue par une interprétation utilisant comme outils les techniques, le terminologie et les idées occidentales».26 Dans la perspective islamique, ce concept renvoie à l’idée de la communauté islamique initiale constituée par le prophète. Ce terme d’idéal signifierait donc, comme le conçoivent les musulmans, la communauté de référence, la communauté de ceux qui ont vécu avec le prophète de l’islam. Mais cette référence ne voudrait pas dire une inspiration de nature passéiste (lointaine), car la législation islamique prend en compte les facteurs temps et espace. Il faudra alors, dans une perspective islamique, comprendre le mot « idéal » dans le sens d’ « initial » et de « référence » et non dans le sens de « parfait ». Et en islam la perfection est du domaine divin et n’est pas de ce monde. Certains auteurs utilisent le terme « archétype » et parlent de « communauté archétype de Médine ». Quelqu’un comme Marcel BOISARD parle de « cité musulmane idéale et exemplaire »27. Roger GARAUDY, quant à lui, parle d’ « islam matinal». Un auteur comme Salah STÉTIÉ l’explicite en ces termes : « Première communauté islamique de Yathrib, noyau de la future umma dont l’expansion commencée il y a mille quatre cent ans, en cette bourgade enserrée par l’un des déserts les plus sévères du monde, va, à la manière des cercles concentriques à la surface de l’eau, étendre indéfiniment autour d’elle des hommes et des femmes qui la composent, c’est à l’ensemble organisé de la ville , à l’umma en miniature, que le prophète adresse comme un tout la parole d’Allah. »28
Le Prophète de l’Islam passa treize années à la Mecque à appeler au Tawhid (monothéisme pur)29, au rejet des idoles et à l’abandon des superstitions. Mais les autorités de la Mecque sentant leur pouvoir et leurs privilèges menacés par cette nouvelle religion égalitariste qui déclarait qu’il n’y a de pouvoir qu’en Dieu, décidèrent de mettre fin à cette prédication. C’est le début d’une confrontation idéologique avec le paganisme et ses coutumes. Les premiers convertis à l’Islam menaient une vie pénible de persécution, de terreur et de menace permanente. Face à cette situation éprouvante faite d’épouvante, le Prophète fit émigrer en Abyssinie, chez les chrétiens éthiopiens, ceux qui étaient socialement plus vulnérables aux attaques des Mecquois. Il chercha aussi un appui auprès des habitants de la ville de Taïef mais en vain. C’est dans la petite oasis de Yathrib, à 350 kilomètres au nord de la Mecque qu’il trouva finalement refuge. Ce départ de la Mecque vers Yathrib qui sera appelé plus tard Médine (ou « Madīnatu- Arrassūl», la ville du Prophète), en 622, est connu sous le vocable « Hégire» ( émigration, Hidjra en arabe ). Cet événement est tellement remarquable dans l’histoire de l’islam, en ce sens qu’il marque la rupture d’avec l’ancien ordre polythéiste et la création de la première Cité-Etat musulmane, qu’il sera choisi plus tard comme le point de départ du calendrier musulman. C’est la rupture d’avec l’ancien ordre tribal et l’avènement d’un nouvel ordre communautaire basé sur la foi ; c’est la formation du premier noyau de musulmans qui inaugure la naissance de la première communauté islamique (Oumma). C’est en ce moment que l’on pourra parler d’organisation politique et de législation sociale avec la charte constitutionnelle scellée entre le Prophète de l’Islam et les autres confessions religieuses des différentes tribus que comportait la Cité de Médine. Il créa aussi un climat de fraternité et de soutien entre les croyants émigrés de la Mecque (« Al-Muhādjirūn ») et ceux de Médine («Al-Ansār ») si bien que les problèmes sociaux voire vitaux des émigrés furent résolus. Ce bref parcours historique donne des ailes aux propos de Marcel BOISARD qui dit : « L’Islam usa d’abord, de patience et de persuasion. La phase législative ne pouvait se réaliser que lorsqu’un embryon de communauté solidaire fut formé. Elle apparut donc, en toute logique, postérieurement à la prédication eschatologique. A la Mecque, l’Islam commença par former les individus, les premiers musulmans qui, constituant une petite minorité persécutée, avaient besoin d’une morale et non d’une législation sociale qu’ils n’auraient pas pu appliquer. Plus tard à Médine, l’Islam construisit, avec les individus déjà éduqués par la foi, une communauté égalitariste et mutualiste, dotée de règles divinement révélées et inspirées. »30
A son arrivée à Médine, le prophète trouva dans cette ville douze tribus arabes et dix juives. D’ailleurs, bien avant l’hégire, il reçut déjà le soutien indéfectible des tribus de Aws et de Khazradj de Médine qui se convertirent à l’Islam. Ses notables manifestèrent leur engagement à soutenir le Prophète par deux pactes, contractés à un an d’intervalle, à ‘Aqaba, au voisinage de la Mecque. Entre les deux pactes de ‘Aqaba, le compagnon Mus‘ab Ibn ‘Umayr, a été envoyé par le Prophète à Médine pour propager et enseigner l’Islam. Par cette action, l’opinion publique de Médine commençait à être favorable à l’Islam. Certes, l’environnement était déjà favorable et réceptif, mais le Prophète trouva des tribus en perpétuel conflit, et en plus des musulmans, il y avait les juifs et les idolâtres qui faisaient la composition des différentes communautés de la ville. Ce qui pouvait présager d’une cohabitation tendue. Voilà une atmosphère que seule une organisation politique garantissant la liberté confessionnelle, la solidarité sociale et la confiance mutuelle pouvait faire perdurer. Ce qui fait dire à Marcel BOISARD : « S’installant à Médine, le Prophète devint chef d’Etat. Les nécessités de l’organisation publique firent immédiatement apparaître des problèmes d’intégration entre les fidèles qui avaient émigré de la Mecque, les Médinois qui les avaient accueillis, les Juifs et les Païens qui constituaient à l’époque des minorités importantes. Cette première communauté n’excluait pas les non-croyants qui, dans la mesure où ils étaient monothéistes, conservaient leur religion et leurs institutions. Les traités de garantie passés entre Mohammed et les habitants de Médine, puis avec certaines populations de la péninsule arabe, dont la communauté chrétienne de Najran, devaient servir de ligne directrice pour la politique de ses successeurs.»31
Le traité que le Prophète de l’islam passa avec les douze tribus arabes et les dix tribus juives comprend deux parties distinctes :
Une première qui fonde une fraternité musulmane avec une entité politique qui rassemble les tribus arabes de Médine et les émigrés de la Mecque. C’est le pacte de l’alliance islamique qui instaura la fraternité et mit fin au chauvinisme et au tribalisme. Voici en résumé les dispositions de ce pacte32 : «Ceci est un document provenant de Mohammad (PSL), le Prophète, concernant les croyants et les Musulmans se réclamant de Qouraïch ou de Médine ainsi que ceux qui les ont suivis ou rejoints, ceux en compagnie de qui, ils luttèrent contre les difficultés :
1- Les Musulmans constituent une seule et même communauté dans la société des hommes.
2- Les Muhājirūn, en ce qui les concerne, se payent mutuellement le prix du sang qu’ils doivent du reste payer à qui de droit parmi les croyants de manière juste et équitable. Les Ansārs, en ce qui les concerne, se payent mutuellement le prix du sang de la même manière qu’ils le faisaient auparavant et aussi payent ce prix à qui de droit parmi les croyants, avec justice et équité.
3- Les Croyants ne doivent pas laisser quelqu’un tué parmi eux sans prix du sang ni rançon versé comme il se doit.
4- Les Croyants qui craignent Allah doivent agir contre ceux d’entre eux qui commettent des actes de tyrannie, poussant en cela à l’injustice, au péché, à l’agressivité et à la corruption dirigés envers des croyants.
5- Ils doivent tous ensemble les attaquer, fussent-ils leurs propres enfants.
6- Un croyant ne doit pas en tuer un autre à cause d’un infidèle.
7- Un croyant n’assiste pas un infidèle contre un croyant.
8- La protection d’Allah est la même pour tous les croyants : elle n’exclut personne.
9- Ceux des juifs qui nous rejoignent dans la foi doivent être secourus, assistés. Nous ne devons ni les offenser, ni nous liguer contre eux.
10- Il y a une seule façon de faire la paix avec les croyants. Certains croyants ne sauraient conclure la paix à l’exclusion d’autres dans un combat au service d’Allah si ce n’est de manière unanime et consensuelle.
11- Les croyants doivent être solidaires les uns des autres dans les sacrifices qu’ils consentent au service d’Allah
12- Aucun païen ne doit protéger un individu ou des biens se réclamant de Qouraïch encore moins s’opposer aux croyants pour les défendre.
13- Quiconque tue un croyant n’ayant commis aucun crime pouvant justifier qu’on le tue, doit subir le même sort à moins qu’il ne soit pardonné par les ayants droits de la victime.
14- Tous les Croyants sont liés par cette dernière clause à laquelle ils doivent tous se conformer.
15- Un croyant ne doit assister, ni loger un innovateur [déviant]. Quiconque le fait s’attirera la malédiction et la colère d’Allah, au jour de la résurrection. Il ne bénéficiera point d’intercession.
16- Quelle que soit la nature de vos divergences, vous devez vous référer à Allah le Tout-Puissant et à Mouhammad (PSL).
Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE : Définition et fondements de la Oumma
CHAPITRE I : Définition du concept de Oumma
SECTION II : Oumma, Nation, Milla et Qawm
CHAPITRE II : Les fondements de la Oumma
SECTION I : Les fondements historiques : la communauté idéale de Médine
SECTION II : Les fondements religieux, politiques et socio-économiques
DEUXIEME PARTIE : La Oumma dans le contexte de la mondialisation
CHAPITRE I : Les implications et enjeux de la Oumma
SECTION I : Les implications et enjeux politico-économiques
SECTION II : Les implications et enjeux culturels
CHAPITRE II : La Oumma dans le monde
SECTION I : Darul Harb et darul islam : les minorités musulmanes en question
SECTION II : La Oumma, actrice et témoin des destinées de l’humanité
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE