La nutrition et la diététique dans la médecine clinique

La nutrition et la diététique dans la médecine clinique de Bichat à Broussais

La médecine clinique se caractérise par cette « nouvelle manière de voir ». En effet, l’observation des malades avec ses signes et ses symptômes propres, est complétée par les données de l’anatomie pathologique. Représentée principalement par Bichat, cette dernière concerne la connaissance des altérations visibles que l’état de maladie produit dans les organes du corps humain. L’ouverture des cadavres est le moyen d’obtenir ces connaissances mais,« pour qu’elle devienne d’une utilité directe et d’une application immédiate à la médecine pratique, il faut y joindre l’observation des symptômes et des altérations de fonctions qui coïncident avec chaque espèce d’altération d’organes 1 .» Trois éléments fondent la physiologie de Bichat. D’abord, il introduit la notion de tissus : ce sont les « briques élémentaires » de l’être vivant. Ensuite, il définit les « propriétés vitales » comme une sensibilité (faculté de sentir) et une contractilité (faculté de se contracter) propres aux tissus des êtres vivants et à eux seuls2 . Enfin, il existe une vie animale avec les activités sensoriales, motrices et intellectuelles et une vie organique. Il précise ainsi que « la digestion, la circulation, la respiration, l’exhalation, l’absorption, les sécrétions, la nutrition, la calorification, composent la vie organique, qui a le cœur pour organe principal et central »3 . Concernant la nutrition, nous remarquons deux éléments caractéristiques de cette physiologie. D’abord, la vie organique avec la nutrition et ses fonctions suit le modèle de Stahl, avec un double mouvement de composition et de décomposition. L’organisme assimile la matière des aliments que la circulation distribue. Après avoir été assimilée, la matière est rejetée dans la circulation puis excrétée. La circulation assure la relation de ces deux moments. Les aliments assurent le remplacement de la matière en décomposition. A la différence de Stahl, Bichat ne parle pas de corruptibilité du corps, il constate que la matière ne peut rester dans l’organisme qu’un certain temps, mais il ne donne pas d’explication. Ensuite, Bichat affirme que toute activité vitale s’accompagne d’une production de chaleur et la « calorification », devient une sorte de fonction ce qui s’éloigne de la conception antique de la chaleur entendue comme une propriété spécifiquement vitale. Ainsi, si le cœur continue à être le centre des fonctions, la chaleur n’est plus une « force ou principe vital» mais une simple fonction. Nous constatons ici sa contribution, avec Lavoisier, à tenter de donner une explication scientifique à la chaleur du corps et ainsi à dépasser l’obstacle épistémologique du feu enraciné dès l’Antiquité dans la théorie thérmocardio-centrique. Le parallélisme que Bichat établit entre la physiologie et les sciences physiques mérite d’être souligné. Il considère que les propriétés vitales sont irrégulières et capricieuses. Du coup, cela empêche toute mathématisation des phénomènes vitaux, contrairement à ce qui se passe pour les phénomènes physiques. Ces raisons, d’après Bichat, ont fait échouer la physiologie mécanique et les théories chimiques, notamment en raison de la difficulté d’obtenir des résultats expérimentaux reproductibles en physiologie et de la variabilité et de l’irrégularité des fluides organiques. Il donne l’exemple suivant : «Comparer la faculté vitale de sentir à la faculté physique d’attirer, vous verrez l’attraction être toujours en raison de la masse du corps brut où on l’observe, tandis que la sensibilité change sans cesse de proportion dans la même partie organique et dans la même masse de matière1 . »

La médecine clinique de Pinel 

Considéré comme un précurseur de cette médecine, Philippe Pinel propose une nouvelle méthodologie nosographique, fondée sur les principes de la botanique et devient pendant vingt ans la référence dans l’enseignement en médecine . Nous pouvons étudier la place de la nutrition et de la diététique dans cette nouvelle conception de la médecine dans l’œuvre La médecine clinique publiée en 1804. Après le recueil et les résultats d’observations sur les maladies aiguës faites à la Salpêtrière, il décrit et classe les maladies d’une part, par leur caractère particulier et spécifique «comme formant une lésion quelconque dans une ou dans plusieurs fonctions de l’économie animale » et d’autre part, par l’influence des localités, des saisons et de la nature du traitement2 . Ainsi, cette position est justifiée par l’idée qu’il existe des affections de toutes les fonctions organiques, sans lésion d’un organe déterminé. La maladie est conçue comme ayant une « cause matérielle morbifique » dont les symptômes sont les manifestations des changements « d’être » sur les parties du corps . Autrement dit, la lésion est un siège et non un foyer, il ne s’agit que d’une localisation géographique, expliquant son intérêt par les autopsies, dans lesquelles il ne fait qu’observer une localisation sans tirer des conclusions essentielles pour connaître la maladie. Son intérêt est tourné vers les symptômes du vivant. La thérapeutique cherche à rétablir ces phénomènes en agissant sur les mouvements particuliers qu’induit la maladie. Dans ce contexte, Pinel propose une nosologie de la maladie visant à décrire l’histoire du cours de la maladie et à établir une base théorique pour la thérapeutique, cela « d’après les lois fondamentales de l’économie animale, ou plutôt d’après la structure et les fonctions organiques des parties ». Dans la mesure où la maladie a un cours naturel, l’idée de conserver le malade permet au médecin de montrer que « l’exposition de la maladie indique assez aux personnes exercées si les efforts de la nature sont dirigés avec régularité et vers un but conservateur, ou si le désordre des symptômes fait craindre une terminaison funeste». La maladie est alors appréhendée comme organisation ou « harmonie » des symptômes et comme un concours d’efforts conservateurs qu’il faut respecter « en les livrant au temps, à la direction d’un régime sage ou à l’usage de quelques remèdes simples »  . Cette conception de la maladie révèle la persistance de la notion de natura medicatrix  héritée de l’Antiquité et la situation privilégiée du régime. Pinel est méfiant envers les médicaments et considère la thérapeutique comme du charlatanisme « indigne du vrai clinicien »  . Par conséquent il donne une place prépondérante au régime dans ce « laisser faire de la nature » qui encadre le médecin. Le régime est ainsi une stratégie présente à trois moments : la prise en charge de la maladie, la convalescence et le maintien de l’état de santé  .

La médecine clinique de Broussais

Broussais, élève de Pinel et également membre de l’Ecole médicale de Paris, se fonde sur le principe tissulaire de Bichat5 pour définir la maladie. Pour lui, la vie est caractérisée par la capacité d’excitation. Cette excitation peut « dévier de l’état normal, et constituer un état anormal ou maladif », soit par excès, et Broussais la définit comme « irritation », soit par défaut, et dans ce cas elle devient « abirritation ». Il n’existe pas « d’entités morbides » générales, ou de maladies à proprement parler, mais des « crises » des « organes souffrants » . La lésion provenant de l’irritation n’est que la première manifestation de la maladie et non la maladie elle-même. Il affirme que « toutes les maladies sont locales dans leur principe ». La maladie est alors localisée dans un organe précis, il s’agit d’un foyer et non d’une cause dernière. Ainsi, le trouble fonctionnel et l’altération organique sont en communication immédiate. C’est l’irritation à l’origine de l’inflammation qui produit le trouble qui est localisable à un organe précis. Reprenant ici l’analyse menée par Foucault, on peut dire que la médecine est « pleinement positive au sens où il est vain de rechercher de manière métaphysique un « être » de la maladie, puisque celle-ci n’est qu’un processus d’irritation tissulaire ». Pour Broussais, l’inflammation est à l’origine de la maladie et se caractérise par une tumeur, une rougeur, de la chaleur et de la douleur. Elles produisent des modifications vitales qui ont pour siège les vaisseaux capillaires de la partie malade : l’inflammation est donc « primitivement l’effet d’un surcroît de cette action »1 . Deux conséquences méritent d’être mentionnées : cette position implique un changement radical du point de vue du médecin, selon Foucault, puisque désormais on pose la question « où avez-vous mal ? » au lieu de la question « Qu’avez-vous ? »2 . De même selon la philosophie de Canguilhem, il s’agit du passage d’une notion de la maladie fondée sur des variations qualitatives à une maladie appréhendée à partir de modifications quantitatives. Par conséquent, la fièvre, par exemple, bénéficie d’un nouveau statut : elle n’est plus une essence dans une « ontologie fébrile », mais une série de manifestations dans un processus physico-pathologique3 . Par-là, la médecine des maladies « cède la place à une médecine des réactions pathologiques qui elle-même instruira quelques décennies plus tard une médecine d’agents pathologiques »

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