La notion d’ingénierie didactique
« La notion d’ingénierie didactique a émergé en didactique des mathématiques au début des années 1980. Il s’agissait d’étiqueter par ce terme une forme du travail didactique : celle comparable au travail de l’ingénieur qui, pour réaliser un projet précis, s’appuie sur les connaissances scientifiques de son domaine, accepte de se soumettre à un contrôle de type scientifique mais, dans le même temps, se trouve obligé de travailler sur des objets beaucoup plus complexes que les objets épurés de la science et donc de s’attaquer pratiquement, avec tous les moyens dont il dispose, à des problèmes que la science ne veut ou ne peut encore prendre en charge ». (Artigue 1990, p. 283). « L’ingénierie didactique, vue comme méthodologie de recherche, se caractérise en premier lieu par un schéma expérimental basé sur des « réalisations didactiques » en classe, c’est-à-dire sur la conception, la réalisation, l’observation et l’analyse de séquences d’enseignement. […] » (Ibid., p. 286) L’ingénierie didactique est donc une situation d’enseignement élaborée par le chercheur, une forme du travail didactique semblable à celui de l’ingénieur : elle s’appuie sur les connaissances scientifiques de son domaine pour travailler sur des objets beaucoup plus complexes que les objets épurés de la science. L’ingénierie didactique permet : – une action sur le système d’enseignement, basée sur des études didactiques préalables. – une mise à l’épreuve d’hypothèses ou de questions élaborées par la recherche par leur réalisation dans un système d’enseignement. Elle a donc une double fonction : méthodologique, et productrice de questions didactiques nouvelles.
L’approche instrumentale (P. Rabardel 1995, 1999)
Après son introduction par Rabardel (1995), l’approche instrumentale a été introduite en didactique des mathématiques Guin et Trouche (2002) où elle a constitué un cadre riche pour l’étude de l’intégration de divers outils technologiques et informatiques (calculatrices, logiciel de calcul formel, logiciel de géométrie, tableurs). D’après cette théorie, nos connaissances et activités dépendent des instruments qui sont mis en œuvre. Vygotsky (1985) affirme que les instruments constituent des formes qui médiatisent nos rapports à notre environnement et aux savoirs, ils ont une influence qui doit nécessairement être prise en compte. Rabardel (1995) considère que les instruments sont subjectifs. Ils se construisent par le sujet à partir d’un artefact ou d’un ensemble d’artefacts, le mot artefact désignant les dispositifs matériels (calculatrice, ordinateur ou logiciel, livres, compas …), mais aussi symboliques (langage, etc.) utilisés comme moyen d’action. L’approche instrumentale distingue l’artefact et l’instrument que cet artefact devient au service de l’activité d’un individu donné. La transition artefact-instrument se produit via une genèse instrumentale, en général complexe. Cette genèse met en jeu des processus d’instrumentalisation, dirigés vers l’artefact, et des processus d’instrumentation, dirigés vers le sujet. Ces derniers se traduisent par le développement de schèmes d’utilisation qui sont mobilisés lors de la résolution des tâches proposées au sujet. La construction des schèmes comporte une dimension collective, Rabardel (ibid.) parle alors de schèmes sociaux d’utilisation. Un schème d’utilisation (SU) -d’un artefact- est un schème qui émerge par le processus d’instrumentation de la genèse instrumentale. Il est défini comme « l’ensemble structuré des caractères généralisables des activités d’utilisation des instruments. Il permet au sujet d’engendrer les activités nécessaires à la réalisation des fonctions qu’il attend de l’usage de l’instrument » (Rabardel 1999). Les SU comportent deux dimensions : – une dimension individuelle, propre à un sujet ; – une dimension sociale car les SU, d’une part, se développent par un processus de conception dialogique entre l’usage et la conception de l’artefact et, d’autre part, font l’objet de processus sociaux de transmission. Un instrument est donc formé de deux composantes : une partie de l’artefact ou un ensemble d’artefacts exploités par le sujet et un schème d’utilisation avec ses composantes privées et sociales. On peut ainsi dire que l’instrument est élaboré par le sujet au cours d’une genèse qui prend en compte l’artefact et les schèmes. La mise en œuvre de l’instrument consiste à mobiliser les deux processus d’instrumentation et d’instrumentalisation, tandis que sa construction consiste, tout d’abord, dans l’appropriation de l’artefact. Sur le plan didactique, le développement d’un nouvel instrument suppose une réflexion, dans la durée, sur son impact sur le système déjà construit et sur la réorganisation de la reconstruction du système existant. L’approche instrumentale utilisée dans la majorité des travaux de recherche s’intéressant à l’utilisation des nouvelles technologies en mathématiques, nous permet d’avoir un regard plus attentif quant à l’utilisation de l’outil informatique, en tenant compte à la fois de l’appropriation technique de l’outil et de son impact dans la construction de connaissances et la conceptualisation. Dans l’objectif de penser les questions d’intégration d’artefacts informatiques à l’enseignement, Haspekian (2005) introduit la notion de distance instrumentale pour qualifier les décalages introduits par l’artefact informatique dans l’enseignement traditionnel. De manière générale, pour un artefact informatisé (calculatrice, logiciel dédié, tableur, etc.) utilisé pour enseigner des mathématiques, la distance instrumentale résulte de différents facteurs dont au moins les deux suivants (Artigue et Haspekian, 2007) : la transposition informatique, au sens de Balacheff : elle est génératrice de distance, dans le sens d’une plus ou moins grande transparence des objets définis dans les deux environnements, papier-crayon et informatique la légitimité institutionnelle et culturelle conférée par les programmes officiels et par le statut épistémologique de l’instrument : la distance instrumentale est consécutive de la considération des normes et valeurs de la culture de référence (Artigue et Haspekian, 2007). Dès lors, la légitimité des artefacts issus de milieux professionnels est plus problématique que ceux, comme les logiciels de géométrie dynamique, à visée éducative.
La double approche des pratiques enseignantes
Robert et J. Rogalski ont élaboré une démarche théorique pour étudier les pratiques en classe, appelée « double approche (DA) »6 , pour souligner le fait qu’elles imbriquaient des analyses des activités des élèves à des analyses des activités de l’enseignant liées à l’exercice du métier. La double approche vise l’étude des pratiques du professeur, en lien bien sûr avec les activités des élèves mais à partir de l’étude de diverses formes de son activité dans diverses situations, en classe et pour la classe. Elle s’appuie sur la théorie de l’activité dans laquelle est ancrée sur les deux notions clés de sujet et de situation. Elle différencie aussi tâche et activité, qui sont respectivement « du côté de la situation » et « du côté du sujet ». Elle permet aussi de questionner les phénomènes de diversité et l’influence des déterminants personnels dans l’activité et le développement des acteurs – ici spécifiquement les enseignants. En effet, du point de vue de la psychologie ergonomique, c’est l’enseignant dont on considère l’activité réelle en tant que sujet cette fois et non sous l’angle de sa position dans le triangle didactique // savoir – élève – enseignant //. En référence à « la double approche » des pratiques enseignantes que nous présentons à la fin de ce cadre théorique nous ne tiendrons compte que de ses deux composantes : « cognitive » et « médiative » (c’est-à-dire qu’on ne s’intéresse pas aux composantes du métier) du fait que nous allons focaliser sur les activités des élèves et celles de l’enseignant en classe: La composante cognitive traduit ce qui correspond aux choix de l’enseignant sur les contenus, les tâches, leur organisation, leur quantité, leur ordre, leur insertion dans une progression qui dépasse la séance, et les prévisions de gestion pour la séance. Elle renseigne donc sur l’itinéraire cognitif choisi par l’enseignant. Les choix correspondants aux déroulements, les improvisations, les discours, l’enrôlement des élèves, la dévolution des consignes, l’accompagnement des élèves dans la réalisation de la tâche, les validations, les expositions de connaissances, incrémentent la composante médiative. Elle renseigne sur les cheminements organisés pour les différents élèves