La notion de terroir appliquée aux produits d’origine américains : le cas des oignons de Vidalia

Les coutumes alimentaires se développent en lien avec la culture, la société et le marché agroalimentaire qui composent l’environnement, faisant évoluer les regards sur la manière d’appréhender l’alimentation. En tant qu’Américaine en France, j’ai remarqué des différences frappantes dans ce domaine et ai pu comparer mes habitudes alimentaires d’origine à celles d’un pays où l’alimentation est « de qualité » (FUMEY, 2008). Ces différences sont multiples, mais une a retenu plus particulièrement mon attention : les lois mises en place afin de protéger les produits et les savoir-faire français en ce qui a trait à la nourriture.

De nombreuses lois régissent l’alimentation en France. Il est possible ainsi citer l’interdiction des OGM sur le territoire français mais aussi la loi Royer (1973), à l’instar d’un régime d’autorisation avant l’ouverture ou la construction d’un commerce destiné à protéger les petits commerçants et artisans. Mais l’exemple le plus marquant pourrait bien être celui de la notion de terroir qui joue un rôle fondamental dans la réglementation des appellations d’origine protégées, ainsi que dans les représentations collectives des consommateurs. Le terroir a une valeur sur les marchés, notamment pour le vin et le fromage, depuis que les premiers commerçants ont commencé à distribuer leurs produits loin de leurs appellations et à évoquer la qualité de leurs produits grâce à ses origines. Depuis 1935 en France (1992 en Europe), des groupes d’agriculteurs prouvent l’existence d’un lien entre la typicité et la qualité de leur produit et son aire de production, ce qui permet de se distinguer avec un label d’origine. Ce label – comme toute autre forme d’étiquetage – est couplé avec des notions qui informent les consommateurs sur les typicités du produit ainsi que ses garanties. Ces produits aux labels d’origine portant le nom d’une appellation deviennent un faire-valoir de leur région, qui elle, devient mieux valorisée grâce aux produits cultivés ou élevés sur son territoire. En outre, les produits bénéficiant d’appellations d’origine en France et en Europe jouissent d’un chiffre d’affaires intéressant, ayant ainsi des avantages pour le commerce et plus largement sur les habitants et agriculteurs sur place.

Il y a une relation très forte entre la région et le patrimoine culinaire en France, ce qui n’est pas historiquement et géographiquement le cas aux Etats-Unis, bien que de nos jours se développe de l’attachement pour ce qui vient du « local ». En effet, les consommateurs reconnaissent que certains produits ont un lien fort avec leur lieu de production. C’est le cas des oranges de la Floride ou encore des pommes de terre de l’Idaho, des cerises du Michigan, mais aussi des vins de la vallée de la Napa. Tous ces produits s’ancrent fortement à l’échelle locale permettant de se différencier des autres par des spécificités propres à leur territoire. De plus, les Américains qui connaissent le mieux la nourriture, surtout le vin et le fromage, savent que les noms des produits français les plus réputés correspondent à des régions : Champagne, Bordeaux, Bourgogne, Roquefort, Cantal, et d’autres. Certains ont également eu vent du fait qu’un vin pétillant ne peut pas s’appeler Champagne s’il ne vient pas de cette région de France.

Les consommateurs et les producteurs aux Etats-Unis sont de plus en plus intéressés par la qualité des produits et leurs origines. On pense par exemple aux produits biologiques qui suivent un cahier des charges certifié par le gouvernement, assurant certains critères de production, ou encore les produits de certification privée comme le commerce équitable, mais aussi le Rainforest Alliance et une myriade d’autres indépendants qui garantissent au consommateur la validité des critères recherchés en lien avec la mode actuelle. De plus, la tendance à inscrire les origines géographiques sur les étiquettes de café et cacao, comme le développement des marchés fermiers qui fait augmenter les ventes des fruits et légumes locaux, ou encore l’affichage de l’origine des produits aux supermarchés ; tous montrent un intérêt accru pour la traçabilité dans l’alimentation. Cependant, même si la tendance actuelle à manger local et à mieux connaitre la provenance des aliments tend à mettre en valeur les régions géographiques, les labels d’origine n’ont pas encore été mis en place aux Etats-Unis. Certaines indications géographiques indépendantes ont trouvé du succès comme marque , mais un label uniformisé au niveau national n’existe pas encore. Mais il semblerait que les Américains s’intéressent de plus en plus aux principes du modèle européen qui trace les produits jusqu’à leurs origines.

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En dehors du meilleur prix que le consommateur serait disposé à payer pour un produit d’origine, le processus permettant d’obtenir ces appellations apporte des valorisations supplémentaires aux commerces, habitants et agriculteurs des régions ainsi reconnues. La notion d’appellation au sens européen n’est pas seulement une garantie qu’un produit vienne d’une certaine région agricole ; il se réfère aussi à la notion de terroir qui décrit un lien entre un produit et son lieu de production par l’évolution du savoir-faire de ses peuples et les facteurs climatiques qui déterminent la qualité de ses produits. En parlant de la traduction en anglais du mot terroir, la chercheure américaine Elizabeth BARHAM (2003) cite la théorie d’installation de Karl POLANYI (1957) qui stipule que : « [l]e capitalisme doit être rattaché aux contraints sociales et environnementales afin de ne pas détruire la fond de l’économie lui-même ».  Le système d’appellations d’origine qui protège l’idée de terroir répond alors à cette théorie d’installation en obligeant les acteurs d’une appellation à prouver les connexions sociales et environnementales des produits à leur région. Selon cette théorie, celui-ci doit protéger l’économie de l’appellation. Aujourd’hui, ce système des indications géographiques est reconnu pour son potentiel de développement rural et sa capacité à protéger les traditions agricoles. L’Union Européenne (UE), ainsi que d’autres organisations internationales  , cherchent à étendre aux biens agricoles qui portent une indication géographique, une meilleure protection juridique au niveau de l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC).  Les États-Unis, entre autres, s’opposent à de telles mesures, car ce système valorise trop un mode de production limité, alors même que les indications géographiques sont assez protégées sous le droit américain (BABCOCK 2004).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 CADRE CONCEPTUEL ET PROBLEMATIQUE
1.1 – LES INDICATIONS GEOGRAPHIQUES : UN SUJET PRISE ET ETUDIE
1.2 – PROBLEMATIQUE : LES OIGNONS VIDALIA COMME REVELATEUR DES INDICATIONS GEOGRAPHIQUES AMERICAINES
1.3 – INDICATION GEOGRAPHIQUE (IG) ET TERROIR
1.3.1 – QU’EST-CE QU’UNE INDICATION GEOGRAPHIQUE ?
1.3.2 – LA NOTION DE TERROIR
1.3.3 – D’AUTRES DEFINITIONS UTILES
CHAPITRE 2 CHOIX DU PRODUIT ET CONTEXTUALISATION
2.1 – LE CHOIX DU PRODUIT ET DE LA REGION
2.2 – TERROIR : MISE EN CONTEXTE (AMERICAIN)
2.3 – ENTRETIENS AUPRES DES PRINCIPAUX ACTEURS
CHAPITRE 3 LE CADRE JURIDIQUE ET POLITIQUE
3.1 – L’ECHELLE INTERNATIONALE
3.2 – LE POSITIONNEMENT EUROPEEN
3.3 – LES MARQUES : UN FORME D’APPELLATION
CHAPITRE 4 LE PORTAIT DES OIGNONS DE VIDALIA
4.1 – L’HISTOIRE L’OIGNON DE VIDALIA
4.2 – LA DEFINITION DU TERRITOIRE ET SON CONTROLE
4.2.1 – LES ACTERUS ET STRUCTURES DE CONTROLES
4.2.2 – LES LIMITATIONS A LA PRODUCTION
4.2.3 – EN COMPARAISON AVEC UN CAHIER DES CHARGES FRANCAIS
4.3 – LES VALEURS DU REGROUPEMENT ET SES AVANTAGES SECONDAIRES
4.3.1 – LES RESULTATS DES ENTRETIENS
4.3.2 – LE TRAVAIL CARTOGRAPHIQUE
CHAPTIRE 5 LA REGLEMENTATION AMERICAINE
5.1 – LA RUPTURE AVEC LA NOTION DE TERROIR
5.2 – LE ROLE DE CONCURRENCE A LA COHESION DES ACTEURS
5.3 – LA CREATION D’UN SYSTEME DES LABELS DE CERTIFICATION
CONCLUSION

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