La notion de mimèsis pour les anciens grecs
Deux notions fondamentales différencient le rite religieux de la pratique théâtrale : l‟initiation et l‟imitation. Dans la cérémonie religieuse nous avons l‟élément d‟initiation, c‟est-à-dire la transmission de connaissances précises et spécifiques en vue de l‟intégration de l‟individu au groupe comme membre à part entière147. Dans le processus de l‟initiation est également contenu l‟élément d‟imitation, mais au sens de la répétition. Dans ce cas, l‟imitation est utilisée comme moyen d‟apprentissage pour donner à l‟individu l‟aptitude à devenir membre du groupe148. Dans la pratique théâtrale au contraire, l‟élément fondamental est l‟imitation. Nous pourrions dire qu‟elle est le principal outil méthodologique pour s‟exprimer. Dans la problématique de la représentation, la mimèsis joue un rôle essentiel pour catégoriser le rapport de l‟œuvre au réel. Dans la culture occidentale, cette prédominance apparaît dès l‟Antiquité grecque, lorsque Platon et Aristote en proposent chacun des analyses divergentes149. Parmi les premiers à établir une corrélation philosophique entre la notion de mimèsis et l‟art de la musique figurent les Pythagoriciens. Ici, il convient de préciser que le terme « musique » dans l‟antiquité n‟avait pas le sens que nous lui donnons aujourd‟hui. Le terme dérive du mot « muse » et il désigne n‟importe quelle occupation artistique ou intellectuelle150. Platon mentionne : « Ce que la gymnastique est pour le corps, la musique l‟est pour l‟âme » (Criton 50D), tandis qu‟Hérodote dans le livre III, 131, dit que la musique est tous les arts, les lettres et sont des imitations des êtres153 (οι κέλ γάξ Ππζαγόξεηνη κηκήζεη ηά όληα θαζίλ είλαη ηωλ αξηζκώλ / i men gar Pithagorii mimisi ta onta fasin ine ton arithmon = Les Pythagoriciens disent que les nombres sont à l‟imitation des êtres, Aristote, Physique, Α, 987b 11-12). Dans les spéculations philosophiques des Pythagoriciens mais aussi d‟autres philosophes, la notion de mimèsis est liée à la copie fidèle du modèle154.
Dans son ouvrage La République, Platon traite de façon exhaustive du problème de l‟imitation de la nature par l‟art155. Il soutient le point de vue ses jeunes années157. Les Héraclitiens soutenaient que tout se modifie continuellement dans le monde de l‟espace et du temps. Pas un seul instant ne s‟arrête le changement et rien de demeure identique d‟un moment à l‟autre. Par conséquent nous ne pouvons pas connaître ce monde, dans la mesure où personne ne peut dire qu‟il connaît une chose qui diffère de ce qu‟elle était un instant auparavant158. Par la suite, la grande influence qu‟il subit de la part de Socrate qui l‟initia à l‟idée du « Bien » et plus tard ses contacts avec les Pythagoriciens et leur théorie duelle de la séparation du corps et de l‟âme furent les grandes étapes de la formation de sa pensée philosophique. Dans la Cité idéale qu‟il propose, la stratification sociale ressemble à celle qu‟appliqua Pythagore dans l‟école de philosophie de Croton, mais il bannit de celle-ci les poètes, les artistes et naturellement le théâtre, en alléguant qu‟ils imitent des choses fausses et indignes. Il exprime ce point de vue parce qu‟il croit que la vérité ou la réalité se trouve dans le monde des idées, un monde que cependant nous ne pouvons pas appréhender avec nos sens dans la mesure où les sens nous montrent une réplique mensongère de ce monde159. L‟artiste ne dispose pas d‟une connaissance scientifique de l‟objet, il exprime simplement son sentiment personnel, ce pourquoi sa pertinence est mise en doute (République, X 601b-c). Ainsi quand un peintre représente, par exemple, une table, il reproduit un objet tel qu‟il le voit, et qui est donc quelque chose de mensonger, puisque appréhendé par le sens de la vue. Les œuvres d‟art, selon Platon, sont les reproductions de choses mensongères, puisqu‟elles reproduisent le monde que nous appréhendons au moyen des sens, c‟est- à-dire un monde mensonger. Si la vie, en raison de nos sens, nous éloigne une seule fois de la vérité qui se trouve dans le monde des idées, l‟art, reproduisant notre vie, nous éloigne par deux fois de la vérité. C‟est pourquoi Platon disait que, si l‟art était interdit dans la société, les citoyens échapperaient aux impressions trompeuses qu‟ajoute à notre vie l‟art avec ses œuvres. Et encore, les arts s‟adressent à la partie la plus basse de l‟âme, celle du désir des sens, qui est la plus vulnérable et qui risque d‟entraîner le citoyen dans l‟immoralité et l‟illusion (République X 603b). Et bien qu‟il reconnaisse Épicharme comme un poète éminent, il condamne la partie imitative de la poésie parce qu‟elle corrompt.