Dynamique territoriale, gouvernance locale et régulation d’ensemble : précisions méthodologiques
Proximités et territoire
Dans la lignée des travaux de « l’Ecole de la Proximité » (Gilly, Torre, 2000), nous définissons le territoire comme le résultat de la combinaison des trois dimensions de la proximité : spatiale, organisationnelle et institutionnelle.
La proximité géographique traite de la séparation dans l’espace. Fonctionnellement exprimée en termes de coût et/ou de temps, elle est évidemment dépendante des infrastructures de transport et des technologies de communication. Bien que le seuil de proximité géographique ne puisse être fixé dans l’absolu, on peut avec Rallet (2000) tracer une ligne de partage “ par rapport à un problème particulier, entre ce qui relève du lointain et ce qui relève du proche ”.
La proximité organisationnelle concerne les interactions entre acteurs à l’intérieur des ou entre les organisations. Elle lie donc des acteurs disposant d’actifs complémentaires participant à une activité finalisée et appartenant à un même espace de rapports : un groupe et ses filiales, un réseau d’acteurs ; elle repose sur un cadre cognitif commun qui concourt à la cohérence de la structure des relations entre acteurs.La proximité organisationnelle se construit sur une proximité institutionnelle reposant sur l’adhésion des acteurs à des règles d’action et, dans certaines situations, à un système commun de représentations, qui orientent les comportements collectifs. La proximité institutionnelle, plus ou moins dense selon les situations locales, fonde la mise en compatibilité des différents modes de coordination localisée entre acteurs, privés et/ou publics, et, par conséquent, l’existence de régularités productives locales. En tout état de cause, une proximité institutionnelle s’inscrit dans un rapport contradictoire de pouvoirs que ce soit entre employeurs et employés (rapport salarial capitaliste), entre firmes (concurrence vs coopération), entre acteurs privés et publics (logique de profit, logique de bien public), de sorte que la mise en comptabilité qu’elle permet est toujours provisoire.
Dans la diversité des contextes institutionnels et organisationnels locaux, il est possible de mettre en évidence trois catégories polaires de développement local correspondant chacune à une organisation productive particulière. L’agglomération se fonde sur une concentration spatiale d’activités économiques hétérogènes, ne présentant pas a priori de complémentarités. Cette concentration résulte et est créatrice d’économies externes aux entreprises, liées à des économies d’échelle dans le partage de certaines ressources. Il s’agit principalement d' »externalités pécuniaires » provoquées par la concentration des activités et des acteurs qui se répercutent directement en termes de prix des facteurs de production. La particularité du processus d’agglomération, essentiellement caractérisé par la proximité géographique, est qu’il produit des effets externes qui ne répondent pas à une logique industrielle ni même n’entraîne des effets de système.
Le processus de spécialisation se fonde sur une structure organisationnelle forte du tissu économique local dominée par une activité industrielle ou un produit. Le terme de spécialisation a une double signification. Le processus par lequel le tissu économique se structure est fondé sur une logique industrielle favorisant la concentration géographique d’activités complémentaires. Un tel processus correspond donc au recouvrement des proximités géographique et organisationnelle.
La notion de gouvernance locale
La gouvernance locale, qui se concrétise par la construction de compromis locaux entre acteurs aussi bien privés que publics, est caractérisée par le degré d’articulation et de cohésion des différentes proximités institutionnelles qui spécifient un territoire, qu’il s’agisse du rapport salarial, de l’affrontement entre capitaux individuels, des relations acteurs privés/acteurs publics,…
La gouvernance locale sera définie comme un processus de construction d’une compatibilité entre différentes proximités institutionnelles unissant des acteurs (économiques, institutionnels, sociaux…) géographiquement proches, en vue de la résolution d’un problème productif inédit – ou, plus largement, de la réalisation de projets locaux de développement se succédant et/ou se combinant dans la durée.
Une telle définition insiste fondamentalement sur l’idée de processus, c’est-à-dire de dynamique institutionnelle collective qui articule, de manière toujours singulière, différentes logiques d’acteurs se confrontant et/ou coopérant sur un territoire. La mémoire des coordinations ayant réussi ou échoué est un facteur important de ces dynamiques.
La gouvernance locale combine ainsi toujours des éléments de stabilité et d’instabilité dont l’importance relative évolue dans la durée, définissant des inflexions de la trajectoire de développement du territoire. Mais pour que l’on puisse parler de gouvernance locale, il faut que les éléments de stabilité l’emportent, c’est-à-dire que les compromis entre acteurs soient suffisamment stables et cohérents afin de lever, pour un temps au moins, l’incertitude inhérente à l’action collective et ainsi de réduire rivalités et conflits. Alors, peuvent se mettre en place un système d’interdépendances sociales et un système de règles voire de représentations communes générant des régularités productives localisées (on parlera alors de structures de gouvernance). A l’inverse, lorsque les éléments d’instabilité, c’est-à-dire les rivalités et les conflits, mettent en cause les compromis jusqu’alors existants, on entre dans une phase de crise de la gouvernance locale pouvant conduire à une déstructuration territoriale.
Les structures de gouvernance locale
Dans notre conception, les acteurs qui participent à l’émergence ou à la stabilisation d’une gouvernance locale sont aussi bien les acteurs économiques (établissements de groupe, associations d’entreprises…), que les acteurs institutionnels (collectivités territoriales, Etat, Chambres de commerce…) ou sociaux (syndicats, associations…). La gouvernance n’est donc pas une configuration de coordinations strictement économique ou strictement socio-politique : elle est une combinaison de ces dimensions, caractérisée par une densité variable des interactions entre les trois catégories d’acteurs.
Ces interactions sont particulièrement complexes du fait, notamment, que le champ d’intervention
administratif des collectivités locales ne coïncide pas avec celui des acteurs économiques et sociaux et que l’horizon temporel stratégique ou les visions du temps des acteurs publics et des acteurs privés peuvent différer. Ces différences sont à l’origine d’un engagement territorial de nature inégale selon les acteurs. Les acteurs institutionnels jouent ainsi souvent un rôle essentiel dans la construction de la gouvernance locale, en particulier, par le biais d’institutions formelles d’animation et de mise en réseau (contrats de pays, par exemple, en France).
Parmi les acteurs qui participent aux dynamiques territoriales, il existe des acteurs-clés privés et/ou publics qui jouent un rôle moteur en ce sens qu’ils constituent des repères institutionnels pour l’ensemble des acteurs et qu’ils structurent les mécanismes de coordination de ces derniers. Trois principales structures de gouvernance locale en fonction de la nature des acteurs-clés, de leurs objectifs et de leurs modes d’appropriation des ressources produites localement, peuvent être distingués :
– gouvernance privée : ce sont les acteurs privés qui impulsent et pilotent les dispositifs de coordination et de création de ressources selon un but d’appropriation privée. Il en est ainsi de la firme motrice, par exemple l’établissement d’un grand groupe, qui structure économiquement et institutionnellement l’espace productif de son site d’implantation.
– gouvernance privée collective : dans ce cas, l’acteur-clé est une institution formelle qui regroupe des opérateurs privés et impulse une coordination de leurs stratégies, comme par exemple les Chambres de Commerce, les syndicats professionnels et toute forme de clubs d’opérateurs privés.
– gouvernance publique : les institutions publiques ont des modes de gestion des ressources qui diffèrent de l’appropriation privée, notamment à travers la production de biens ou services collectifs, donc par définition utilisables par tous les acteurs, sans rivalité ni exclusion d’usage. Ce sont au premier chef, l’Etat, les collectivités territoriales et toutes les formes d’inter-collectivité, mais aussi les centres de recherche publique, …
En fait, dans la réalité, rares sont les situations « pures » telles qu’elles viennent d’être décrites : on trouve le plus souvent une association des formes précédentes (on parlera alors de gouvernance mixte) mais avec une dominante, ce qui permet de caractériser chaque territoire comme un cas particulier entrant dans une catégorie générale (plutôt publique ou plutôt privée), selon un dosage spécifique et variable..