La notion d’adverbe
Problèmes de délimitation de l’étude des adverbes figés
La question de savoir quelle est la nature de ce que nous nous proposons d‟étudier et de classifier est évidemment primordiale. Dans la délimitation de l‟étude des adverbes figés, nous nous sommes confrontée à certains problèmes qui touchent aussi bien à la terminologie qu‟à la méthodologie. Signalons, d‟abord, le problème bien connu de l‟opposition entre compléments essentiels (ou objets) et compléments circonstanciels (ou adverbes) qui repose sur la constatation intuitive que certains compléments sont plus caractéristiques du prédicat (surtout verbal) que d‟autres. Alors que les objets sont fortement contraints, dépendants ou sélectionnés par le prédicat, les adverbes ne le sont pas ou, en tout cas, bien moins. L‟expérience des grammairiens grecs et des ouvrages scolaires semblerait justifier statistiquement cette coupure, mais aucun dénombrement l‟explicitant n‟a jamais été effectué. Où se situent alors, par rapport à cette distinction polaire, les compléments qui sont attachés à des verbes tels que ζπκπεξηθέξνκαη/se comporter, πεγαίλσ/aller, αλαβάιισ/reporter ou ελεξγώ/opérer ? En réalité, les adverbes forment, par définition, la classe morphologiquement invariable de la grammaire (cf. M. Triantaphyllidis 2000 : 377). Selon la tradition grammaticale, les adverbes partagent la propriété d‟invariabilité avec les classes de prépositions, de conjonctions et d‟interjections. Comme le signale M. Wilmet (1998 : 29-30), « la fortune de l‟adverbe à l‟école, obnubilée par l‟orthographe, résulte de sa prétendue invariabilité. Les manuels montrent une funeste propension à glisser de l‟adage l’adverbe est un mot invariable à ce mot invariable est un adverbe ». La catégorie de l‟adverbe est devenue donc peu à peu la classe « poubelle », celle où l‟on relègue les invariables qu‟on ne sait plus où caser. (A. Chervel 1977 : 251). De plus, la grammaire traditionnelle insiste sur la séparation entre adverbe et complément adverbial, séparation qui s‟appuie sur la distinction fondamentale entre unité lexicale et fonction syntaxique. « Les grammairiens s‟obligent à opérer cette différenciation, malgré toutes les difficultés qu‟elle implique, avec beaucoup plus d‟acuité pour les adverbes que pour les autres parties du discours » (H. Nølke 1990 : 17). Ils prétendent se servir de cette différence traditionnellement assez bien établie afin de se rendre compte de la multifonctionnalité des formes adverbiales. Un problème supplémentaire réside dans le fait que « le figement est une propriété des langues naturelles dont l‟importance a été méconnue pendant très longtemps » (G. Gross 1996b : 3). Même si le sujet n‟était pas totalement ignoré dans les grammaires, l‟ampleur du phénomène échappait à la plupart des auteurs. Le fait linguistique du figement a été donc obscurci par des dénominations floues et très hétérogènes, de sorte qu‟on est en présence de « strates » définitionnelles très souvent incompatibles
Tentative de définition de la notion d’adverbe
La définition10 de l‟adverbe apparaît comme un problème crucial. L‟existence même de l‟adverbe en tant que partie du discours autonome a été souvent mise en question (cf. J. Cervoni 1990 : 5). D‟une part, la nature fort hétérogène de l‟ensemble lexical des adverbes et, d‟autre part, la diversité déroutante de leurs propriétés ont amené, dans plusieurs cas, les spécialistes à des définitions abstraites11 et même négatives12. Dans le but de répondre à la question fondamentale posée par J. Cervoni (1990 : 5) : « Peut-on donner une définition positive de l‟adverbe ? », nous nous proposons ici une extension de la classe des unités lexicales susceptibles d‟avoir une fonction adverbiale, qui passe principalement par l‟étude de leurs formes lexicalement variées. De manière générale, la grammaire traditionnelle distingue en tant que catégories disjointes13 les adverbes, les compléments circonstanciels et les propositions subordonnées circonstancielles (exemple 1). Or, il est clair que ces trois catégories ont des liens morphosyntaxiques et sémantiques comme en témoigne l‟exemple ci-dessous : (1) Ζ Ρέα έθηαζε ζην Παξίζη λπρηηάηηθα (adverbe) + ηε λύρηα (complément circonstanciel) + θαηά ηε λύρηα (complément circonstanciel) + κεο ζηε καύξε λύρηα (complément circonstanciel) + κηα λύρηα κε θεγγάξη (complément circonstanciel) + πξηλ λα πέζεη ε λύρηα (subordonnée circonstancielle) La Réa-Nfs est arrivée au Paris-Ans nuitamment + la nuit-Afs + vers la nuit-Afs + dans à la noire nuit-Afs + une nuit-Afs avec lune-Ans + avant QUsub tombe-S3s la nuit-Nfs (Réa est arrivée à Paris (nuitamment+la nuit+vers la nuit+en pleine nuit+par une nuit de lune+avant que la nuit tombe)) L‟application du test de la question (cf. I, 1.3.1.) en πόηε;/quand ?, qui interprète la modalité (ou circonstance) de temps, rapproche immédiatement les trois catégories de compléments. Ainsi, à la question : Πόηε έθηαζε ε Ρέα ζην Παξίζη; Quand est arrivée la Réa-Nfs au Paris-Ans? (Quand Réa est-elle arrivée à Paris ?) nous pouvons répondre par n‟importe quelle des six formes présentées dans le paradigme de l‟exemple (1). Pour représenter ces liens morphosyntaxiques et sémantiques, nous dirons que ces formes sont toutes des réalisations d‟un même adverbe (ici en l‟occurrence, d‟un adverbe de temps). Par conséquent, les variations de formes observées, qui ne sont que des variations de déterminants et de modifieurs du groupe nominal dont la tête est λύρηα/nuit, sont internes à l‟adverbe.
Critères généraux de distinction entre compléments essentiels (ou objets) et compléments circonstanciels (ou adverbes) ou propriétés générales de l’adverbe
Dans la tradition grammaticale, il est d‟usage de distinguer les compléments essentiels (ou objets) des compléments circonstanciels (ou adverbes). Formellement et sémantiquement, les deux types de compléments présentent des structures similaires, mais lexicalement les premiers sont sélectionnés par le prédicat (surtout verbal) alors que les derniers sont des adjonctions libres à la phrase. Pour cette raison, on les appelle souvent des compléments de verbe et des compléments de phrase respectivement. Nous concentrant sur cette dichotomie classique, nous nous proposons d‟élucider ici les principales raisons de cette séparation pour poser ensuite nos critères formels. Soulignons que les critères généraux de distinction entre ces deux types de compléments constituent en même temps les propriétés générales de la classe adverbiale (cf. I, 1.2.1-1.2.3). De même, les critères formels de cette distinction (cf. I, 1.3.1-1.3.4), nous serviront également de tests d‟identification de l‟adverbe dans la phrase.
Les contraintes de sélection
Les compléments essentiels, leur forme et leurs distributions sont sélectionnés par le prédicat (notamment verbal). Selon M. Riegel ; J.-C. Pellat ; R. Rioul (1994 : 223) « l‟identification du complément d‟objet indirect est d‟autant plus délicate que la plupart des compléments circonstanciels sont aussi introduits par une préposition. […] Le critère décisif reste l’existence d’un double rapport de dépendance avec le prédicat, à savoir : – du rapport syntaxique, puisque le verbe contrôle la construction du complément, dont il détermine, dans la plupart des cas, la préposition introductrice ; – du rapport sémantique, puisque le complément d’objet indirect est un véritable actant dont le rôle sémantique, complémentaire de celui du sujet, est appelé par le sens du verbe ».