LA NÉGOCIATION DE LA LETTRE DE GARANTIE – GESTION DE SINISTRES
Chez un courtier en assurances maritimes, la gestion de sinistres ne se fera pas de la même manière en fonction des modalités du transport envisagé. La négociation d’une lettre de garantie portera, dans le cadre de la présente étude, sur un transport conventionnel de marchandises. Ce dernier est caractérisé par le fait que les marchandises sont « transportées à nu ou avec des emballages légers, sans conditionnement particulier autre que des emballages ponctuels ». 13 Ce transport s’oppose au transport en vrac, en conteneurs ou en charges roulantes. L’emballage de la marchandise ainsi transportée va la rendre prompte à connaître les dommages. En effet, un sachet sera susceptible de se déchirer notamment lors des phases de manutention, qui peuvent être violentes. De même, ce type d’emballage permettra plus facilement le vol, étant donné qu’un sac, même pesant 50 kilos, est plus facile à subtiliser qu’un conteneur, par exemple. De manière générale, la gestion d’un sinistre concernant un transport conventionnel appelle une vigilance particulière: au regard de la fragilité de l’emballage, un dommage, aussi petit soit-il, sera à déplorer à la fin des opérations de déchargement. Ainsi, le gestionnaire de sinistres mandatera, dès qu’il sera avisé d’un transport conventionnel par l’assuré, un expert dans le port de déchargement afin que celui-ci l’avertisse de l’arrivée du navire au port et suive les opérations de déchargement, en fonction de l’étendue de l’assurance facultés : jusqu’au sous-palan, jusqu’à l’entrée du magasin portuaire ou du magasin du réceptionnaire. Une telle gestion, qui engendre donc des coûts supplémentaires, ne se justifie pas lorsque les marchandises sont transportées différemment. La probabilité du dommage étant réduite, la gestion du sinistre se fera, le cas échéant, a posteriori. La négociation d’une lettre de garantie a pour objectif de sécuriser une créance maritime, constatée au déchargement. Cette créance résultera des dommages causés à la marchandise depuis sa prise en charge par le transporteur jusqu’à sa livraison sous palan, c’est-à-dire jusqu’à ce que la marchandise ait été entièrement déchargée à quai. Le créancier sera donc l’ayant droit à la marchandise. Le moyen ultime pour sécuriser une créance maritime reste l’utilisation de la saisie conservatoire. Cette dernière est définie par Messieurs les professeurs Christian Scapel et Pierre Bonassies comme étant un moyen de pression exercé par le créancier sur l’armateur pour obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues. 14 Ce moyen de pression se concrétise par le coût de l’immobilisation du navire découlant de la saisie. Nonobstant, la saisie conservatoire ne répond pas forcément aux exigences qu’impose le commerce international. En effet, le transport maritime, étant l’instrument de ce commerce, doit être facilité par une certaine fluidité dans les rapports entre les différents acteurs. C’est la raison pour laquelle la négociation de la lettre de garantie correspond parfaitement à ces besoins, en ce qu’elle n’impose aucune conséquence directe et immédiate pour les parties dont les intérêts sont en jeux. Elle sécurise donc la créance maritime de manière amiable. Ainsi la phase de négociation de la lettre de garantie va d’abord être le résultat d’un choix fait par le gestionnaire de sinistres d’instituer cette négociation au détriment, du moins dans un premier temps, d’autres moyens de sécurisation de la créance et notamment de l’emploi de la saisie conservatoire. Le gestionnaire va, dans certains cas, pouvoir éviter l’immobilisation du navire et ainsi pérenniser la fluidité du voyage maritime et des transactions commerciales qui lui sont sous-jacentes. Cette négociation doit donc apparaître comme étant opportune (TITRE 1) en ce sens qu’elle ne sera envisagée que si la situation est adéquate à la négociation. Une fois cette opportunité acquise, la négociation pourra être conduite (TITRE 2). Son succès dépendra largement de l’établissement d’un équilibre entre les intérêts en jeux. Le courtier et son interlocuteur devront saisir qu’« ils ont chacun leurs raisons mais n’ont pas forcément complétement raison »15 afin d’établir un compromis, objectif final du système des lettres de garantie mis en place par les P&I Clubs
L’OPPORTUNITÉ D’UNE NEGOCIATION D’UNE LETTRE DE GARANTIE
L’ouverture d’une négociation d’une lettre de garantie ne sera pas systématique. En effet, la lettre de garantie répond à un besoin de sécurité, besoin qui existe notamment lorsque le transport est effectué par une single ship company. 16 Le but d’une telle structure est, pour l’armateur contrôlant une flotte importante, de constituer une société par navire pour éviter d’en constituer une seule qui serait propriétaire de la totalité de ses navires, afin d’établir un écran juridique entre son patrimoine, ou le patrimoine qu’il contrôle, et chacun de ses navires.17 Une telle structure aura donc un patrimoine limité et, conséquemment, ne présentera aucune garantie de solvabilité. Cette situation rendra nécessaire la sécurisation préalable de la créance maritime. La demande de lettre de garantie ne sera pas opportune si le courtier se retrouve face à un transporteur établi sur une ligne régulière. Dans une telle situation, le gestionnaire n’aura pas besoin de s’assurer de la solvabilité du transporteur, ayant un siège social identifié et stable ainsi qu’un patrimoine connu. Le gestionnaire va ensuite devoir établir l’opportunité d’ouvrir la négociation d’une lettre de garantie plutôt que de recourir d’emblée à la saisie conservatoire. Il est important de comprendre ici que l’émission d’une lettre de garantie relève de l’intérêt des deux parties. En effet, si juridiquement, le moyen ultime pour sécuriser une créance maritime est de pratiquer une saisie conservatoire sur le navire concerné par la créance, en pratique cette solution est à éviter compte tenu des intérêts commerciaux en jeux. Une issue amiable sera toujours étudiée avant de saisir les juridictions ; c’est la raison d’être du système des lettres de garantie P&I. L’étude de cette opportunité se place toutefois dans un contexte particulier. Le gestionnaire prendra notamment en compte le temps dont il dispose. Si le dommage survient alors que le navire n’est pas dans son dernier port de déchargement, le gestionnaire aura l’occasion, en cas d’échec des négociations de la lettre de garantie, de saisir le navire dans un autre port de déchargement. Il disposera ainsi de plus de temps. Toutefois, si tel n’est pas le cas, le gestionnaire va se trouver dans une situation d’urgence en ce sens qu’il devra sécuriser la créance avant le départ du navire car il ne 16 Littéralement société d’un seul navire 17 P. Bonassies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, Traités, 3e éd. 2016, p.223, n°244 15 pourra plus faire pratiquer la saisie conservatoire du navire a posteriori. En effet, il y aura pour le gestionnaire une réelle incertitude quant aux futurs voyages du navire concerné, qui pourra même, entre temps, avoir changé de transporteur. L’opportunité de demander une lettre de garantie se caractérise principalement par la réunion de deux facteurs. D’abord il va s’agir d’identifier une situation dans laquelle la demande de lettre de garantie est pertinente (CHAPITRE 1). Ensuite, il faudra établir l’efficacité de la lettre de garantie (CHAPITRE 2), notamment par rapport à la saisie conservatoire, bien que cette dernière soit présente pendant les négociations et reste, en cas d’échec des négociations, une issue envisageable
UNE SITUATION JUSTIFIANT LA NÉGOCIATION D’UNE LETTRE DE GARANTIE
La justification de l’ouverture d’une négociation portant sur la lettre de garantie passe par plusieurs étapes. Le gestionnaire de sinistres va d’abord déterminer si le dommage justifie une demande de garantie, puis éliminer l’existence d’un transport effectué sur une ligne régulière, avant d’analyser si le contexte est favorable à une telle demande et de définir le temps dont il dispose pour sécuriser la créance maritime découlant du dommage. Toutefois, l’ouverture de la négociation d’une lettre de garantie n’est pas le résultat d’une décision unilatérale. Elle est l’aboutissement de la pondération entre, d’une part la volonté de l’ayant droit à la marchandise de sécuriser sa créance maritime ainsi que le recours qui lui sera subséquent et, d’autre part, la discrétion du P&I Club d’émettre une lettre de garantie. C’est la rencontre entre ces deux éléments qui va finalement aboutir à l’ouverture de la négociation d’une lettre de garantie. C’est au gestionnaire de sinistres qu’il appartient de déclencher la demande de lettre de garantie. Il ne le fera que si la situation le justifie c’est-à-dire si des dommages importants sont révélés par les chiffres finaux de l’expert à la fin du déchargement (Section 1) et seulement si le contexte sur place apparaît comme étant favorable à une telle négociation (Section 2).